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Otages du Liban

La rançon détournée ?

Le quotidien régional français qui a lancé «l’affaire» du détournement de la rançon pour la libération des otages français du Liban par des proches de Charles Pasqua récidive dans son édition de samedi. Se fondant sur des informations issues du contre-espionnage français (DST) l’Est républicain affirme que deux palestiniens auraient servi d’intermédiaires en remettant des enveloppes à des proches de celui qui était ministre de l’Intérieur en 1988. L’intéressé a démenti qu’une quelconque rançon ait été versée afin que soient libérés les otages français retenus au Liban. Et il a obtenu confirmation en ce sens du sénateur RPR Maurice Ulrich, directeur de cabinet du Premier ministre Jacques Chirac au moment des faits et actuel conseiller du Président de la République.
Marie-Danièle Faure, proche collaboratrice de Charles Pasqua et Christiane Marchiani ont été mises en examen pour «recel de blanchiment aggravé» et «recel de trafic d’influence». Les deux femmes ont été mises en examen dans la plus grande discrétion le 21 décembre dernier par la juge d’instruction parisienne Isabelle Prévost-Despré. Après 48 heures de garde à vue à la Brigade financière, elles ont été placées sous un strict contrôle judiciaire.

L’affaire, révélée par le quotidien régional français L’Est Républicain, concerne le détournement d’une partie de la rançon que le gouvernement français aurait versé pour la libération des otages détenus au Liban entre 1985 et 1988. Charles Pasqua, aujourd’hui président du RPF (Rassemblement pour la France), était à l’époque ministre de l’Intérieur du gouvernement de cohabitation de Jacques Chirac. Quant à Jean-Charles Marchiani, aujourd’hui député européen du RPF, proche de toujours de Charles Pasqua, il avait activement participé aux négociations menées par la France pour obtenir la libération des otages. La justice les soupçonne d’avoir récupéré, en liquide, une partie de la rançon que le gouvernement aurait alors versé. Une rançon dont les autorités ont toujours nié s’être acquittée.

Une note du contre-espionnage français

Les conditions dans lesquelles la justice a été amenée à se pencher, quinze ans après les faits, sur un éventuel détournement de fonds sont tout aussi intrigantes. Le 23 janvier dernier, le Procureur de la République de Paris reçoit une lettre du contrôleur général de la Police Jean-Jacques Martini. A cette lettre est jointe une note émanant de la DST, la Direction de la surveillance du territoire (le contre-espionnage français). Cette note précise que le gouvernement français s’était bel et bien acquitté d’une rançon aux ravisseurs des otages français au Liban. Cette rançon, d’un montant de trois millions de dollars, aurait été versée sur les comptes bancaires suisses de deux riches Libanais, les frères Safa. Ces derniers avaient participé aux négociations menées par le gouvernement Chirac. Or, selon la DST, ces fonds auraient été reversés en liquide à Charles Pasqua et à Jean-Charles Marchiani.

Comme le raconte l’Est Républicain, le procureur Dintilhac a ouvert une enquête et procédé à l’audition du chauffeur des frères Safa. Ce dernier a expliqué qu’il avait été chargé de porter des enveloppes au domicile de Jean-Charles Marchiani et au bureau de Charles Pasqua. Selon lui, ces enveloppes pouvaient contenir du liquide. Il affirme les avoir remises à Mme Marchiani et à Marie-Danièle Faure. Les deux femmes ont démenti.

Charles Pasqua a vivement réagi à ces informations, qu’il qualifie «d’ignominie» : «Comme par hasard, cette affaire éclate au moment où nous sommes en pleine pré-campagne présidentielle!». Il a annoncé son intention de demander à la Garde des Sceaux, «en (sa) qualité d’ancien ministre en poste à l’époque», l’ouverture de deux informations judiciaires pour «dénonciation calomnieuse» et contre «les organes de presse qui se feront l’écho de ces allégations».

Quant à Jean-Charles Marchiani, il a évoqué ce jeudi matin l’hypothèse d’une «manipulation politique gravissime». Pour lui, le gouvernement doit faire connaître le nom de la personne qui a demandé à la DST de transmettre la fameuse note au Parquet. Il a également mis en cause l’actuel directeur du contre-espionnage, Jean-Jacques Pascal : «si ce qu’il dit est vrai, c’est très grave, c’est une affaire d’Etat, il faut donc qu’elle soit instruite par la Cour de Justice de la République. Soit ce qu’il dit est faux : il faudra alors qu’il explique pourquoi il a monté cette infamie, cette ignominie, et pourquoi il veut jeter le déshonneur sur des gens quinze ans après». Comme Charles Pasqua, Jean-Charles Marchiani, a démenti qu’une rançon ait jamais été versée. Dans le cas contraire, soutient-il, «seules trois personnes ont pu donner leur accord : François Mitterrand, président de la République, Jacques Chirac, premier ministre et Edouard Balladur, ministre des Finances».

Autant dire qu’à cinq mois de l’élection présidentielle, l’affaire pourrait également être embarrassante pour l’actuel chef de l’Etat, même si le nom de Jacques Chirac n’apparaît pas dans le document de la DST. Jeudi à la mi-journée, on attendait toujours une réaction de l’Elysée.



par Nicolas  Sur

Article publié le 05/01/2002