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Festival d''Avignon

Shakespeare tordu dans tous les sens

Comme chaque année, Avignon fait la part belle aux jeunes auteurs. Mais le festival ne délaisse pas pour autant les £uvres de répertoire : Marivaux, Molière, Racine, Tchekhov, Feydeau et bien sûr Shakespeare. Dans le «in», la section officielle du festival, le Français Philippe Vincent propose Anatomie Titus fall of Rome, d'après une pièce du dramaturge allemand Heiner Müller directement inspirée du Titus Andronicus shakespearien. Dans le «off» figure un Othello très...décapé.
De notre envoyée spéciale à Avignon

Il était une fois, dans la cité des Doges, un noble vieillard révulsé à l'idée que sa blonde progéniture puisse convoler avec un Africain. Il était une fois, dans la cité des Papes, une troupe de théâtre qui trouva bonne l'idée de tirer de cette trame, où chacun aura reconnu l'Othello de Shakespeare, vers la caricature. L'Othello original, conçu comme un drame du pouvoir et de la jalousie, celle d'Othello, mais aussi celle de Iago, le faux ami qui précipite la chute du Maure de Venise, a été tiré ici sur l'un de ses versants les moins exploités : celui du racisme. Toute la dimension lyrique de la pièce est donc balayée au profit d'une sorte de mélodrame bourgeois. A cette aune, le père de Desdemone n'est plus qu'un bourgeois rétrograde qui refuse de donner la main de sa fille à un « Nègre ».

L'envieux Iago perd son mystère et sa profondeur pour devenir une sorte de marionnette hystérisée par l'envie et la bêtise, un sous ûLouis de Funès. Desdémone elle-même devient une petite mijaurée dont le mode d'expression essentiel est le gloussement. La pièce mise en scène par Antonio Diaz-Florian pour la troupe de la Cartoucherie de Vincennes y gagne évidemment en truculence, les dialogues, qui n'ont plus rien à voir avec ceux de Shakespeare, trouvent parfois des résonances dignes de Molière, ce qu'elle perd en dimension mythique, c'est étrange et hardi, et, en tout état de cause, à déconseiller absolument aux amoureux du barde de Stratford-upon-Avon.

Noces barbares

Tout aussi hardie, mais dans un genre très différent, est l'adaptation de Titus Andronicus faite par le dramaturge allemand Heiner Müller. La pièce de Shakespeare montrait les derniers épisodes de la guerre fratricide que se livrèrent les Goths et les Romains, puis l'éclatement et la chute de l'Empire. D'emblée, Müller pose les enjeux : tous les personnages de Goths sont joués par des hommes, tous les Romains sont des femmes. A sa suite, le metteur en scène Philippe Vincent invente un dispositif complexe où ce qui se déroule sur la scène est sans cesse relayé et redoublé par un écran géant. Ainsi, la scène où la fille du général romain Titus se fait mutiler (langue et mains coupées) par des Goths, qui ne peut (c'est une évidence) qu'être jouée sur le mode symbolique par les acteurs, est «doublée» par un film où l'on voit la même actrice se faire, magie des trucages, amputer des deux mains.

Ici, c'est l'écran qui se veut le témoin fidèle de la fiction, dont les acteurs ne seraient plus que le reflet symbolique (et pourtant ô combien incarné). Saturé d'images, de cris, de musique, bref d'informations, le spectateur se voit entraîné dans une zone étrange où réel et virtuel célèbrent leurs noces barbares, où la violence de l'image semble sans cesse se déposer sur les corps des acteurs. Après Anatomie Titus, Philippe Vincent aimerait se lancer dans un Racine version rock'n'roll. On l'attend avec impatience.



par Elisabeth  Lequeret

Article publié le 22/07/2001