Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Croatie

Zagreb prêt à livrer ses criminels de guerre

Le débat a failli provoquer la chute du gouvernement croate, mais Zagreb a finalement accepté de livrer au Tribunal pénal international de La Haye les personnalités croates qu'il veut entendre et juger.
De notre correspondant dans les Balkans

C'est plus qu'une victoire pour Ivica Racan. Le Premier ministre social-démocrate de Croatie avait failli être emporté par la crise politique ouverte par les perspectives de coopération de son pays avec le Tribunal pénal international de La Haye, mais les deux tiers des députés croates ont finalement voté la confiance au gouvernement, tard dans la soirée de dimanche à lundi, après d'interminables débats. La Croatie doit donc désormais assumer ses obligations, et remettre les personnalités recherchées par la juridiction internationale.

La crise avait été ouverte le 7 juillet, lorsque les autorités de Zagreb avaient annoncé qu'elles entendaient livrer le général Rahim Ademi, soupçonné d'exactions contre des civils serbes lors de la reprise de la poche de Medak, en Slavonie occidentale, en 1993, ainsi que le général Ante Gotovina, principal commandant de l'opération «Tempête», qui avait permis à la Croatie de reprendre le contrôle de la Krajina, en août 1995. La décision des autorités de Zagreb avait suscité un tollé dans un pays où le souvenir de la guerre est encore brûlant. Des associations patriotiques et des cercles d'anciens combattants ont multiplié les protestations et les manifestations. Dimanche, lors de la session du Parlement, des manifestants avaient réussi à s'infiltrer dans les tribunes du public, en arborant des tee-shirts qui proclamaient¯: «protégeons nos û et, espérons-le, vos û héros».

Le général Ademi, d'origine albanaise, a annoncé qu'il s'estimait innocent mais qu'il se rendrait de son propre gré à La Haye. L'affaire de Medak pourrait cependant faire apparaître d'autres responsabilités, notamment celle d'un certain Agim Ceku, qui combattait alors sous les ordres du général Ademi et qui préside aujourd'hui aux destinées du Corps de sécurité du Kosovo (TMK). Pour sa part, le général Gotovina a pris le maquis, et jouirait de la protection de ses anciens soldats. Son arrestation pourrait se révéler très dangereuse pour les autorités croates.

Une arrestation à hauts risques

Paradoxalement, c'est le transfert de Slobodan Milosevic à La Haye qui a scellé le sort des deux généraux. Jusqu'à présent, Zagreb n'avait accepté de remettre à la juridiction internationale que des Croates de Bosnie, tandis que, pour la première fois, vont être jugées des exactions commises lors de la «libération» du territoire national croate.

Conduite par le parti de la Communauté démocratique croate (HDZ) de l'ancien Président Franjo Tudjman, décédé en décembre 1999, l'opposition nationaliste surfe sur le mécontentement de l'opinion, en dénonçant les risques d'un dérapage «révisionniste», qui transformerait la «guerre patriotique» face à «l'agression serbe» en une simple «guerre civile». Lors des élections locales de mai dernier, le HDZ, qui a trouvé une nouvelle figure de proue avec le fils de Franjo Tudjman, avait confirmé son statut de principale force d'opposition, en enregistrant de nets progrès par rapport aux élections de janvier 2000, qui avaient été marquées par le triomphe de l'opposition de centre-gauche.

Au sein même de la coalition gouvernementale, la perspective de coopération avec le Tribunal de La Haye ne va pas sans heurts. Quatre ministres issus du Parti social-libéral croate (HSLS) ont présenté leur démission, et le HSLS menaçait de rompre la solidarité gouvernementale. Les députés de ce parti ont porté renouvelé leur confiance à Ivica Racan. S'adressant aux députés à plusieurs reprises, celui-ci avait souligné les risques «d'isolement» qui menaceraient la Croatie si elle refusait de coopérer avec la justice internationale, tout en soulignant «la nécessité et la difficulté» de revenir sur les «épisodes sombres du passé», «surtout pour un petit pays» comme la Croatie.

L'arrestation du général Gotovina, qui dénonce le caractère «politique» du TPI menace cependant d'être un épisode à hauts risques pour le gouvernement, tandis que l'opposition pourra cristalliser frustrations sociales et économiques en même temps qu'insatisfactions «patriotiques». Nombreux sont en effet les Croates qui constatent que la Serbie a su monnayer au prix fort la livraison de Slobodan Milosevic, tandis que la Croatie s'enfonce toujours plus dans la crise économique.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 17/07/2001