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Raoul Follereau

Charité mal ordonnée

L’ONG Raoul Follereau qui lutte contre la lèpre, est accusée de «dysfonctionnements» par un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales. Au centre des malversations: l’Afrique. Une enquête de David Servenay.
L’ONG (organisation non gouvernementale) Raoul Follereau aurait-elle abusé de la bonne foi de ses donateurs? Nul doute que les quêteurs et les donateurs de la prochaine Journée mondiale de lutte contre la lèpre (le dernier dimanche de janvier) pourront se poser la question. En tout cas, la justice, elle, s’interroge.

Une enquête préliminaire pour «abus de confiance» a été ouverte par le parquet de Paris et confiée aux policiers de la sous-direction des affaires économiques et financières. Cette enquête, on la doit au Professeur Oberlin, chirurgien orthopédiste à l’hôpital Bichat, qui a saisi le Procureur de la République pour dénoncer de «graves dysfonctionnements».Cet ancien membre de la commission médicale de l’association, bénévole depuis vingt ans, s’est fait débarquer en douceur par ses éminents collègues, parce qu’il dénonçait, depuis un an, la gestion de l’association par André Récipon et son fils Michel. Malversations, salaire de complaisance, détournement de dons et abus de biens sociaux… tout y passe, sans oublier un zeste d’homophobie et de révisionnisme. Des accusations largement étayées par un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), achevé en juillet 2001 et à ce jour non publié…

Budget annuel: 15 millions d’euros

Revenons à Raoul Follereau. Depuis cinquante ans, cette association lutte contre la lèpre et «contre toutes les lèpres» grâce à la générosité publique. Une générosité qui rapporte, bon an mal an, 15 millions d’euros (100 millions de francs). De l’argent investi en Afrique dans des dispensaires, des travaux de recherche et des médicaments, avec une grande efficacité, puisqu’en vingt ans, le nombre des lépreux a été divisé par dix. L’Organisation mondiale de la santé estime que l’endémie a aujourd’hui disparu.

Or, les inspecteurs de l’Igas, qui ont exploré les arcanes de l’ONG, révèlent que dans de nombreux pays, les dons ont financé les églises catholiques locales. Ainsi, à Madagascar en 1998, l’association française Raoul Follereau a soutenu à hauteur de 18 750 euros (123 000 francs) un centre de production de vidéos religieuses, soit une aide équivalente à celle accordée au centre de soins pour les lépreux le plus soutenu par l’association.

En guise de réponse, André Récipon rappelle d’abord que «depuis cinquante ans, il n’y a que les religieux pour s’occuper des lépreux en Afrique, il fallait les aider». Quel rapport avec la production de vidéos? «Et bien quand on aide une congrégation, qu’on lui donne de l’argent ou qu’on lui donne de quoi financer une vidéo, c’est la même chose, ça lui permet de vivre. Je vais vous dire, il y a même une congrégation à qui on a fourni une machine à faire des hosties, comme ça elle approvisionne tout le pays en hosties et elle gagne un peu d’argent». Le compagnon de route de Raoul Follereau refuse de nous dire quelle église a eu cette chance. Les donateurs apprécieront, de même qu’ils apprécieront l’exemple du Mali, où l’association a payé le responsable financier de l’Eglise catholique, un responsable détaché auprès de l’archidiocèse de Bamako. Salaire: 42 700 euros (280 000 francs) par an. Explication d’André Récipon: «L’Afrique manque de gestionnaires. Quand un évêque vient nous demander de lui envoyer quelqu’un pour remettre de l’ordre dans ses finances et bien, on répond». Des propos qui feront sûrement réfléchir les associations membres du comité de la Charte, une institution créée après le scandale de l’Arc (Association pour la recherche contre le cancer) pour moraliser les pratiques humanitaires.

Comment expliquer de tels engagements? André Récipon fournit une partie de la réponse, l’autre, il faut la chercher dans ses écrits. Par exemple, la Lettre ouverte à Hombeline, dont les lecteurs de Lèpres, le mensuel de l’association, ont pu voir en décembre 1999 une petite publicité dans la rubrique Pour Noël, offrez (vous) un livre. Dans cette évocation toute personnelle de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, on peut lire qu’un certain lobby est «maître de l’information dans le monde». Quel lobby? «Comprenne qui pourra», répond aujourd’hui l’auteur.

Plus loin, André Récipon s’affiche aussi monarchiste, en réclamant la réconciliation des «deux familles Bourbon et Orléans». Puis il enfonce le clou, pour ceux qui n’auraient pas bien compris: «Il est un dernier problème qui empoissonne la France: l’avortement. Là aussi, il faut s’arrêter de tricher. L’avortement est un crime [sic], et à ce jour aucune personne de bonne foi ne le conteste». Mais il y a encore mieux, pour les amis africains. A l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre la lèpre, des représentants africains ont reçu une documentation d’un genre particulier. Ce petit livre intitulé «Sida, le vaccin de la vérité», signé Thierry Montfort, nous parle dès les premières pages de «l’homosexualité, vecteur premier du désordre mortel» ou du «préservatif, le mensonge criminel», pour s’achever sur le «Sida: un chemin de résurrection». Bref, un condensé des thèses ultra-catholiques sur la meilleure méthode pour sauver son corps et son âme.

Ajoutons que cette idéologie nauséabonde s’accompagne de petits gestes. Comme le racontent nos confrères du Canard Enchaîné dans leur édition du mercredi 2 janvier, André Récipon a adressé chaque année au Vatican un chèque de 15 244 euros (100 000 francs) pris sur les dons aux lépreux. Sans oublier trois cardinaux «qui ont des responsabilités», gratifiés eux d’une somme de 7 622 euros (50 000 francs).

Alors que dire de ce tableau chaotique d’une ONG qui, rappelons-le, effectue de l’avis des professionnels, un excellent travail de terrain? Que dire des multiples instances de contrôle (comité de la Charte, représentants des ministères, dont celui de l’Intérieur) qui n’ont rien vu ou rien pu modifier du fonctionnement du groupe Raoul Follereau? L’Igas est sans appel dans ses conclusions: «Des dépenses n’ont aucun rapport avec la maladie. Trop de décisions sont prises sans grande rigueur et ne font jamais l’objet de contrôle ou d’évaluation». Enfin, que dire de ce rapport de l’Igas qui sommeille depuis six mois dans un tiroir du ministère et qui n’a pas été transmis à la justice? Depuis le procès de l’Arc (Association pour la Recherche sur le Cancer) en 1999 (le scandale avait débuté en 1994) on pouvait croire ces pratiques reléguées à un passé peu scrupuleux. Il n’en est rien. La justice s’attaque à une nouvelle affaire de détournement de la générosité publique.

Ecouter également :

L'affaire Raoul Follereau : les explications de David Servenay

«Une gestion opaque et des malversations financières» : les accusations du Dr. Christophe Oberlin

Les réponses d'André Récipon, président de l'ONG Raoul Follereau, aux questions de David Servenay



par David  Servenay

Article publié le 01/01/2002