Bolivie
Evo Morales, l’autre séisme
Ardent défenseur des paysans «cocaleros» et des laissés-pour compte, Evo Morales est l’invité surprise du second tour des Présidentielles en Bolivie. Le score obtenu au premier tour par ce militant syndical (21% des suffrages) est un vote de «bronca» qui ébranle l’oligarchie politique locale. Les États-Unis le vouent aux gémonies. Mais le verdict des urnes lui confère une nouvelle dimension.
Correspondance de Bolivie
Invité inattendu du second tour, Evo Morales, 42 ans, a en fait peu de chances d’être élu président de la République par le Congrès, le 4 août prochain. Arrivé en tête, le 30 juin, avec 22% des suffrages, son dernier adversaire, Gonzalo Sanchez de Lozada (MNR), richissime propriétaire de mines, président de 1993 à 1997, a multiplié depuis un mois les déjeuners avec les battus du premier tour jusqu’à obtenir l’appui le 25 juillet de Jaime Paz du MIR (16%), un autre ex-président. Il avait au préalable reçu le soutien de Johnny Férnandez, candidat millionnaire UCS (5,5%), et d’un parti en chute libre, l’ADN (3,4%) du président Jorge Quiroga qui ne se représentait pas. Evo Morales, lui, ne fait pas partie de la famille : c’est un paysan Amérindien de père quechua et de mère aymara, «lider maximo» du MAS (Mouvement du socialisme), un parti d’activistes de gauche qui s’appuie sur des Fédérations syndicales de «cocaleros» (planteurs de coca) du Chapare, une région subtropicale à 550 kilomètres à l’est de la Paz.
Dès lors, le score du paysan amérindien –près de 21 % des suffrages et 582 000 voix– confine au tremblement de terre. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 70% de la population bolivienne est Amérindienne. Jusqu’au 30 juin, les autochtones ne représentaient que 10% des parlementaires. Le score inattendu du MAS, jeune parti créé en 1995, consacre leur progression : ils représenteront désormais 30% du Congrès à la suite de ces élections, à la fois présidentielle et législatives.
Un autodidacte radical et forcené
«Selon Fidel Castro, il faut trois ingrédients pour réussir une révolution : étudier, étudier et étudier» répète à l’envi le leader du MAS. Car Morales est avant tout un autodidacte forcené contraint à abandonner l’école dès l’âge de 12 ans. A la fin des années 70, il suit ses parents agriculteurs d’Oruro qui, comme des centaines de familles fuient la misère de l’Altiplano et émigrent dans le Chapare. A l’époque, la culture de coca atteint son apogée. En 1996, Evo Morales est élu dirigeant de la Coordination des six Fédérations d’Agriculteurs du Tropique de Cochambamba qui regroupe la province du Chapare et sa périphérie. En 1997 sa carrière politique débute par un plébiscite : il devient le député le mieux élu de Bolivie avec 70 % des suffrages.
Intransigeant, Morales s’impose comme un redoutable opposant au «Plan dignité» du feu Président Banzer, «la coca zéro» (ou l’éradication de la culture de coca) que l’ex-dictateur met en œuvre de 1997 à 2001 dans le Chapare avec le soutien actif des États-Unis et «au mépris constant des droits de l’homme» explique le Père Esperandio , curé de Villa Tunari, première ville du Chapare en descendant de Cochabamba. Morales, lui, fourbit ses armes : marches de paysans à travers le pays, grèves de la faim, blocages répétés de la route principale Santa-Cruz-Cochabamba-La Paz.
Début 2002, tout se précipite pour Morales. A Sacaba, près de Cochabamba, en janvier, une protestation de cocaleros, à l’encontre d’un ultime décret qui vise à condamner toute vente de coca du Chapare, tourne mal. Quatre militaires sont tués lors d’affrontements. En 48 heures, Evo Morales, est expulsé de la Chambre des Députés par la commission d’éthique pour «incitation intellectuelle à la violence». Pourtant, il ne fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire. Cette décision expéditive accroît sa popularité. Quelques semaines plus tard, sa candidature à la présidentielle devient un événement.
Le 26 juin 2002, Manuel Rocha, l’ambassadeur des États-Unis achève de le mettre sur orbite. Lors de l’inauguration de l’aéroport de Chimore, toujours dans le Chapare, M. Rocha lance en effet un appel sans équivoque à ne pas voter pour Evo Morales. L’affaire a été préméditée, le discours de l’ambassadeur a même été faxé aux médias. La bourde soulève l’indignation de l’opinion publique et renforce encore la côte d’Evo. Le score du 30 juin en est l’illustration parfaite.
Mais Evo Morales se distingue, lui aussi, par ses provocations : «les États-Unis récoltent le fruit de leur arrogance envers les plus pauvres» commentait-il après les attentats du 11 septembre. Et certaines de ses filiations font jaser. En 2000, il est invité à Tripoli pour y recevoir «le Prix Kadhafi des droits de l’Homme» et 100 000 dollars de récompense. Par ailleurs, il revendique une admiration sans réserve pour Fidel Castro.
«Evo n’est pas un ange mais ce n’est pas le diable», assure le père Esperandio, plusieurs fois désigné médiateur lors de conflits dans le Chapare. Le curé dénie tout lien entre Morales et les narcotrafiquants. «Plusieurs enquêtes ont déjà été diligentées à son encontre, rien n’en est sorti» Evo Morales avoue, lui, un certain faible pour l’église catholique «j’aimerais qu’elle chapeaute l’éducation et la santé suivant nos directives». Mais concernant la coca il reste campé sur ses positions : «c’est une culture légale et millénaire, une plante aux vertus médicinales. Sa transformation en cocaïne est l’apanage des gringos. Les Américains feraient mieux de s’attaquer à la demande dans leur pays. Leur volonté d’éradiquer la coca sert plutôt les mégaprojets des multinationales»
Aujourd’hui partisans et adversaires de Morales s’accordent à dire que son score constitue un triomphe pour les cocaleros.
Invité inattendu du second tour, Evo Morales, 42 ans, a en fait peu de chances d’être élu président de la République par le Congrès, le 4 août prochain. Arrivé en tête, le 30 juin, avec 22% des suffrages, son dernier adversaire, Gonzalo Sanchez de Lozada (MNR), richissime propriétaire de mines, président de 1993 à 1997, a multiplié depuis un mois les déjeuners avec les battus du premier tour jusqu’à obtenir l’appui le 25 juillet de Jaime Paz du MIR (16%), un autre ex-président. Il avait au préalable reçu le soutien de Johnny Férnandez, candidat millionnaire UCS (5,5%), et d’un parti en chute libre, l’ADN (3,4%) du président Jorge Quiroga qui ne se représentait pas. Evo Morales, lui, ne fait pas partie de la famille : c’est un paysan Amérindien de père quechua et de mère aymara, «lider maximo» du MAS (Mouvement du socialisme), un parti d’activistes de gauche qui s’appuie sur des Fédérations syndicales de «cocaleros» (planteurs de coca) du Chapare, une région subtropicale à 550 kilomètres à l’est de la Paz.
Dès lors, le score du paysan amérindien –près de 21 % des suffrages et 582 000 voix– confine au tremblement de terre. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 70% de la population bolivienne est Amérindienne. Jusqu’au 30 juin, les autochtones ne représentaient que 10% des parlementaires. Le score inattendu du MAS, jeune parti créé en 1995, consacre leur progression : ils représenteront désormais 30% du Congrès à la suite de ces élections, à la fois présidentielle et législatives.
Un autodidacte radical et forcené
«Selon Fidel Castro, il faut trois ingrédients pour réussir une révolution : étudier, étudier et étudier» répète à l’envi le leader du MAS. Car Morales est avant tout un autodidacte forcené contraint à abandonner l’école dès l’âge de 12 ans. A la fin des années 70, il suit ses parents agriculteurs d’Oruro qui, comme des centaines de familles fuient la misère de l’Altiplano et émigrent dans le Chapare. A l’époque, la culture de coca atteint son apogée. En 1996, Evo Morales est élu dirigeant de la Coordination des six Fédérations d’Agriculteurs du Tropique de Cochambamba qui regroupe la province du Chapare et sa périphérie. En 1997 sa carrière politique débute par un plébiscite : il devient le député le mieux élu de Bolivie avec 70 % des suffrages.
Intransigeant, Morales s’impose comme un redoutable opposant au «Plan dignité» du feu Président Banzer, «la coca zéro» (ou l’éradication de la culture de coca) que l’ex-dictateur met en œuvre de 1997 à 2001 dans le Chapare avec le soutien actif des États-Unis et «au mépris constant des droits de l’homme» explique le Père Esperandio , curé de Villa Tunari, première ville du Chapare en descendant de Cochabamba. Morales, lui, fourbit ses armes : marches de paysans à travers le pays, grèves de la faim, blocages répétés de la route principale Santa-Cruz-Cochabamba-La Paz.
Début 2002, tout se précipite pour Morales. A Sacaba, près de Cochabamba, en janvier, une protestation de cocaleros, à l’encontre d’un ultime décret qui vise à condamner toute vente de coca du Chapare, tourne mal. Quatre militaires sont tués lors d’affrontements. En 48 heures, Evo Morales, est expulsé de la Chambre des Députés par la commission d’éthique pour «incitation intellectuelle à la violence». Pourtant, il ne fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire. Cette décision expéditive accroît sa popularité. Quelques semaines plus tard, sa candidature à la présidentielle devient un événement.
Le 26 juin 2002, Manuel Rocha, l’ambassadeur des États-Unis achève de le mettre sur orbite. Lors de l’inauguration de l’aéroport de Chimore, toujours dans le Chapare, M. Rocha lance en effet un appel sans équivoque à ne pas voter pour Evo Morales. L’affaire a été préméditée, le discours de l’ambassadeur a même été faxé aux médias. La bourde soulève l’indignation de l’opinion publique et renforce encore la côte d’Evo. Le score du 30 juin en est l’illustration parfaite.
Mais Evo Morales se distingue, lui aussi, par ses provocations : «les États-Unis récoltent le fruit de leur arrogance envers les plus pauvres» commentait-il après les attentats du 11 septembre. Et certaines de ses filiations font jaser. En 2000, il est invité à Tripoli pour y recevoir «le Prix Kadhafi des droits de l’Homme» et 100 000 dollars de récompense. Par ailleurs, il revendique une admiration sans réserve pour Fidel Castro.
«Evo n’est pas un ange mais ce n’est pas le diable», assure le père Esperandio, plusieurs fois désigné médiateur lors de conflits dans le Chapare. Le curé dénie tout lien entre Morales et les narcotrafiquants. «Plusieurs enquêtes ont déjà été diligentées à son encontre, rien n’en est sorti» Evo Morales avoue, lui, un certain faible pour l’église catholique «j’aimerais qu’elle chapeaute l’éducation et la santé suivant nos directives». Mais concernant la coca il reste campé sur ses positions : «c’est une culture légale et millénaire, une plante aux vertus médicinales. Sa transformation en cocaïne est l’apanage des gringos. Les Américains feraient mieux de s’attaquer à la demande dans leur pays. Leur volonté d’éradiquer la coca sert plutôt les mégaprojets des multinationales»
Aujourd’hui partisans et adversaires de Morales s’accordent à dire que son score constitue un triomphe pour les cocaleros.
par Frédéric Farine
Article publié le 02/08/2002