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Littérature africaine

Remember Mongo Béti

Alexandre Biyidi est mort à Douala et c'est là plus qu'un symbole. Plus connu sous le nom de Mongo Béti, ce pionnier des lettres africaines avait en effet tenu, après un long éloignement, à retourner vers le pays qui l'avait vu naître.
Né en 1933, cet agrégé de lettres qui avait passé toute sa carrière d'enseignant en France dans la région rouennaise avait souhaité, l'âge de la retraite venu, retourner au Cameroun afin d'y ouvrir la Librairie des Peuples noirs.
Ainsi, l'écrivain, romancier, essayiste et pamphlétaire ne se contentait-il pas de la portée militante de ses écrits mais entendait aussi y associer une présence physique et un engagement sur le continent. Ouvrir une librairie à Yaoundé pour l'un des pères des littératures africaines, opposant notoire au régime en place, voilà bien un acte qui ne manquait ni d'audace ni de significations pertinentes. Ce retour au pays s'était accompagné pour le romancier d'une sorte de ressourcement et il confiait volontiers que ses derniers romans devaient beaucoup à cette nouvelle immersion en terre africaine.
Mongo Béti avait commencé sa carrière en 1954, avec un bref roman, «Ville cruelle», qu'il avait alors signé Eza Boto - un autre pseudonyme qu'il abandonnera ensuite définitivement au profit de Mongo Béti.
«Ville cruelle», initialement publié dans la revue Présence africaine avant d'être édité par la même maison, est un roman qui conte les mésaventures d'un jeune villageois, pris dans les pièges et chausse-trappes de la grande ville. Dès cette première publication, le romancier s'inscrivait dans un processus militant de dénonciation et d'engagement qui l'animera toute sa vie durant.
Peu auparavant, il avait dénoncé, dans un article demeuré célèbre, le trop «politiquement correct» Enfant noir de son collègue pionnier guinéen Camara Laye, à propos duquel il avait pu écrire qu'il s'agissait là de «littérature rose» donnant «une image stéréotypée de l'Afrique et des Africains»...
En 1956, Mongo Béti publiait «Le Pauvre Christ de Bomba», un roman qui met en scène un missionnaire, violent et maladroit, qui ne parvient pas à comprendre ses «ouailles» africaines et dont l'action est décrite par un jeune boy et enfant de choeur qui l'accompagne dans ses pérégrinations prosélytes. «Mission terminée »en 1957 puis «Le Roi miraculé» termineront ce premier cycle de création romanesque.
Il faudra attendre 1972 (Mongo Béti évoquait volontiers des raisons familiales à cette interruption arguant que l'on ne peut à la fois élever des enfants et écrire des romans) et un essai politique virulent, pendant un temps censuré, «Main basse sur le Cameroun», pour voir de nouveau le nom de Mongo Béti dans les premières lignes de l'actualité littéraire. Entre-temps il était devenu un «classique»enseigné dans bon nombre de lycées et universités africains.

Un «classique» de la littérature africaine

De 1972 à 1993, vont se succéder une dizaine de titres alternant romans et essais, toutes publications confondues dans un même élan et une même cause. Ainsi se succéderont «Remember Ruben» dont le titre évoque le militant syndicaliste Ruben Um Nyobé, puis des titres qui témoignent d'une inspiration plus volontiers cocasse : «La Ruine presque cocasse d'un polichinelle» en 1979, «Les Deux Mères de Guillaume Ismaël Dzewatama» puis «La Revanche de Guillaume Ismaël Dzewatama» en 1984.
Si Mongo Béti n'a jamais vraiment cessé d'écrire, c'est après un nouveau «silence éditorial» que surgissent, lors de son retour au pays natal, trois romans : en 1994, «L'Histoire du fou» à l'inspiration politico-picaresque et deux romans d'une même veine urbaine et policière, «Trop de soleil tue l'amour» en 1999 et «Branle-bas en noir et blanc» en 2001 ; deux romans dans lesquels l'écrivain prouve qu'il n'a rien perdu de son militantisme mais distille ses dénonciations dans le cadre d'une intrigue policière dont il use, avec un évident bonheur d'écriture, de tous les ingrédients emblématiques.
Ces deux dernières publications lui avaient valu, hors du continent africain, une reconnaissance littéraire méritée dont il n'aura guère pu profiter.
Sa mort à l'âge de soixante-huit ans le prive de ce regain d'attention tardif. Avec Francis Bebey, cet autre écrivain camerounais décédé en mai dernier, ce sont deux talents qui disparaissent, deux pionniers fort dissemblables mais qui, incontestablement, tiennent l'un et l'autre une place de choix parmi ceux qui ont ouvert la brèche et permis qu'à leur suite d'autres voix issues du continent africain parviennent à s'exprimer et à se faire entendre.

A écouter également:
L'invité Afrique, Mme Mongo Beti qui évoque la mémoire de son mari décédé.



BIBLIOGRAPHIE
Ville cruelle, revue Présence Africaine N°16 (pp.7-158), 1954 et Editions Présence Africaine, 1954
Le Pauvre Christ de Bomba, Editions Robert Laffont, 1956 - réédition Présence Africaine, 1976
Mission terminée, Buchet-Chastel, 1957
Le Roi miraculé, Buchet-Chastel, 1958
Main basse sur le Cameroun, Maspero, 1972; réédition Editions québécoises, 1974; édition revue et augmentée, Maspero "petite collection Maspero", 1977
Remember Ruben, U.G.E. "10/18", 1974; rééd. L'Harmattan, 1982
Perpétue et l'habitude du malheur, Buchet-Chastel, 1974
La Ruine presque cocasse d'un polichinelle, Ed. des Peuples Noirs, 1979
Les Deux Mères de Guillaume Ismaël Dzewatama, Buchet-Chastel, 1983
La Revanche de Guillaume Ismaël Dzewatama, Buchet-Chastel, 1984
Lettre ouverte aux Camerounais ou la deuxième mort de Ruben Um Nyobé, Peuples noirs, 1986
Dictionnaire de la négritude, L'Harmattan, 1989
L'Histoire du fou, Julliard, 1994
Trop de soleil tue l'amour, Julliard, 1998
Branle-bas en noir et blanc, Julliard, 2001



par Bernard  MAGNIER

Article publié le 09/10/2001