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Ethiopie

Berlusconi refuse de restituer l’obélisque d’Axoum

Les relations entre Rome et Addis Abeba sont au bord de la rupture: le gouvernement italien refuse toujours de remettre ce trésor national volé en 1937 par l’armée de Mussolini. Berlusconi a même refusé de recevoir son homologue éthiopien Meles Zenawi, et le parlement d’Addis Abeba a lancé un sévère avertissement aux autorités italiennes.
Rome refuse toujours de restituer à Addis Abeba l’obélisque d’Axoum, «signe de l’identité et porte-drapeau du pays» selon les Ethiopiens, alors qu’elle a promis de le remettre il y a très exactement 55 ans. Il suffirait pourtant que l’Italie respecte les accords signés en bonne et due forme, en vue de la restitution de tous les biens pillés par l’armée fasciste, durant l’occupation de l’Ethiopie (1935-1941). C’est ce que pensent presque tous les historiens africains et occidentaux, à commencer par le britannique Richard Pankhurst, qui ne cesse de rappeler que Rome s’était engagée à restituer non seulement la fameux obélisque, mais aussi les archives nationales éthiopiennes d’avant-guerre et le premier aéroplane éthiopien.

Tous les gouvernements italiens jouent la montre

Cette question empoisonne les relations entre les deux pays depuis… 1947, lorsque les deux pays se retrouvent pour la première fois au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale et cherchent de dépasser les contentieux qui les ont opposé. L’empereur Hailé Selassié, soucieux de ménager une certaine susceptibilité italienne, accepte alors de renoncer à quelques trésors volés vers la fin des années trente, mais obtient la promesse formelle de la restitution de l’obélisque d’Axoum. Car celui-ci représente le cœur de l'Ethiopie antique: le royaume d'Axoum fut la première puissance politique en terre éthiopienne jusqu'au XIIIe siècle. Aujourd’hui encore, dans la région du Tigré, les ruines immenses de la capitale royale sont dominées par des obélisques et des stèles géantes. Et l’Ethiopie ne cesse de sensibiliser la communauté internationale pour un monument qu’elle considère comme l’héritage non seulement de l’Ethiopie ancienne, mais de tout le peuple noir.

On croyait cette question enfin réglée, en 1997, lorsque le président italien Eugenio Scalfaro avait effectué une visite officielle en Ethiopie et s’était formellement engagé une fois de plus à rendre un obélisque très cher aux Ethiopiens, et qui n’est même conservé avec soin par les responsables du patrimoine de la péninsule. Situé place Capena, juste devant les bâtiments de la FAO (anciennement ministère des Colonies), il est désormais presque complètement noirci par la pollution atmosphérique et la circulation incessante, il vient même de faire la une de quelques journaux italiens, et de tous les médias éthiopiens, le 27 mai dernier, lorsque la foudre est venue frapper ce monolithe de granit de 24 mètres de haut, endommageant gravement sa partie supérieure. Cette fois-ci la colère de l’Ethiopie a été d’autant plus grande que Rome en a aussitôt profité pour laisser entendre que désormais il fallait entreprendre sa restauration, avant de discuter de sa restitution.

En fait les gouvernements italiens qui se sont succédé à Rome en cinquante ans ont tous joué la montre. Tout en disant qu’ils étaient prêts à le restituer, ils avançaient des raisons techniques pour ne pas entreprendre les travaux nécessaires pour son retour dans le Tigré, aux côtés des autres obélisques. Certains allaient jusqu’à souligner qu’il ne fallait pas le «blesser encore plus». Car, pour transporter ces 150 tonnes de granite jusqu’à Axoum, il faudrait couper l’obélisque en trois morceaux. Benito Mussolini pourtant ne s’était guère gêné, en 1937, lorsqu’il a fait couper la stèle en cinq morceaux pour les charger d’abord sur d’énormes camions et ensuite sur des bateaux. Dans le but de célébrer dignement, dans la «nouvelle Rome» à la fois le 25e anniversaire de la «marche sur Rome» des chemises noires et la première année de l’empire colonial italien. Et surtout de faire oublier un peu la défaite de l’armée italienne à Adua, en 1896, face à l’armée de Menelik.

Aujourd’hui, le président du Conseil Silvio Berlusconi, conseillé par son secrétaire d’Etat à la Culture Vittorio Sgarbi, a visiblement sous-estimé la détermination éthiopienne. En refusant de recevoir Meles Zenawi, la semaine dernière à Rome, en marge du sommet de la FAO, alors que celui-ci voulait justement demander la restitution immédiate de l’obélisque, il conforte la position d’Addis Abeba. Car pour celle-ci, même si l’Italie prétend être l’un des premiers partenaires de l’Ethiopie, elle est désormais tenue pour «responsable» de tous les dégâts subis par une stèle qui symbolise aussi le royaume de la reine la plus mythique: celle de Saba.



par Elio  Comarin

Article publié le 23/06/2002