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Birmanie

Aung San Suu Kyi libérée

La junte birmane a levé l’assignation à résidence de la célèbre opposante et prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi. Cette libération marque un tournant décisif dans le processus de réconciliation nationale soutenu par les Nations unies.
Enfin libre. Après dix-neuf mois d’assignation à résidence, Aung San Suu Kyi a pu sortir de son domicile de Rangoun. C’est pour elle la fin d’une nouvelle épreuve, la dernière en date d’une longue série. Ces derniers jours, quelques indices laissaient supposer que la dirigeante de l’opposition birmane allait être libérée très bientôt. Jeudi 2 mai, des journalistes recevaient le premier message au monde extérieur de «La Dame», qui n'était plus apparue en public depuis septembre 2000, confinée entre les quatre murs de sa résidence, dont la presse ne pouvait s'approcher à moins de 300 mètres. Tin Oo, vice-président de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), déclarait: «Elle m'a demandé de transmettre un message aux médias, de leur expliquer que des développements importants interviendraient dans quelques jours».

Autre signe annonçant un bouleversement: au siège de la LND, en pleine effervescence en fin de semaine, un panneau recommandait aux journalistes soucieux d'interviewer Aung San Suu Kyi de s'inscrire auprès de la Ligue. Une source gouvernementale haut placée confirmait que la libération du prix Nobel de la paix 1991 interviendrait «sans aucun doute dans quelques jours». Jeudi 2 mai toujours, des diplomates estimaient également que l'opposante pourrait être libre de ses mouvements durant le week-end, la junte étant soucieuse de profiter de la présence de journalistes des grands médias internationaux et dont les visas, accordés avec une générosité inhabituelle, étaient sur le point d’expirer.

Bloquée sur un pont pendant treize jours

Toutefois, la levée de l'assignation de l'opposante s’est apparemment heurtée à des obstacles ayant fait l'objet d'intenses tractations entre la junte et son ancienne ennemie jurée. Aung San Suu Kyi, pas plus que les militaires, n'a intérêt pour l'avenir à mettre en péril le difficile dialogue de réconciliation nationale ouvert fin 2000 avec l'aide de l'ONU, et qui doit aboutir à une transition démocratique en Birmanie après quarante ans de dictature. Pour la communauté internationale, la libération de l'opposante est le premier geste symbolique par lequel les généraux de Rangoun prouvent leur bonne volonté dans ce dialogue. «Et si cela arrive, l'aide humanitaire reprendra vite», prédisait un diplomate occidental peu avant la libération du prix Nobel de la paix.

A cinquante-six ans, après neuf ans d'isolement, l’objectif de l’opposante reste le même: restaurer la démocratie en Birmanie. Incarnant l'espoir d'un pays soumis depuis 1962 à la dictature militaire, la fille du héros de la lutte pour l'indépendance birmane, le général Aung San, assassiné en 1947, a pour elle la légitimité des urnes. En mai 1990, la LND a remporté 82% des sièges lors des élections générales. Les militaires, refusant de céder le pouvoir, ont interdit tous les partis politiques et arrêté la plupart des compagnons de Aung San Suu Kyi.

Depuis, elle a mené son combat contre la junte sans jamais prôner la violence. Malgré la répression et les humiliations, elle n’a cessé, à l’exemple de Gandhi, d'appeler ses partisans à recourir à des méthodes de protestation pacifiques. Pourtant, durant douze ans, les motifs de révolte n’ont pas manqué. Ainsi, pendant l’été 1998, elle tente par tous les moyens de sortir de Rangoun pour rencontrer ses partisans. En vain. La junte veut la voir quitter le pays, mais l’opposante pose quatre conditions considérées comme «inacceptables» par le pouvoir: la formation d'un gouvernement civil, la possibilité de parler cinq minutes à la télévision, d'aller à pied de son domicile à l'aéroport et la libération des détenus politiques.

En 1999, le prix Nobel de la paix et douze membres de son parti sont stoppés par des militaires alors qu'ils tentent de se rendre à un meeting de la ligue en dehors de Rangoun. Aung San Suu Kyi refuse de faire demi-tour. Le groupe reste bloqué sur un pont pendant treize jours près de Dallah, une petite ville distante d'une trentaine de km de la capitale birmane. En septembre 2000, elle se retrouve à nouveau assignée à résidence alors qu'elle tente de prendre le train pour aller voir des militants dans la ville de Mandalay (nord). Mais à partir de la fin 2000, malgré son isolement, elle ouvre et conduit avec la junte ce dialogue de «réconciliation nationale» soutenu par les Nations unies. Sa libération marque sans doute un tournant décisif dans le difficile retour de la démocratie en Birmanie.

A lire aussi :
Birmanie : la grand-dame libérée (la chronique Asie d'Hélène Da Costa)

A écouter :
Farid Guéhiouhèche président de l'association Info-Birmanie (invité de Pierre ganz)



par Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 06/05/2002