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Comores

La déstabilisation permanente

Séparatisme, coups de force ou encore assassinat d'hommes d'Etat. Le petit archipel de quatre îles, situé dans l'océan indien, vit dans une agitation politique et militaire sans fin depuis plus d'un siècle. A sa tête aujourd'hui une junte militaire, arrivée au pouvoir par un coup de force en 1999.
C'est au XIXème siècle, que prend fin la période dite des Sultans Batailleurs. Il s'agit d'un temps de guerre, où les quelques familles régnantes de l'Archipel, souvent liées entre elles par le sang, se disputaient le droit de mener la destinée du pays. Pour arriver à leur fin, ils s'allièrent pour la plupart à des puissances étrangères. Mais à la longue, leurs pouvoirs respectifs s'affaiblirent tellement que la France en profita pour y imposer sa loi coloniale. Mayotte fut la première des îles à basculer sous 'protectorat' en 1843, après avoir été acheté à Andriantsoly, «un usurpateur malgache»"*. Les autres îles suivirent assez vite, dans la seconde moitié du siècle selon un schéma simple et facile : «Les sultans ont vendu leurs îles, même s'ils ont été le plus souvent les victimes de ruses de la part du colonisateur», dixit l'historien Mahmoud Ibrahim**. Néanmoins, il était bien établi à l'époque que les quatre îles, malgré les dissensions apparentes entre les clans au pouvoir, appartenaient au même ensemble culturel, historique, religieux, voire linguistique.

Une situation remise en cause par la France dès 1974, lors du 'référendum d'autodétermination', lorsque celle-ci par choix stratégique décide soudainement, sans tenir compte des accords passés pour une consultation globale de l'Archipel, de prendre en considération les volontés exprimées île par île. 95% de la population comorienne se prononce pour l'indépendance. Mais comme à Mayotte, 8 783 bulletins répondent «non» à la volonté de ne plus être sous colonisation française contre 5 110 bulletins qui disent «oui», le Parlement dans l'Hexagone décide de reporter l'indépendance prévue et de soumettre un projet de constitution ultérieurement à la volonté de chaque île. C'était le 3 juillet 1975. Trois jours plus tard, Ahmed Abdallah proclame l'indépendance unilatérale. Aux Mahorais, dont le séparatiste est en tous points soutenu par Paris, il avance deux métaphores d'ordre animal, persuadés qu'ils reviendront dans l'ensemble : «Un b£uf ne mange pas un b£uf/ Une vache n'a pas trois pattes mais quatre». L'histoire lui donnera tort. Car vingt cinq années plus tard, Mayotte, qui s'apprête à devenir une collectivité départementale sous la bénédiction du camp socialiste qui s'opposait à son rattachement à la France en 1975, n'est pas prête de revenir dans l'ensemble.

Tensions post-coloniales

Dès la constitution du nouvel Etat, reconnu par la communauté internationale, avec une résolution des Nations Unies condamnant la France, le spectre des Batailleurs refit surface. Les clans se réformèrent, sous des formes plus modernes, moins attachées à la notion de sultanat. Le 3 août 1975, s'instaure une révolution populaire contre le clan des verts conservateurs, dirigé par Ahmed Abdallah. A sa tête, se trouve Ali Soilih, qui se revendique de la lutte des classes. Trois ans plus tard, il meurt assassiné par les sbires du mercenaire français Bob Denard, qui réinstalle Abdallah au pouvoir. S'ensuit une période de dictature et de népotisme organisés. En 1989, Abdallah succombe sous le feu des sbires de Denard à son tour. Saïd Mohamed Djohar le remplace et institue une «des-mot-crachats», appellation qu'il donne lui-même à la notion de démocratie. Il finira déporté à l'île de la Réunion après un nouveau coup d'Etat en 1995. Après une brève période de transition, ont lieu les premières élections «véritablement démocratiques du pays». Taki Abdoulkarim est élu. Il mourra trois ans plus tard dans des circonstances inconnues. Durant son régime, l'île d'Anjouan, suivi de loin par celle de Mohéli, décide de se séparer de l'Etat comorien. Les sécessionnistes parlent alors de rattachement à la France, avant de déclarer leur indépendance purement et simplement. Un régime intérimaire, intégrant l'opposition nationale, essaye de gérer l'après-Taki. L'actuel président, le Colonel Azali, chef d'Etat-major durant cette période, s'empare alors du pouvoir par un coup de force (le 19ème de la série), en promettant de rétablir la légalité constitutionnelle et de réconcilier les îles s£urs. Seuls points communs entre tous ces régimes passés et l'actuel clan au pouvoir : la répression et la corruption. Résultat des courses : un archipel en total délitement, qui essaye tant bien que mal de retrouver son unicité, pourtant attestée dans le passé.

* La naissance de l'élite comorienne (1945 - 1975) de l'historien Mahmoud Ibrahim, L'Harmattan, 2000
** Idem



par Soeuf  Elbadawi

Article publié le 07/05/2001