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France

Le malaise de la justice

Les magistrats manifestent, vendredi, par la grève et dans la rue, contre le manque en moyens matériels et humains de la justice française. Alors que les «justiciables» se plaignent déjà de ses lourdeurs et lenteurs, la situation est encore aggravée par l'entrée en vigueur de la loi sur la présomption d'innocence.
Après les avocats, puis les greffiers, les magistrats dénoncent publiquement les conditions dans lesquelles ils assurent leurs fonctions. Déjà, une grève paralyse depuis plusieurs jours les tribunaux de commerce. En octobre 2000, les avocats ont observé un mouvement de grève pour attirer l'attention sur la faiblesse des montants consacrés à l'accès à la justice des plus démunis, dont l'aide juridictionnelle qui permet de rémunérer les avocats. En novembre, c'était au tour des greffiers, indispensables au bon fonctionnement des tribunaux, de revendiquer une augmentation de leurs effectifs.

Ces divers mouvements d'humeur sont le signe d'un malaise profond de l'ensemble de l'appareil judiciaire. Les juges, notamment, dont le rôle devient de plus en plus important dans la société sont confrontés à une inflation des affaires à traiter ce qui entraîne un allongement des délais de procédure souvent décrié par les justiciables, usagers de la justice. On attend actuellement entre dix-huit et trente-six mois entre un jugement en première instance et son appel. Pour les organisations syndicales de la magistrature, il ne s'agit plus de traiter des flux de dossiers mais de les «évacuer», au détriment de la qualité des décisions rendues. Ce que le Syndicat de la magistrature traduit par «toujours plus, toujours plus vite, toujours plus mal».

Renforts massifs

Mais une goutte de plus a fait déborder le vase : la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, entrée en vigueur le 1er janvier 2001. L'une des dispositions nouvelles prévoit que les policiers doivent aviser le procureur de la République dès le début de la garde à vue et non plus «dans les meilleurs délais». Ce qui avait pour objectif d'améliorer les droits de la personne mise en cause se traduit, dans le concret, par la nécessité de joindre un représentant du Parquet à tous moment. D'où la multiplication des permanences de nuit, particulièrement difficiles à assurer dans les petites juridictions comptant peu de magistrats. Réforme gourmande en moyens humains, la nouvelle loi semble aux magistrats difficilement applicable sans renforts massifs. Et lorsque Marylise Lebranchu, ministre de la Justice, rappelle que plus de 700 postes de magistrats ont été créés entre 1998 et 2001, les syndicats affirment qu'ils ne suffisaient même pas à éponger les dossiers en souffrance, avant la réforme de la présomption d'innocence. la ministre a cependant reconnu qu'une réflexion devait s'engager rapidement sur l'organisation et le fonctionnement de l'institution judiciaire afin d'en améliorer la qualité.

Le mécontentement des juges rejoint celui des citoyens pour lesquels la justice est trop compliquée, lourde et longue, voire même peu équitable. Ceux qui rendent une telle justice se sentent donc mal aimés. A cela s'ajoutent, avec la montée en puissance des affaires politico-financières, les mises en cause des juges d'instruction, surtout quand on peut leur reprocher des erreurs de procédure. Certains d'entre eux estiment ne pas recevoir tout le soutien nécessaire de leur hiérarchie.

Enfin, tout récemment, la ministre de la justice a dû reconnaître le «fonctionnement défectueux» de l'institution dans l'affaire de la disparition de jeunes handicapées mentales dans les années 70. Dans le climat créé par une série d'affaires de pédophilie cet aveu de négligence n'améliore pas l'image de la justice dans l'opinion publique.



par Francine  Quentin

Article publié le 08/03/2001