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Sénégal

L’espoir des «tirailleurs sénégalais»

La décision du Conseil d’Etat d’aligner la solde d’un ancien «tirailleur sénégalais» sur celle de ses compagnons d’armes français pourrait inciter le gouvernement à réparer une injustice dénoncée depuis de longues années. Mais les associations s’inquiètent de la frilosité des autorités françaises.
S’il était encore de ce monde, Amadou Diop aurait sans doute souri à l’idée qu’une décision du Conseil d’Etat français porte son nom. Cet ancien sergent-chef sénégalais de l’armée française, décédé en 1996, vient d’obtenir, à titre posthume, une victoire historique. La plus haute juridiction administrative française lui a reconnu le droit de toucher la même pension d’ancien combattant qu’un Français. Comme les 85 000 autres ressortissants des ex-colonies françaises engagés dans le deuxième conflit mondial, ainsi que les guerres d’Indochine et d’Algérie, Amadou Diop touchait à peine un tiers de ce que perçoivent ses frères d’armes de l’ancienne métropole.

Cette injustice, dénoncée de longue date par les associations engagées dans la défense des droits des célèbres «tirailleurs», résultait d’une loi française de décembre 1959. Elle gèle purement et simplement les pensions des anciens combattants d’outre-mer au taux en vigueur à l’indépendance de leur pays d’origine qui, pour ne rien arranger, ne sont même pas reversables à leur veuve. Résultat : alors qu’un ancien combattant français invalide à 100% touche environ 4500 francs par mois, un sénégalais se contente, au mieux de 1 500 FF, un Camerounais de moins de 700 FF ; un tunisien ou un marocain d’environ 400 FF. Le régime est similaire pour ce qu’on nomme dans le jargon militaire la «retraite du combattant», qui s’élève à environ 2 700 FF par an pour un Français, et à moins de 400 FF pour un Algérien, même s’il vit dans l’hexagone.

Saisi de nombreux recours, le Conseil d’Etat s’est pour la première fois prononcé sur la question, le 30 novembre dernier, en confirmant une décision de la cour administrative de Paris concernant Amadou Diop. Elle s’appuie sur la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dont l’article 14, combiné à l’article 1er de son protocole, reconnaît l’application d’un certain nombre droits et libertés sans distinction, notamment de nationalité.

Les sommes en jeu sont colossales

Pour Bernard Poirrez, l’un des principaux militants de la cause des anciens combattants d’outre-mer, cette victoire est inespérée : «je l’attendais tellement peu que j’avais déjà envoyé une quarantaine de plaintes concernant des Sénégalais auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. Mais le Conseil d’Etat n’avait pas le choix, il savait que s’il donnait raison au gouvernement français, ce dernier serait condamné à Strasbourg.» Selon lui, la partie est néanmoins loin d’être entièrement gagnée. Certes, les multiples recours déposés, ces dernières années, auprès des tribunaux administratifs ont désormais de grandes chances d’aboutir. Mais les autorités françaises ne sont pas obligées d'en tirer les conséquences sur le plan législatif. D’autant que les sommes en jeu sont colossales. Il en coûtera au moins 2 milliard par an, auxquels il faudra ajouter 10 milliards si la revalorisation est rétroactive.

Or, le gouvernement Jospin doit déjà satisfaire une multitude de revendications salariales dans la fonction publique. Interrogé sur RFI, le secrétaire d’Etat aux Anciens combattants, Jacques Floch, n’a d’ailleurs pas caché son embarras : «l’Etat français se retrouve dans une situation difficile au niveau financier (…).Il faut faire très attention aux décisions que nous allons prendre maintenant». Et tout en reconnaissant le «scandale» que représente la situation des anciens combattants étrangers, il ne s’est prononcé ni sur le calendrier, ni sur la teneur d’éventuelles mesures gouvernementales.

Tout en saluant la fin d’un «scandale», les associations engagées dans la défenses des anciens combattants étrangers restent donc prudentes. «En 1991, nous avons obtenu de la justice qu’elle reconnaisse aux étrangers le droit aux prestations non-contributives, qui concernent notamment les handicapés ou les vieilles personnes n’ayant aucun revenu. Il a fallu dix arrêts de la Cour de cassation, deux arrêts de la Cour de justice européenne et des milliers de recours devant les tribunaux pour que monsieur Chevènement fasse finalement voter une loi en 1998», fait remarquer Patrick Moni, du Groupement d’information et de soutien aux travailleurs immigrés (GISTI). Au Collectif des accidentés du travail, handicapés et retraités pour l’égalité des droits (CATRED), on affiche la même méfiance. On indique notamment qu’une commission chargée par le gouvernement de faire des propositions sur la question des pensions des anciens combattants d’outre-mer, a bien proposé récemment de les revaloriser, mais par rapport au coût de la vie dans leur pays d’origine. «C’est donc loin d’être gagné», s’inquiète Livio Tevs, l’un des responsables de cette association.

Avocats des anciens combattants et militants n’entendent donc pas baisser les bras. D’autant que le Conseil d’Etat doit examiner dans les jours qui viennent plusieurs autres recours d’ex-tirailleurs. Bernard Poirrez, qui se bat depuis des années en leur nom, souligne aussi que les pensions ne sont qu’une partie du problème. «Il y a aussi celui des veuves qui ne touchent pas le pécule de leur mari et celui de la retraite du combattant», souligne-t-il. A ses yeux, une belle bataille a donc été remportée, mais pas la guerre.

A écouter également : les réactions au Sénégal recueillies par Olivier Rogez:

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par Christophe  Champin

Article publié le 12/12/2001