Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Mongolie

Les enfants des rues d’Oulan Bator

La Mongolie, projetée en quelques années dans l’économie de marché, n’a su remplacer l’État-providence. Résultats: des milliers d’enfants errent dans les rues de sa capitale et se débrouillent comme ils peuvent.
«Je déteste vivre ainsi, mais je n’ai plus le choix. Même nos vêtements, imprégnés de crasse, se font voler ici, explique Tsolmongerel, 12 ans, en pointant le nez hors de la galerie souterraine où elle vit. J’aimerais travailler n’importe quel travail, mais personne ne peut m’employer, parce que je n’ai ni acte de naissance, ni carte d’identité.»

Tsolmongerel est l’une des quelque 5000 enfants des rues d’Oulan Bator, la capitale de la Mongolie. En 2001, elle s’est enfuie de l’orphelinat où elle n’était «pas heureuse» pour rejoindre son frère aîné, Tsolmonbataar, le «premier enfant des rues en Mongolie», selon la fillette. Ce dernier est considéré comme le «propriétaire» du tunnel où vit la petite bande d’enfants. Il a cessé de «travailler», c’est-à-dire de faire les poches, en 1996, pour diriger un «gang» de 3 ou 4 enfants qui volent pour lui, dans les foules des marchés ou dans les autobus bondés. L’un d’eux, Bilgee, 16 ans, raconte qu’il s’est enfui de chez ses parents, installés au nord-est d’Oulan Bator, en 1992. A 8 ans, il a quitté l’école, afin de soulager ses parents, et a fini par rejoindre les rues de la capitale où il a d’abord assuré sa survie en mendiant. «Si je n’ai plus d’autre solution, je recommencerai, mais maintenant je n’ai plus à le faire, Tsolmonbataar m’a appris à voler. Mendier, c’est bon pour les filles, pas pour les garçons. Par contre, tout le monde fume et boit, filles et garçons.»

S’ils sont visibles dans la journée, quand il ne fait pas trop froid, les enfants des rues de Mongolie disparaissent, la nuit venue, dans les galeries souterraines des villes construites sous la domination soviétique. Des kilomètres de tunnels où courent les conduites d’eau, chaude et froide, alimentant le chauffage collectif des immeubles. Des boyaux étroits, peu aérés, qui protègent du long hiver mongol, soient six mois durant lesquels les températures se situent couramment entre moins 30° et moins 40°. L’air y est confiné, la lueur des bougies éclaire aussi les rats et les cafards, compagnons des enfants des rues. On raconte, qu’il y a trois mois, une conduite d’eau bouillante a éclaté, tuant un enfant réfugié au chaud.

Mais l’information est restée discrète, le pays ne souhaitant probablement pas médiatiser la misère qui le touche. La Mongolie reconnaît aujourd’hui 300 enfants dans les rues d’Oulan Bator, mais les associations présentes sur place estiment leur nombre à environ 5000. Un chiffre considérable, lorsque l’on sait que la capitale mongole est peuplée d’environ 800 000 personnes. D’autres villes de Mongolie, nées dans les années 70 avec l’industrialisation à la soviétique, connaîtraient le même phénomène. Ainsi, Karakorum, Erdenet et Darhan, qui comptent de 40 000 à 80 000 habitants.
Pour l’instant, les enfants survivent grâce au vol à la tire, aux petits boulots sur les marchés ou dans la rue et à la prostitution, encore à l’état embryonnaire. Ils souffrent de maladies de peau, d’allergies et de problèmes digestifs essentiellement. Les drogues circulent encore peu parmi eux, sauf l’alcool.

Petits boulots et prostitution

Si le climat extrêmement rude de Mongolie oblige les enfants à vivre sous terre pour ne pas mourir de froid, il est aussi l’une des causes de leur situation : les hivers de 1997 et 1999 ont été particulièrement rigoureux. 600 000 têtes de bétail ont ainsi péri durant l’hiver 1997, une situation d’autant plus dramatique que l’herbe des steppes est raréfiée par des sécheresses successives, d’où une arrivée massive d’anciens nomades dans les villes où ils ne trouvent pas à s’employer. D’où également une paupérisation des familles où les bouches à nourrir sont un poids insupportable. Oulan Bator ne connaît officiellement que 5% de chômeurs, mais les données diffèrent selon les modes de calcul, et le chiffre de 40% est parfois avancé pour décrire la réalité. Les associations qui s’attachent à résoudre le problème des enfants des rues avancent aussi que l’alcoolisme est l’une des causes majeures de la situation. Prise en sandwich entre l’ex-URSS et la Chine, la Mongolie a vu son économie décliner dès la chute du bloc soviétique.

Les enfants qui ont fui leur famille avancent souvent comme raison la violence, liée à l’alcoolisme du père. Dans un contexte aussi difficile, il n’est pas rare que les divorces et les remariages se fassent avec l’abandon pur et simple des enfants du mariage précédent.

Une petite dizaine d’associations, nationales et internationales, œuvre à Oulan Bator pour trouver des solutions. Soutenues par le gouvernement mongol, qui gère lui-même un centre public pour enfants des rues, elles travaillent en coopération et mènent une politique commune, qui vise à réunir les familles et leurs enfants.

Plusieurs refuges gèrent les enfants dont la famille ne veut plus entendre parler ou dont on ne retrouve pas les parents ; le gouvernement se charge de campagnes de vaccinations dans les tunnels et les moines recrutent à Oulan Bator des novices, éduqués ensuite au monastère d’Amarbayasgalant, dont l’activité renaît, à la frontière sibérienne. Mais beaucoup reste à faire, même si le dernier hiver, plus doux, a stabilisé la situation. Pour Oyun, assistante sociale à Oulan Bator, la quadrature du cercle consiste à prendre en charge des enfants qu’il faut, par ailleurs, rendre indépendants. Elle déplore que le gouvernement se contente de soutenir les associations, alors qu’il devient urgent d’agir en amont, contre la pauvreté.



par Isabelle  Broz

Article publié le 10/05/2002