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Internet et élections

La présidentielle sur le Net

François Freby est le fondateur de l’Observatoire de la Net campagne présidentielle: un site entièrement consacré à ce scrutin sur Internet. Entretien.
RFI: Via le chat SMS, le candidat va toucher une frange de population peu mobilisée en politique. Opération de marketing ou véritable outil de démocratie participative?

François Freby:
On peut avoir des opinions diverses et variées sur la question. D’abord un point de vue optimiste. Certains disent que pour toucher une cible et avant de la mener au débat de fond, il faut lui parler avec ses mots, utiliser ses moyens de communication. Dans cette perspective, le chat SMS peut être considéré comme un outil de sensibilisation pour rendre plus citoyenne la jeunesse et l’intéresser à la campagne électorale. Cependant, on note également que les candidats, pour se valoriser, communiquent à la télévision sur ces opérations. Lors de sa dernière interview télévisée, Alain Madelin a bien insisté sur le fait que l’opération «48 heures de dialogue non-stop» avec les citoyens était le plus grand meeting politique de tous les temps! Je vois derrière ces opérations un passage obligé pour tous les candidats. Je comparerais ces opérations à la présence obligatoire d’un candidat à la finale de la coupe du monde de football, alors que ce sport ne l’intéresse pas forcément. Il faut y être, surtout si les adversaires y sont, sinon on passe à côté d’une image que les Français attendent.

RFI: On a, par exemple, entendu Jean-Pierre Chevènement utiliser des mots d’argot comme «meuf» et «keuf». Le SMS peut-il renouveler la communication en politique?

F.F.:
J’ai été surpris que Jean-Pierre Chevènement ait utilisé, lors sa session de chat, les mots «meuf» ou «keuf». Ce sont sans doute ses conseillers en communication qui l’ont invité à le faire! Mais en utilisant ces termes-là, il est en porte-à-faux avec son discours: en tant que «républicain», doit-on se plier à la «langue» d’une certaine frange de la population, ou bien ambitionner d’éduquer cette population à une maîtrise du langage commun? Je ne suis pas persuadé qu’un homme politique ait vocation à utiliser les discours marginaux, mais plutôt à se faire comprendre par des mots et des références que l’école républicaine doit apprendre à ces jeunes. Cette ambition, du moins, me semble en théorie plus cohérente avec le positionnement de Chevènement. Mais si le public qui est allé à la rencontre de Chevènement n’a réellement aucune culture politique et n’a donc pas d’image prédéterminée du candidat, le «racolage» de ce dernier a été moins sensible. Chevènement peut effectivement récupérer quelques voix, mais comme tous les candidats vont se plier à cet exercice, les jeunes pourront penser que décidément tous les hommes politiques sont des «potes»!

RFI: Le SMS est-il un bon support en discours politique?

F.F.:
Je ne suis pas persuadé qu’un simple support de communication puisse apporter les médicaments dont la démocratie a besoin. Si les citoyens, en posant directement une question (dont ils peuvent pourtant trouver la réponse d’ailleurs sur le site du candidat ou en lisant la presse), retrouvent de l’estime pour nos représentants, pourquoi s’en priver? Mais je ne crois pas que cette nouvelle façon de communiquer puisse ni révolutionner la démocratie, ni redonner un sens au message et à la vie politique. Au mieux, on peut dire que ce moyen de communication épouse parfaitement une évolution généralisée de notre société vers le ludique, le festif, le fragment, le zapping égocentré. Cette façon de commercialiser le discours politique («t’as une question qui tient en quelques caractères? Voici une réponse express, t’achètes?») répond en outre à l’exigence consumériste de la part des spectateurs-citoyens qui veulent être servis en temps réel. C’est une autre forme de corporatisme individualisé, atomisé, que l’interaction factice du web promeut.

RFI: Quel est l’apport de ces nouveaux moyens de communication dans le débat politique?

F.F.:
A mon avis, les politiques et les médias ne sont pas responsables de cette réduction du discours politique à quelques mots sur l’écran d’un téléphone portable, à la parodie, aux gadgets du marketing électoral. Le véritable responsable, c’est la réduction des marges de manœuvre politiques, dont découle l’impression chez les électeurs que le débat public, l’engagement citoyen et le vote ne changeront finalement rien à l’avenir des uns et des autres. Une scène politique où l’action politique est obligée de suivre des logiques qui la dépassent, est investie par un profusion de mots, des mots qui abritent l’illusion que les gouvernements ne sont pas cantonnés grosso modo à la simple gestion de contraintes. Un espace purement verbal est automatiquement investi par la parodie, par toute forme de joutes et de détournements, par le tout-marketing. Dans ce contexte, les opérations SMS ne peuvent être que des opérations formelles, qu’il faut médiatiser et qui contribuent à augmenter la valeur marchande du candidat. En revanche, dans d’autres circonstances, dans des pays où l’histoire politique et économique hésite encore entre des voies radicalement différentes, un tel moyen de communication peut devenir un formidable vecteur de développement d’idées, d’organisation de combats, de mobilisation des militants pour une cause à laquelle ils croient au plus profond d’eux-mêmes.



par Propos recueillis par Myriam  Berber

Article publié le 13/03/2002