Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Gabon

<i>La Griffe</i> suspendue pour «<i>acharnement</i>»

Le journal satirique gabonais La Griffe a été à nouveau suspendu le 15 février par le CNC, organe de régulation de la presse, pour «acharnement envers le président Omar Bongo». C'est la troisième fois en deux ans et demi que cet hebdomadaire est interdit de parution.
Les motifs de suspension de La Griffe, journal satirique gabonais inspiré du Canard enchaîné français, et son supplément illustré Le Gri-Gri sont nombreux: «tendance malsaine à s'immiscer dans la vie privée des citoyens», «mépris de la déontologie», «acharnement particulier contre le président et sa famille», etc. Le Conseil national de la communication (CNC), organe public chargé notamment de veiller à la déontologie de la presse, semble avoir mûri cette énième suspension «provisoire». «Le 25 janvier dernier, explique Thierry Kombila d'Argendieu, Conseiller technique et porte-parole du CNC, nous avons attiré l'attention de la presse sur des dérapages qui touchent à la vie privée des citoyens». «Dérapages» qui seraient fréquents chez les journalistes de La Griffe : «Nous avons reçu plusieurs plaintes, pas moins d'une vingtaine, qui viennent de l'ensemble des couches de la société, concernant ce journal», ajoute le porte-parole.

Mais cette suspension a sans doute été principalement motivée par les critiques acerbes, jugées outrageuses par le CNC, de l'hebdomadaire à l'égard du président Bongo. Certains articles des numéros 406 et 407 sont incriminés. Dans son édition du 7 février 2001 particulièrement, La Griffe avait qualifié le dernier livre d'entretien d'Omar Bongo (Blanc comme nègre, édition Grasset), d' «imposture Noir sur Blanc» et de «déposition par procuration d'un «petit espion français»».
Plus largement, depuis sa création en août 1991, ce journal d'opposition (proche d'un ancien ministre des Finances) n'a jamais épargné ses «coups de griffes» aux hommes politiques gabonais, particulièrement ceux du pouvoir, plus encore à ceux que l'opinion publique appelle les «dinosaures du système».

«Abus de pouvoir du CNC»

Apparemment peu surprise, l'équipe de La Griffe n'entend pas se laisser faire. «Nous allons poursuivre le CNC en justice pour abus de pouvoir», indique Michel Ongoundou, directeur de la publication de l'hebdomadaire satirique, frappé, comme son rédacteur en chef Raphaël Ntoutoume, d'«interdiction d'exercer le métier de journaliste sur le territoire national». En fait de justice, les journalistes de La Griffe savent de quoi ils parlent: depuis la mi-janvier, le journal est attaqué devant les tribunaux pour «diffamation», entre autres par le président Bongo. En début d'année, La Griffe avait annoncé l'inculpation de Gisèle Obra, belle-s£ur du président, pour «complicité d'assassinat», dans une affaire présumée de crime rituel. «Dans cette affaire, la justice traîne, c'est pourquoi le président Bongo instrumentalise le CNC», conclut Michel Ongoundou.

Créé en 1992, le CNC, véritablement actif depuis 1997, est de plus en plus contesté par les médias, qu'ils soient proches du gouvernement ou de l'opposition. Son indépendance est remise en cause: le CNC est composé de neuf membres, trois nommés par le président de la République, trois par le président du Sénat, trois par le président de l'Assemblée nationale. Mais surtout, la presse gabonaise se plaint de la toute puissance du cet organe (juge ou simple régulateur ?) et le caractère arbitraire de certaines sanctions: suspension, voire interdiction, de journaux ou d'émissions politiques, rappels à l'ordre, etc. Son président, Pierre Marie Ndong, est régulièrement taxé de «potentat de la communication» au Gabon, notamment par le quotidien gouvernemental L'Union.

En deux ans et demi, c'est la troisième fois que La Griffe, journal très prisé, particulièrement à Libreville, est interdite de parution: une première fois en août 1998, après une condamnation pour diffamation. Cette décision avait été cassée par la Cour d'appel de Libreville en février 1999. Une deuxième fois, en mars 1999 pour «non respect de la législation»: le CNC reprochait au rédacteur et au directeur du journal de ne pas résider au Gabon. Condamné à huit mois de prison ferme après la première suspension, Michel Ongoundou s'était exilé en France où il vit depuis. Gracié en mai 2000 par le chef de l'Etat, le directeur de La Griffe relance son journal en octobre, deux mois après l'autorisation du CNC. «Le président attendait que l'on fasse preuve de bienveillance à son égard, affirme Michel Ongoundou, d'autant que nous avons refusé ouvertement l'argent qu'il offrait à la presse». En octobre dernier, le président Bongo avait accordé une aide de 250 millions de francs CFA et institué une budgétisation annuelle de 800 millions de francs CFA à l'ensemble de la presse écrite gabonaise, qui compte à peine une dizaine de titres paraissant régulièrement.

Reporters Sans Frontières (RSF) a demandé vendredi au CNC de lever cette suspension. Selon un rapport de l'ONU sur la promotion et la liberté d'expression, rappelle RSF, «les autorités publiques, et notamment le chef de l'Etat, doivent accepter un degré de critique plus important que n'importe quel citoyen, de manière à permettre un débat sur des sujets d'intérêts public».

Du côté du CNC comme de La Griffe, on semble prêt à durcir le bras de fer. «Il revient à La Griffe de venir voir le Conseil et reconnaître les faits», note Thierry Kombila D'Argendieu. Michel Ongoudou, qui ne nie pas de «possibles erreurs», reste convaincu que derrière toute cette affaire, il y a une «manipulation» du président gabonais. Accusation qu'il aura, malgré tout, du mal à prouver devant les tribunaux.



par Luc  Ngowet

Article publié le 18/02/2001