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Namibie

Un peuple massacré demande réparation

Victimes d'un des plus terribles massacres de l'ère coloniale, sous la domination allemande, les Herero ont déposé plainte contre des entreprises et l'Etat allemand. Berlin fait d'autant plus la sourde oreille, que le gouvernement namibien se tient à l'écart de l'affaire pour ménager son principal bailleur de fonds.
«Ma politique a toujours été d'exercer celle-ci par le terrorisme brutal, voire par la cruauté. J'anéantis les tribus insurgées dans des flots de sang et d'argent. C'est la seule semence pour faire pousser quelque chose de nouveau qui soit stable.» Ainsi parlait le «Grand général du puissant Kaiser, Von Trotha», comme il se dénommait lui-même. En mai 1904, cet officier, dont la réputation de cruauté est déjà faite en Chine et dans l'Est africain allemand (Tanzanie, Burundi et Rwanda), est appelé dans le Sud-ouest africain (actuelle Namibie), sous domination allemande depuis 1884. Les colons sont confrontés à un soulèvement sans précédent des Hereros. Originaires du Nord, ces derniers constituent alors l'un des principaux peuples du territoire. Le 12 janvier 1904, sur ordre d'un de leurs chefs, Samuel Mahero, des attaques sont lancées contre la ville d'Okahandjo, dans le centre du pays. Une centaine de colons sont tués, des lignes de télégraphe détruites et les chemins de fer endommagés. Au cours des cinq mois suivant, les Herero semblent maîtres de la situation. Mais le remplacement du major Theodor Leutwein par Von Trotha, à la tête du corps allemand, va ruiner les espoirs d'émancipation des insurgés et donner lieu à l'un des pires massacres coloniaux du vingtième siècle.

A partir du mois d'août, Von Trotha fait encercler les Herero de façon à ce que la seule voie possible de fuite fût l'Est, vers le désert du Kalahari, raconte Ingolf Diener, spécialiste de la Namibie, dans l'un des rares ouvrages en français publiés à ce jour sur ce pays d'Afrique Australe (Apartheid! La cassure: la Namibie, un peuple, un devenir, Arcantère éditions, Paris, 1986). Par la suite, Von Trotha met en place une stratégie implacable. Il établit un cordon militaire le long du désert, envoie des commandos chargés d'éliminer les Herero et d'empoisonner les points d'eau. En mai 1906, alors que le gouverneur civil, von Lindequist, a déclaré la fin de l'opération, le bilan est terrifiant. Sur une population estimée de 60 000 à 80 000 personnes, avant la guerre, il ne reste qu'une quinzaine de milliers de survivants, pour la très grande majorité embastillés dans des sortes de camps de concentrations. Par la suite, ce peuple, privé de tout ce qui symbolisait son identité (terres, b£ufs, insignes tribaux), et pour partie parqué dans une «réserve tribale», servira de main d'oeuvre servile aux colons. Des femmes feront même office d'esclaves sexuelles auprès de certains Allemands.

Plaintes contre trois entreprises et l'Etat Allemand

Aujourd'hui, les descendants des victimes veulent des réparations. Pendant des années, le massacre des Herero a en effet été largement ignoré de la communauté internationale, en dépit des appels lancés, notamment aux Nations unies, par le chef Hosea Kutako, l'une des figures historiques de la communauté. Lorsque les Allemands furent privés de leurs colonies africaines, pendant la première guerre mondiale, l'Afrique du Sud, alors toujours rattachée à la couronne britannique, produisit certes un rapport accablant sur ces événements. Mais pour mieux obtenir un mandat de la Société des Nations (SDN) sur le Sud-ouest africain, qui passera quelques années plus tard sous sa domination et donc celle du système d'apartheidà

Mais en juin dernier, un cabinet d'avocat a formellement déposé plainte devant un tribunal du district de Columbia, aux Etats-Unis, contre trois entreprises allemandes auxquelles il réclame deux milliards de dollars US de dommages et intérêts. Les trois compagnies en question, la Deutsche Bank AG, Woerman Line (devenue depuis SAFmarine) et Terex Corporation sont accusées d'avoir aidé l'Allemagne impériale à mener les massacres commis au début du siècle. En septembre dernier, une autre procédure en réparation, cette fois contre l'Allemagne, a été lancée, avec, à la clef, deux autres milliards de dollars de dommages et intérêts.

Le moment n'a pas été choisi au hasard. La question des réparations pour l'esclavage et la colonisation a été l'un des principaux thèmes de la conférence de l'ONU sur le racisme à Durban, en Afrique du Sud, du 31 août au 7 septembre dernier. Les représentants des Herero s'appuient également sur la jurisprudence récente concernant les victimes des nazis, qui ont obtenu des compensations, aux Etats-Unis, pour l'holocauste, de même que pour le travail forcé dans les industries allemandes pendant la seconde guerre mondiale. C'est d'ailleurs aussi pour cette raison que les avocats ont préféré s'adresser à la justice américaine, à leurs yeux davantage susceptible d'accéder à leurs demandes.

Car l'Allemagne a jusqu'à maintenant accueilli plutôt froidement les demandes des Herero. En 1996, une délégation a tenté de rencontrer le chancelier Kohl, en visite à Windhoek, la capitale namibienne. Sans succès. «Il n'a pas voulu les recevoir, confie Ingolf Diener. En fait, la Namibie est le pays qui reçoit le plus d'aide des Allemands et ceux-ci estiment que c'est une forme de réparation pour les exactions de la colonisation.» Du coup, l'Allemagne n'est pas seule à être embarrassée. Soucieuses de ne pas froisser leur principal bailleur de fonds, les autorités namibiennes ne souhaitent aucunement endosser les revendications des Herero. D'autant qu'au sein de la SWAPO, le parti au pouvoir, on souligne que d'autres populations ont souffert de la colonisation. «Le gouvernement préférerait donc fondre leur cas dans une demande plus générale de réparation des pays africains pour les méfaits de la domination européenne», explique Ingolf Diener. Ce qui, à l'évidence, est loin de satisfaire le chef suprême des Herero, Kuaima Riruako. Pour lui, toute réparation doit être versée directement aux descendants des victimes du général Von Trotha. A qui donc verser les dommages et intérêts? C'est bien la question, selon Ingolf Diener: «Ou bien les sommes éventuelles sont versées aux Herero. Mais à qui exactement? Au chef suprême? Ou bien elles le sont par l'intermédiaire de l'Etat et dans ce cas d'autres ethnies pourraient réclamer leur dû. Elles pourraient encore l'être au budget. Mais cette fois les Herero vont estimer qu'on vole leur dû. Tout cela crée beaucoup de zizanie.» La triste histoire des Herero est même devenue une affaire de politique intérieure. L'Alliance démocratique de Turnhalle, le principal parti d'opposition, qui bénéficie d'important soutiens dans cette communauté, a en effet décidé d'appuyer leur cause.



par Christophe  Champin

Article publié le 25/09/2001