Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Justice

La polémique Papon

La Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg va examiner «en urgence» la requête de Maurice Papon contre sa détention. L'homme est âgé de 90 ans, condamné à dix ans de réclusion criminelle pour «crime contre l'humanité». Doit-il ou non rester en prison ? Son cas provoque un vif débat.
Depuis quelques jours, en France, la polémique sur l'affaire Papon est relancée. Elle remet en mémoire un très long procès qui a connu 18 ans de procédures, de nombreux rebondissements, et qui a abouti à la condamnation de Maurice Papon à dix ans d'emprisonnement pour complicité de crime contre l'humanité, pour son rôle dans la déportation des Juifs de Gironde sous l'Occupation.

Aujourd'hui, à Strasbourg, les juges de la Cour européenne des Droits de l'homme ont décidé d'examiner selon une procédure accélérée la plainte déposée par Maurice Papon pour «traitements inhumains et dégradants». La plainte est donc considérée comme recevable et la décision finale sur cette demande pourrait être connu dans l'année.

Même si la Cour de Strasbourg n'a pas théoriquement le pouvoir d'ordonner une remise en liberté, son avis sur la question pourrait être déterminant, une condamnation de la France risquant d'aviver le débat. En pratique, seul le président Chirac peut remettre en liberté Maurice Papon, avec une mesure de grâce, mais il a déjà repoussé deux demandes.

C'est l'ancien ministre de la Justice de François Mitterrand, le sénateur Robert Badinter qui a relancé le débat en se prononçant pour la libération de Maurice Papon. Depuis lors, le débat sur l'éventuelle libération du plus vieux prisonnier de France se poursuit avec, chaque jour, de nouvelles prises de position.

Parmi ceux qui se sont prononcés en faveur de la libération du vieil homme: Raymond Barre, ancien Premier ministre, la présidente du RPR Michèle Alliot-Marie, Charles Pasqua, président du RPF. Pour Gilles Bernheim, rabbin de la synagogue de la Victoire, à Paris, «vouloir maintenir en prison, jusqu'à son dernier souffle, un homme usé, déchu de ses droits et de ses privilèges, n'ajoutera, à mon sens, rien à l'histoire». Le MRAP, qui a vocation à défendre les droits de l'homme, estime, sans compassion, que «la prolongation de la détention d'un homme de 90 ans et malade de surcroît n'est pas satisfaisante dans une démocratie».


«Un mauvais signal»


Tel n'est pas l'avis du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) qui rappelle «que Papon, qui se compare volontiers au capitaine Dreyfus, ne subit pas les conditions de l'île au Diable, mais celles de la prison de la Santé où il est médicalement suivi chaque jour». Pour Me Michel Zaoui, un des avocats des parties civiles, «Une décision de justice et son application doivent être comprises par l'ensemble de la société, dont fait partie les victimes. Un an de prison serait incompris. La durée est trop courte à l'égard des victimes». Parmi les politiques, Alain Juppé (RPR) estime qu'il faut «tenir compte des sentiments des familles». Quant à la ministre ecologiste Dominique Voynet, elle estime que la libération de Maurice Papon «serait un très mauvais signal au moment où les idées révisionnistes restent vives».

Maurice Papon est incarcéré depuis octobre 1999 à la prison de la Santé à Paris, après avoir été arrêté en Suisse où il avait pris la fuite avant l'examen de son ultime recours par la Cour de cassation. En fait, tout commence en mai 1981, lorsque le journal Le Canard enchaîné publie des documents signés par Papon, alors ministre délégué au Budget du gouvernement de Raymond Barre, tendant à prouver sa responsabilité dans la déportation de plus de 1600 Juifs de Bordeaux. Très rapidement, la machine judiciaire se met en marche : Me Boulanger dépose la première plainte pour «crimes contre l'humanité» au nom d'une famille juive dont les membres ont connu la déportation ; ensuite, plusieurs inculpations sont prononcées, après les plaintes déposées par des dizaines d'autres familles juives : pourvoi en cassation rejeté ; placement de Papon sous contrôle judiciaire ; remise en liberté provisoire ; rejet d'une dispense de placement en détention ; «fuite» en Suisse, condamnation à 10 ans, et incarcération, dans le quartier réservé aux personnalités à la prison de la Santé à Paris.



par Pierre  DELMAS

Article publié le 23/01/2001