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Trafic d''armes

Jacques Monsieur, trafiquant d'armes

Après l'Angolagate, voici qu'une deuxième affaire de ventes d'armes illicites est mise au jour en France. La justice enquète sur des ventes d'armes qui ont alimenté un certain nombre de conflits, de l'ex-Yougoslavie à l'Amérique du sud, en passant par l'Afrique. Sur le continent, plusieurs pays sont directement concernés : le Congo-Brazzaville, en 1997, la RD Congo de Laurent-Désiré Kabila et l'Angola. Au centre de ces opérations, un homme longtemps protégé par les services de renseignements occidentaux. Jacques Monsieur, 48 ans, de nationalité belge, qui est officiellement détenu à Téhéranà par ses anciens clients. En Belgique et en France, plusieurs magistrats sont en train de décortiquer les opérations de ce mystérieux marchand d'armes. Enquête de David Servenay.
Lorsqu'ils pénétrent dans le haras de Jacques Monsieur, à Lignières, au sud de Bourges dans le centre de la France, les gendarmes n'en croient pas leurs yeux. Dans cette vaste demeure, les enquêteurs français et leurs collègues belges agissant sur commission rogatoire internationale d'un magistrat de Bruxelles découvrent une montagne de documents. Des fax, des bordereaux de commandes, des revues et des catalogues vantant les «mines les plus meurtrières du monde». Bref, les archives presque complètes de 20 ans de la vie professionnelle d'un marchand d'armes.

Face aux gendarmes, l'homme est affable, le sourire confiant car, dit-il, ses «protections permettront d'étouffer l'affaire». En quittant la propriété d'une centaine d'hectares, les gendarmes français savent qu'ils ont du pain sur la planche. Avec le magistrat instructeur Gérard Canolle, ils vont éplucher plus de 3 000 pièces pour décortiquer l'écheveau des opérations organisées dans le monde entier.

Dans cette histoire, les Belges ont de l'avance. A Bruxelles, Jacques Monsieur a épuisé six magistrats et sept enquêtes judiciaires: son cas n'a jamais dépassé le stade de l'instruction. Et puis en 1993, un juge trouve le bon angle, celui du droit des sociétés. Faux en écriture, non respect des procédures d'autorisation sur le commerce de matériel de guerre, autant de chefs d'inculpation qui permettent de mieux cerner le rôle joué par Matimco, société créée par Jacques Monsieur pour servir de coquille légale aux circuits financiers qui alimentent les trafics d'armes.

Du Golfe persique au Golfe de Guinée

Les armes, les hommes et surtout, le service: c'est cet aspect «clé en main» des services de Jacques Monsieur qui va séduire quelques présidences africaines. Au printemps 1997, le président Pascal Lissouba commence à sentir le vent de la fronde organisée par son vieil adversaire Denis Sassou Nguesso. Pour faire face aux Cobras, les troupes gouvernementales ont besoin d'armes et de munitions. Malheureusement, les caisses de l'Etat sont vides. Jacques Monsieur trouve la solution. Il faut une garantie de paiement. C'est là qu'interviennent les hommes d'Elf. Officiellement, André Tarallo et Jack Sigolet n'ont plus de fonctions au sein de la compagnie pétrolière.

Officieusement, ils continuent à gérer les satellites de la FIBA, la banque qui gère les revenus du pétrole pour le compte des Etats et des présidences africaines. L'idée est simple: Tarallo et Sigolet font une avance à Lissouba pour qu'il puisse acheter les armes. En échange, ils obtiennent des gages sur le pétrole congolais, sur de l'or noir qui ne sera extrait de terre que dans quelques années.

Après la victoire de ses «Cobras», Denis Sassou Nguesso reprend le pouvoir età les dettes de l'Etat congolais, dettes qu'il accepte dans leur ensemble, à l'exception des factures correspondant aux armes livrées par Jacques Monsieur. Là débute une négociation interminable, dont les enjeux dépassent de loin le cas du marchand d'armes. Comme l'a révélé le quotidien belge Le Soir, les protagonistes de l'affaire trouvent un terrain d'entente en décembre 1998, lors d'une réunion à l'hôtel Hilton de Genève, en Suisse. Au terme de cet accord, Jacques Monsieur et ses associés abandonnent une créance de 15 millions de dollars, contre paiement, pour solde de tout compte de cinq millions de dollars. Plus un renvoi d'ascenseur: Jack Sigolet s'engage à favoriser les affaires de Jacques Monsieur au Congo-Brazzaville et en Angola. Le Congo va rembourser quatre millions de dollars et puis au mois d'avril 2000, date du dernier paiement, tout coince. Pourtant Jacques Monsieur s'énerve, menace mais rien n'y fait.

Six mois plus tard, en novembre 2000, au cours d'un voyage à Téhéran, l'homme disparaît. L'agence de presse Irna annonce d'abord qu'un citoyen belge est détenu pour «espionnage». Ensuite, elle ajoute qu'il s'agit d'un citoyen ivoirien, puisqu'il est entré en Iran avec ce document. L'homme d'affaires possède au moins deux passeports, dont un diplomatique, délivrés par la Côte d'Ivoire quelques semaines avant le putsch de Noël 1999. Plusieurs sources ont, depuis, confirmé l'identité de l'intéressé. Tous les observateurs estiment aujourd'hui que Jacques Monsieur ne peut pas avoir été arrêté par ses anciens clients iraniens. A Bruxelles, la Chambre du Conseil du Roi ûqui instruit les enquêtes judiciaires- devrait bientôt le renvoyer devant un tribunal correctionnel. Tandis qu'à Bourges, un juge isolé a sollicité, il y a un mois du parquet, la diffusion d'un mandat s'arrêt international car il reste de nombreux points d'interrogation autour de cette affaire.

D'abord, comment un homme a-t-il pu tranquillement, pendant des années, organiser un trafic d'armes international dans la quiétude d'un haras dans le Berry ? Visiblement, les protecteurs de Jacques Monsieur, au sein des services de renseignements, ont changé d'orientation stratégique. Fait-il un parfait bouc-émissaire? Pourquoi une grande compagnie pétrolière s'est-elle servie d'un tel intermédiaire ? Pour le moment, Elf refuse de communiquer sur les «affaires en cours». Sans oublier toutes les affaires sur lesquelles l'ancien officier n'a pas été interrogé, en particulier un vaste montage Iran/RD Congo d'échange d'armes contre des minerais (diamants, coltan et même uranium enrichi proposé aux Iraniens qui ont, semble-t-il, refusé). Enfin, l'Angola, pays pour lequel une aide avait été promise par l'équipe de Jack Sigolet, est-il resté à l'écart du réseau Monsieur ?

En France, Jacques Monsieur risque au maximum cinq ans de prison.

Au c£ur des investigations belges, l'Iran occupe une place de choix. Dans les années 80, la République islamique utilise les compétences et les relations de Jacques Monsieur pour obtenir des armes, en violation de l'embargo international. Comme les Etats-Unis veulent pouvoir faire pièce à l'Irak, Washington décide de recourir aux services de l'intermédiaire belge. Jacques Monsieur peut donc fournir des missiles américains, fabriqués sous licence belge, avec un certificat "end-user" israélien (autrement dit l'utilisateur final des armes est l'armée israélienne prétendent les certificats). En 1985, les douanes suisses découvriront le pot aux roses, car le circuit de paiement passe par l'ambassade iranienne.

Fort de cette expérience et d'appuis au sein des structures de l'OTAN, Jacques Monsieur va développer son entreprise. Entre 1993 et 1995, il vend des munitions aux musulmans de Bosnie, là encore en violation de l'embargo international. Sur le terrain, c'est un certain Marty Cappiau qui s'occupe de la logistique: fenêtre de passage pour les bateaux livrant le matériel en évitant les marines occidentales, chemins discrets pour parvenir à destination. De nationalité belge et croate, Marty «James» Cappiau se recyclera plus tard au Congo, mercenaire au côté de Pascal Lissouba, touchant 50000 dollars mensuels versés par Jacques Monsieur. Devenu tueur à gages, Marty Cappiau est mort le 24 mars dernier, après avoir été touché par le garde du corps du parrain croate qu'il avait pour mission d'éliminer. La cible, Vjeko Slisko n'a d'ailleurs pas survécu à cet attentat.

Lien utile:
Le Berry Républicain a été l'un des premiers journaux à évoquer l'affaire



par David  Servenay

Article publié le 04/04/2001