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Fracture numérique

Utiliser les technologies pour le développement

Entretien avec Valérie Peugeot (membre de la Veille Européenne et Citoyenne sur les Autoroutes de l'information et le Multimédia, VECAM), représentante française au sein de la Dot Force (Digital Opportunity Task Force, en français groupe d'experts pour l'accès aux nouvelles technologies, G.E.A.N.T) créé à l'occasion du dernier sommet du G8 il y a un an.
RFI: Quel est l'état de la «fracture numérique» dans le monde ?
Valérie Peugeot:
Quand on parle de «fracture numérique», il est intéressant de parler de l'ensemble des technologies, et pas seulement d'Internet. Aujourd'hui les pays développés regroupent 15% de la population mondiale. Et ces 15% de la population mondiale à eux seuls utilisent 50% des téléphones analogiques. Ils représentent également 70% des utilisateurs de téléphonie mobile, mais ils représentent plus de 80% des utilisateurs d'Internet. On constate vraiment un décalage, si l'on examine le de taux de pénétration en matière d'Internet. Dans les pays développés, on approche une moyenne de 30% de pénétration, alors que dans les pays en développement on est en dessous des 2% (autour des 1,5%û 1,8%).

RFI: Au delà du constat, quels sont les moyens d'action ?
V.P:
Il s'agit en réalité de savoir comment les technologies de l'information peuvent être utilisées comme levier au service des politiques de développement. C'est la technologie comme fil de conducteur dans le cadre d'une politique plus ambitieuse de développement. Par exemple, comment un médecin qui exerce au fond de la brousse, et qui est déconnecté d'une médecine avancée, va pouvoir entrer en relation avec un spécialiste basé dans la capitale, et prendre un certain nombre de décisions que, lui isolé, n'aurait pas pu prendre, évitant à son patient de faire des kilomètres. Mais il s'agit pour le moment d'expériences isolées que l'on arrive pas à répliquer. Il y a un problème de partage de ces expériences, malgré le travail des associations et des ONG dans ce sens. De plus, ces expériences portées par des acteurs isolés ne reçoivent pas le soutien massif de leurs gouvernements pour commencer, ou des organisations internationales pour continuer.

RFI: Qu'avez-vous fait depuis un an au sein de la Dot Force ?
V.P:
Le G8 a confié pour mission à la Dot Force d'élaborer une série de propositions pour réduire la fracture numérique Nord-Sud, c'est-à-dire l'inégalité croissante entre les pays qui entrent dans la société de l'information et ceux qui en sont exclus. Après huit mois de travail, notre rapport préconise un plan d'action pour Gênes.

RFI: Que proposez-vous dans ce rapport ?
V.P:
Il y a trois idées-force dans toute politique de développement de technologies d'information: l'infrastructure technologique, la formation et la participation citoyenne. Dans ce rapport, nous soulignons un certain nombre d'éléments très positifs. A titre d'exemples: les propositions sur la diversité culturelle et linguistique (par exemple, développer des outils multilingues de traduction automatique), sur le logiciel libre, sur les points d'accès associatifs à l'Internet et sur les échanges d'expertise et de savoir-faire Nord-Sud mais aussi Sud-Sud.
Mais nous restons cependant très critiques. Le rapport n'évoque pas à la question essentielle du financement. La question de l'argent était tabou au sein de la Dot Force. Mais l'alternative est claire : soit on se repose sur les forces du marché, soit on va aller puiser dans les budgets d'aide au développement. Or ces politiques publiques au développement ont des moyens très limités.
Le deuxième manque de ce rapport porte sur la question du service public. Il y a deux manières de considérer les choses : soit on considère qu'Internet est un luxe, et il n'est pas grave qu'une partie de la population n'y ait pas accès ; soit on considère que les réseaux vont transformer en profondeur nos modes de production, nos manières de nous développer, et dans ce cas le fait qu'une partie de la population n'ait pas accès à ces technologies est gravissime. Concrètement, nulle part il n'est envisagé dans le rapport que l'on puisse, par exemple, contraindre les entreprises à remplir des missions de service public.

RFI: Qui a participé à vos travaux ?
V.P:
Il y avait autour de la table pour chacun des pays du G8 des représentants des gouvernements, des entreprises et du secteur à but non lucratif (ONG, associations, fondations, etc.). A côté de cette composition tripartite, certains pays du Sud étaient invités. Des pays qui sont le plus avancé en matière d'appropriation des technologies de l'information comme le Brésil, l'Inde, l'Afrique du Sud, le Sénégal ou la Tanzanie, etc. Etaient également présents autour de la table, les grandes organisations internationales comme l'UIT, le PNUD, l'OCDE avec toutefois quelques absents, des représentants du monde syndical et l'OIT.

RFI: Le mandat de la Dot Force va-t-il se prolonger au delà du G8 de Gênes ?
V.P:
Les membres de la Dot Force ne le souhaitent pas, car nous considérons qu'un certain nombre d'institutions ont déjà cette autorité. C'est un thème à la mode, on voit se multiplier les espaces travaillant sur les mêmes enjeux. L'Union internationale des télécommunications (IUT), agence des Nations Unis a également une responsabilité sur ses enjeux là et prépare un sommet sur ces questions qui se va se tenir à Genève en 2003. Un des soucis de la Dot Force est de ne pas multiplier les espaces mais au contraire permettre leur coordination. Le G8 a toujours considéré son rôle comme un rôle d'impulsion, à charge aux instances multilatérales de reprendre le flambeau et de le développer.

(*)Tous les documents-clés liés au travail de la Dot Force sont disponibles sur le site de la VECAM




par Propos recueillis par Myriam  Berber

Article publié le 18/07/2001