Culture
Les Kwagh Hir, les «<i>guignols</i>» du Nigeria
Les Kwagh Hir arrivent à Paris vendredi à l'occasion de la cinquième édition du Festival de l'Imaginaire. Il s'agit d'étonnants spectacles de marionnettistes nigérians, très populaires et qui mêlent parodie et satire. Avant le rendez-vous parisien, reportage en pays Tiv, une région reculée du Nigeria.
Alors que la nuit tombe, un étrange cercle se forme au centre d'Anéné, un village isolé de la région de Makurdi, au centre du Nigeria. Après qu'un vieil homme a invoqué les esprits des ancêtres -préalable indispensable au spectacle du Kwag Hir (la chose du Lièvre)-, des marionnettes sur caisse font leur apparition au milieu du cercle formé par la foule des villageois. Pareils à «des Guignols de l'info», perdus au milieu de l'Afrique, les figurines s'agitent dans la semi obscurité. Les mouvements saccadés des marionnettes sont accompagnés de danses et de chants en langue Tiv, une ethnie du centre du Nigeria, regroupant près de deux millions de personnes. Ces chants constituent aussi une forme de critique sociale. Ils dénoncent tout aussi bien la fille cupide que l'homme à femmes qui risque de contracter le Sida à force de multiplier les aventures sans utiliser de préservatif.
Les villageois retiennent leur souffle quand apparaît un homme au masque vert, visage émacié, qui ressemble à celui dépeint dans «Le Cri», le tableau de Munch. La danse du malade atteint du Sida retient l'attention dans la région du Nigeria la plus menacée par l'épidémie. Dans l'Etat de la Bénoué, il toucherait plus de 15 % de la population. Une autre marionnette, dénommée la «femme têtue», montre une mère de famille qui tient à peine debout. Enceinte, elle porte un enfant dans le dos. La représentation de ses souffrances a pour but d'inciter les femmes à limiter les naissances. Plus inquiétant, la marionnette géante d'un démon dévorant la tête d'un homme.
«Le Kwag Hir a d'abord eu pour fonction de faire comprendre aux jeunes qu'il faut réfléchir avant de s'éloigner de sa communauté. Mais avec le temps, il est devenu plus critique et s'adresse aussi aux adultes» note Mary, l'une des danseuses de la troupe. Il a aussi une autre fonction, plus philosophique : «montrer qu'il faut se méfier des apparences» explique Ben, un des manipulateurs de marionnettes. A n'importe quel instant, un sac plein de billets peut se transformer en panier infesté de serpents.
Unique au monde
«La chose du lièvre» rappelle qu'il faut perpétuellement rester sur ses gardes dans un monde où les mauvais esprits mènent la danse. Dans ce village sans électricité, situé à plus de dix kilomètres des routes bitumées, il peut paraître étonnant de découvrir des spectacles aussi en phase avec les problèmes sociaux majeurs. D'une grande qualité artistique, les marionnettes et les masques sont réalisés par des jeunes sculpteurs qui quittent rarement leur village. «Nous nous informons des évolutions du monde grâce à la radio. Et après, nous créons ce qui nous passe par la tête, sans contrôle. Comme nous n'avons pas la télévision, le Kwag Hir est aussi un moyen de divertir le village, les jeunes comme les anciens», note John, l'un de ces sculpteurs bénévoles qui travaillent avec des «bouts de chandelles». Du raphia et des bandes magnétiques usagés habillent notamment leurs créations. Mais le succès du Kwag Hir est aussi dû à son ancrage dans la culture Tiv.
«Depuis que nous avons été christianisés, c'est le seul moment où nous avons le droit d'invoquer les croyances traditionnelles. Le Kwag Hir rappelle aussi aux jeunes qu'il existe encore des esprits bénéfiques et des maléfiques», explique l'un des vieux du village, qui regrette amèrement que la christianisation ait presque englouti les dieux anciens.
Un village Tiv sur quatre possède son Kwag Hir. L'Etat de la Bénoué organise régulièrement des compétitions entre villages. «L'ethnie Tiv est la seule à réaliser ce type de spectacle en Afrique, il faut absolument que l'Etat encourage cette grande créativité artistique et évite qu'elle ne disparaisse avec le développement de la télévision», soutient Monsieur Lighom, le directeur des Arts et de la Culture de l'Etat de la Bénoué. Vainqueur de la compétition annuelle de Kwag Hir, la troupe d'Anéné est d'autant plus motivée pour montrer son savoir faire qu'elle est invitée à se produire en France dans le cadre du Festival de l'imaginaire, organisé par la Maison des cultures du monde. Un spectacle de Kwag Hir sera présenté les 2,3 et 4 mars au Musée national des art d'Afrique et d'Océanie, à Paris.
Tout surpris de cet honneur, les villageois s'interrogent : «mais pourquoi est-ce que les Blancs s'intéressent au Kwag Hir?», demande un vieux du village. Quand un Français lui répond «parce que c'est un spectacle unique au monde», il reste interloqué. Avant d'ajouter : «Jamais je n'aurais cru que nos jeunes pourraient faire quelque chose d'unique au monde. Un esprit bien particulier doit protéger ce village».
Les villageois retiennent leur souffle quand apparaît un homme au masque vert, visage émacié, qui ressemble à celui dépeint dans «Le Cri», le tableau de Munch. La danse du malade atteint du Sida retient l'attention dans la région du Nigeria la plus menacée par l'épidémie. Dans l'Etat de la Bénoué, il toucherait plus de 15 % de la population. Une autre marionnette, dénommée la «femme têtue», montre une mère de famille qui tient à peine debout. Enceinte, elle porte un enfant dans le dos. La représentation de ses souffrances a pour but d'inciter les femmes à limiter les naissances. Plus inquiétant, la marionnette géante d'un démon dévorant la tête d'un homme.
«Le Kwag Hir a d'abord eu pour fonction de faire comprendre aux jeunes qu'il faut réfléchir avant de s'éloigner de sa communauté. Mais avec le temps, il est devenu plus critique et s'adresse aussi aux adultes» note Mary, l'une des danseuses de la troupe. Il a aussi une autre fonction, plus philosophique : «montrer qu'il faut se méfier des apparences» explique Ben, un des manipulateurs de marionnettes. A n'importe quel instant, un sac plein de billets peut se transformer en panier infesté de serpents.
Unique au monde
«La chose du lièvre» rappelle qu'il faut perpétuellement rester sur ses gardes dans un monde où les mauvais esprits mènent la danse. Dans ce village sans électricité, situé à plus de dix kilomètres des routes bitumées, il peut paraître étonnant de découvrir des spectacles aussi en phase avec les problèmes sociaux majeurs. D'une grande qualité artistique, les marionnettes et les masques sont réalisés par des jeunes sculpteurs qui quittent rarement leur village. «Nous nous informons des évolutions du monde grâce à la radio. Et après, nous créons ce qui nous passe par la tête, sans contrôle. Comme nous n'avons pas la télévision, le Kwag Hir est aussi un moyen de divertir le village, les jeunes comme les anciens», note John, l'un de ces sculpteurs bénévoles qui travaillent avec des «bouts de chandelles». Du raphia et des bandes magnétiques usagés habillent notamment leurs créations. Mais le succès du Kwag Hir est aussi dû à son ancrage dans la culture Tiv.
«Depuis que nous avons été christianisés, c'est le seul moment où nous avons le droit d'invoquer les croyances traditionnelles. Le Kwag Hir rappelle aussi aux jeunes qu'il existe encore des esprits bénéfiques et des maléfiques», explique l'un des vieux du village, qui regrette amèrement que la christianisation ait presque englouti les dieux anciens.
Un village Tiv sur quatre possède son Kwag Hir. L'Etat de la Bénoué organise régulièrement des compétitions entre villages. «L'ethnie Tiv est la seule à réaliser ce type de spectacle en Afrique, il faut absolument que l'Etat encourage cette grande créativité artistique et évite qu'elle ne disparaisse avec le développement de la télévision», soutient Monsieur Lighom, le directeur des Arts et de la Culture de l'Etat de la Bénoué. Vainqueur de la compétition annuelle de Kwag Hir, la troupe d'Anéné est d'autant plus motivée pour montrer son savoir faire qu'elle est invitée à se produire en France dans le cadre du Festival de l'imaginaire, organisé par la Maison des cultures du monde. Un spectacle de Kwag Hir sera présenté les 2,3 et 4 mars au Musée national des art d'Afrique et d'Océanie, à Paris.
Tout surpris de cet honneur, les villageois s'interrogent : «mais pourquoi est-ce que les Blancs s'intéressent au Kwag Hir?», demande un vieux du village. Quand un Français lui répond «parce que c'est un spectacle unique au monde», il reste interloqué. Avant d'ajouter : «Jamais je n'aurais cru que nos jeunes pourraient faire quelque chose d'unique au monde. Un esprit bien particulier doit protéger ce village».
par Pierre Cherruau
Article publié le 02/03/2001