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Liberia

Stephen Ellis :<br> «Taylor est le noeud du problème»<br>

Le conseil de sécurité des Nations unies a renforcé les sanctions contre le Liberia, mercredi 7 mars, pour obliger le régime de Charles Taylor à rompre ses liens avec les rebelles sierra-léonais du RUF. Pour Stephen Ellis, chercheur au Centre d'études africaines de Leiden (Pays-Bas), et spécialiste du Liberia, Charles Taylor reste l'un des principaux facteurs de déstabilisation dans la région.
RFI: La résolution de l'ONU prévoit un embargo immédiat sur les armes et des sanctions économiques dans deux mois si Monrovia n'obtempère pas, mais exclut l'interdiction d'exportation des bois tropicaux. Il s'agit en fait d'un compromis entre partisans et adversaires d'une ligne dure vis-à-vis de Taylor. Comment analysez-vous ces différences de position?

Stephen Ellis: Il y a des différences importantes entre les Britanniques et les Américains d'une part et la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'ouest. Grosso Modo, beaucoup d'acteurs internationaux voient dans le Liberia, et même dans la personne de Taylor, le noyau du problème. Donc ils veulent l'isoler avec des sanctions économiques. Or, il n'a actuellement pas beaucoup d'appuis. Mais parmi ses alliés, il y a certains pays de la Cedeao, dont le Burkina Faso. La France est moins sévère que certains autres pays occidentaux. Je pense que les raisons sont en partie historiques. Il y a dix ans, au début de la guerre du Liberia, la France soutenait Taylor à travers la Côte d'Ivoire. La France est un client important du Liberia, notamment pour les importations de bois. Le résultat est qu'elle est beaucoup moins favorable que d'autres pays à des sanctions concernant le bois.

RFI: La Guinée connaît régulièrement des affrontements à ses frontières, depuis plusieurs mois. Quelle est la part de responsabilité du Liberia ?

S.E: Ce n'est pas tout à fait clair, car il y a peu d'observateurs indépendants dans la région. Mais je pense qu'il faut tenir compte de l'histoire de ces dix dernières années. Des exilés guinéens, y compris des officiers de l'armée guinéenne qui ont tenté des coups d'Etat dans le passé, se sont réfugiés auprès de Charles Taylor. On dit qu'il a près de lui un fils de l'ancien président guinéen Sekou Touré. Bref, il a rassemblé autour de lui des dissidents et des exilés guinéens qui maintenant essayent de retourner en force chez eux. Et inversement, au moins une milice libérienne, l'Ulimo (United Liberation Movement of Liberia for Democracy), dans le temps avait recruté beaucoup de ses partisans en Guinée, recevait des armes de l'armée guinéenne, bref était plus ou moins une force auxiliaire de l'armée guinéenne. La conjoncture actuelle est complexe. Il y a d'abord eu l'exode massif de réfugiés de Sierra Leone et du Liberia en territoire guinéen. Il y ensuite les problèmes politiques en Guinée et, depuis récemment, le fait que le RUF soit sous pression chez lui, qui fait que beaucoup de ses combattants sont passés en Guinée pour piller. Tout cela fait que la guerre a pris véritablement racine en Guinée, alors que par le passé, il s'agissait d'affaires beaucoup plus ponctuelles, de trois à quatre à mort. Cette fois-ci, il s'agit de combats massifs.RFI: L'Ulimo a, vous venez de le dire, longtemps combattu aux côtés ou à la place de l'armée guinéenne. Quelle est sa position dans les affrontements actuels?

S.E: L'Ulimo a été créé en 1991, à Conakry. Elle était composée à l'époque de Libériens. Et ensuite, le mouvement s'est scindé en deux factions qui ont joué un rôle important dans les guerres au Libéria et en Sierra Leone. Actuellement, il est clair que l'Ulimo est partie prenante dans la guerre en Guinée et il semble qu'elle est divisée en plusieurs tendances.

RFI: On sait que le Liberia est le principal soutien du RUF. Mais on dit aussi que la situation de son allié pousse Taylor, qui n'a plus la même facilité à exploiter le diamant sierra-léonais, à chercher de nouveaux débouchés côté guinéen. L'hypothèse vous semble-t-elle plausible?

S.E: Pas tout à fait. Dans toutes les guerres de la région les facteurs politiques sont très mêlés aux facteurs économiques. Je pense qu'en général, la guerre qui a secoué la Sierra Leone et maintenant la Guinée, ce n'est pas une guerre pour le diamant. Le diamant est devenu très important dans le financement de ces guerres-là. Evidemment beaucoup de gens, du petit combattant au grand chef, veulent s'enrichir par la guerre. Mais ce n'est pas le fond du problème. Les trafics existent. Et les attaques en Guinée sont aussi dues à un désir de s'emparer de certains champs diamantifères. Mais je pense que le but principal, c'est de déstabiliser la Guinée et de remplacer le président guinéen Lansana Conté.

RFI: Vous accréditez donc la thèse, rejetée par certains, selon laquelle c'est Lansana Conté qui est visé dans la crise actuelle et qu'il existe une alliance objective entre des dissidents guinéens et des forces étrangères?

S.E: Ce que je ne sais pas c'est la proportion des combattants d'origine guinéenne. Mais c'est sûr qu'il ne faut pas perdre de vue des buts politiques dans cette guerre et notamment le remplacement de Lansana Conté.

RFI: Il est justement question d'une intervention militaire, sans cesse repoussée, de la Cedeao à la frontière guinéenne pour mettre fin à l'instabilité. Est-ce la bonne solution pour régler la crise?

S.E: La situation évolue rapidement. Donc les calculs ou les solutions imaginables aussi. Une chose est sûre: sans une intervention militaire, la situation dans la région va aller de pire en pire, parce que la Cedeao a montré dans le passé qu'elle est incapable d'apporter la paix à la région. On l'a vu à plusieurs reprises au Liberia puis en Sierra Leone. A mon sens, la meilleure solution serait que les pouvoirs occidentaux, interviennent en Guinée. Pas forcément à la manière ancienne, avec une intervention française type «barracuda», mais en collaboration avec une force de maintien de l'ordre régionale. Il faut que les diplomates et les militaires se concertent rapidement pour un appui non seulement logistique, mais aussi avec des éléments militaires sur le terrain. Je pense que la combinaison d'une force régionale et d'acteurs externes est la seule voie possible pour limiter les dégâts.





par Propos recueillis par Christophe  CHAMPIN

Article publié le 08/03/2001