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Pakistan

Islamabad sous pression après les attentats

Le Pakistan est pris entre deux feu depuis les attentats qui ont frappé les Etats-Unis et qui sont attribués à Oussama Ben Laden. Les autorités assurent Washington de leur solidarité mais elles soutiennent le régime des Taliban en Afghanistan.
De notre envoyé spécial au Pakistan

Comme tous les jours sur le marché d'Aabpara à Islamabad, les marchands de fruits et légumes apostrophent les clients, vantant les mérites de leur étalage. Mais malgré la foule et les couleurs des marchés pakistanais, l'ambiance n'y est pas. Les regards sont tendus, le silence pesant et les gens marchent rapidement, comme s'ils ne voulaient pas s'attarder dehors.

Trois jours après les attentats aux Etats-Unis, la situation reste calme au Pakistan, mais dans les rues la tension est perceptible. Les Pakistanais se demandent avec inquiétude comment va évoluer un scénario qui place leur pays -principal allié des Taliban- en première ligne.

«Je veux juste pouvoir travailler et nourrir ma famille. Si la région s'embrase, la vie deviendra très difficile alors que l'économie va déjà mal. Je crains de faire les frais d'un conflit qui m'est étranger», s'alarme un épicier. «Une nouvelle fois, on va nous montrer du doigt comme les méchants musulmans alors qu'au Pakistan, les intégristes sont peu nombreux», ajoute un autre.

La rumeur d'une action massive de l'Otan -certes démentie à Bruxelles- entretient la peur des Pakistanais de voir leur pays faire les frais de représailles contre l'Afghanistan voisin. Que les ONG (Organisations non gouvernementales) aient quitté Kaboul pour la ville frontière de Peshawar n'est pas pour les rassurer. Seule source de réconfort : la communauté américaine au Pakistan n'a pas été évacuée alors qu'elle l'avait été avant les tirs de missiles américains contre les camps de Oussama Ben Laden lors des attentats contre les ambassades des Etats-Unis à Nairobi et Dar-Es-Salaam en 1998.

Désavouer les Taliban : un pari risqué

Cette inquiétude des Pakistanais n'empêche pas une certaine satisfaction de voir la première puissance mondiale frappée au coeur. Mardi des manifestations de joie ont eu lieu dans les universités de Lahore, Karachi et Islamabad, même s'il est impossible de parler de liesse populaire au Pakistan. «Les Etats-Unis ne sont plus invulnérables. Ils souffrent enfin comme ils font souffrir depuis des années les Palestiniens», s'enthousiasme Aziz Mansoori, 21 ans, étudiant à l'université Quaid-e-Azam d'Islamabad.

Spécialiste des mouvements fondamentalistes, Arif Jamal souligne que «Même chez les Pakistanais modérés, il existe toujours un sens de la solidarité musulmane et de l'appartenance au tiers-monde face à la toute-puissance des Etats-Unis et à l'arrogance des pays occidentaux». «La politique étrangère des Etats-Unis est une provocation pour tout musulman. Ce qui s'est passé mardi est un drame individuel pour les victimes et leur famille, mais Washington l'a bien cherché», insiste Javeed Iqbal, médecin à Lahore.

Pour sa part, le gouvernement pakistanais est pris en porte-à-faux entre ses relations privilégiées avec l'Oncle Sam et son soutien affirmé aux Talibans. «Le Pakistan condamne avec fermeté les récents attentats et assure les Etats-Unis de sa coopération totale pour lutter contre le terrorisme», a déclaré Pervez Musharraf, le président pakistanais, visiblement mal à l'aise. Celui qui s'est imposé au pouvoir par un coup d'Etat en 1999 semble donc clairement se positionner du côté de Washington. Mais jusqu'à présent il ne s'agit que de mots.

Que fera Pervez Musharraf si Washington veut utiliser ses couloirs aériens voire son territoire comme base arrière en cas d'action d'envergure contre Oussama Ben Laden et ses hôtes Taliban ? Islamabad ne peut pas désavouer des Taliban qui ont été formés dans ses écoles coraniques et disposent de vastes réseaux de soutien dans le pays, y compris au sein de l'armée. Les Taliban représentent un formidable réservoir de combattants pour la lutte que le Pakistan mène contre l'Inde au Cachemire.

Désavouer les Talibans au profit de Washington, c'est aussi prendre le risque de provoquer de graves troubles dans le pays et au sein de la junte militaire. C'est sans doute pourquoi les dirigeants pakistanais ont dépêché deux missions à Kaboul et à Kandahar avec semble-t-il comme objectif de convaincre les Taliban de «livrer» Oussama Ben Laden. Mais selon Imtiaz Gul, journaliste au Friday Times de Lahore : «C'est une illusion complète. Jamais les Talibans se désolidariseront de Oussama Ben Laden. Par contre la pression américaine est telle qu'Islamabad n'aura pas d'autre choix que de s'y plier. La dette extérieure du Pakistan est de 38 milliards de dollars et la survie économique du pays dépend du bon vouloir américain».

A en croire Arif Jamal : «Dans tous les cas de figure, le Pakistan est perdant. Jouer la carte américaine, c'est provoquer des troubles dans le pays. Jouer la carte Taliban, c'est accentuer l'isolement international du Pakistan. Islamabad paye aujourd'hui le prix de ses amitiés contradictoires. Cela dit, les frappes américaines contre l'Afghanistan ne sont pas certaines».

L'armée pakistanaise a cependant été placée en état d'alerte le long de la frontière afghane. Le chef suprême des Taliban, Mollah Omar, aurait quitté sa résidence de Kandahar pour se réfugier dans un lieu inconnu, et l'armée des Taliban a repositionné son artillerie pour parer une éventuelle américaine.


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par Jean  Piel, à Islamabad

Article publié le 14/09/2001