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Chine

«<i>Le printemps de Pékin</i>» raconté par un protagoniste

Dans la nuit du 3 au 4 juin 1989, Place Tienanmen, à Pékin, les autorités chinoises ont réprimé dans un bain de sang le plus vaste mouvement populaire en faveur de la démocratie que la Chine ait connu. Des étudiants réunis massivement sur cette place ont manifesté leur désir de plus de libertés démocratiques et leur dégoût devant la corruption des dirigeants. Face à leur détermination et aux fractures au sein même du parti, les autorités ont imposé la loi martiale tandis que des milliers d'étudiants entamaient une grève de la faim. C'est dans ce contexte qu'ont été arrêtés des dizaines de milliers de Chinois dans tout le pays - le mouvement ayant gagné aussi bien les ouvriers, les paysans que les intellectuels -et que les chars ont nettoyé la Place Tienanmen, tuant des milliers de personnes rassemblées pacifiquement. Zhang Jian, ancien chef du piquet étudiant, touché par une balle qui est toujours logée dans sa jambe droite, a pu échapper à la police. Il a vécu dix ans sous une fausse identité avant de «passer à l'Ouest». Récit poignant d'un dissident que Yan Chen, de la rédaction chinoise de RFI, a rencontré à Paris.
J'avais 18 ans lors des évènements de 1989. Elève de l'Ecole des Sports au stade de Pékin, j'allais entrer à la faculté. J'ai été membre, puis chef du piquet étudiant assurant l'ordre et la sécurité des grévistes de la faim, Place Tienanmen.

Dans la nuit du 3 au 4 juin, devant la tribune d'honneur, un lieutenant-colonel qui conduisait des troupes d'assaut, a tiré trois balles, à dix mètres de moi, dont une est venue se loger dans ma jambe droite. C'est dans ce face-à-face ultime que je suis tombé avant de crier : «Ne tirez pas ! Nous sommes étudiants, les mains nues. Si vous tenez à nous tuer, commencez par moi !». Cette nuit là, les soldats ont convergé vers la Place embrasée sous un ciel enflammé, faisant plusieurs morts et blessés.

A la suite de cette fusillade, j'ai été transporté dans un hôpital avec mes autres camarades. Je suis ensuite allé en convalescence dans la banlieue de Pékin, chez un parent proche. J'ai ainsi pu échapper à la surveillance de la police et j'ai trouvé refuge dans le Nord-Est du pays, sous une fausse identité.

Le récit de Zhang Jian (20', en chinois)

Pendant les événements, je n'ai jamais quitté la Place Tienanmen excepté le jour où je suis revenu à la maison pour me changer. L'expérience que j'ai vécue me permet de vous dire que les autorités ont menti quand elles ont dit qu'aucun coup de feu n'avait été tiré et que personne n'avait été blessé. Depuis quelques années, j'ai pu renouer clandestinement des liens avec certains de mes camarades et continuer ainsi la lutte en faveur de la démocratie. Je suis bien décidé à continuer mon action et mes camarades également.

Aujourd'hui, je suis en France pour soigner ma jambe qui me fait atrocement mal, surtout les jours de pluie. Ma jambe est toute décharnée, a la même grosseur que mon bras et j'ai beaucoup de difficulté à articuler mon genou. Durant ces événements, nous avons prouvé que nous n'étions pas des lâches et je ne considère pas que nous soyons l'élite ou encore les meilleurs, mais nous sommes des êtres humains avec toute la dignité qui doit leur revenir.



par Propos recueillis par Yan  Chen

Article publié le 01/06/2001