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Kurdistan irakien

Accord «<i>historique</i>» entre les factions kurdes

Au moment où les menaces d’intervention américaines contre le régime de Saddam Hussein se précisent, les deux frères ennemis du Kurdistan irakien enterrent la hache de guerre. Massoud Barzani et Jalal Talabani affirment faire cause commune.
De notre envoyé spécial à Souleimania

Début septembre, rien ne laissait prévoir la conclusion d un accord aussi décisif entre le PDK (Parti démocratique du Kurdistan) de Massoud Barzani et l’UPK (Union patriotique du Kurdistan) de Jelal Talabani. Un fossé de méfiance séparait encore les deux chefs kurdes. L’UPK accusait le PDK de lui arracher concession sur concession, et de ne rien céder en contrepartie. Le PDK accusait l’UPK de chercher à gagner du temps par des manœuvres dilatoires. Tout cela appartient au passé. L’accord signé le 8 septembre à Sari Rash permet d’envisager la réunification du Kurdistan libre -prélude indispensable à une participation kurde à une éventuelle offensive américaine contre le régime de Bagdad.

L’accord de Sari Rash comprend deux points essentiels. Tout d’abord la convocation du parlement kurde à Erbil le 4 octobre. Cette date est hautement symbolique; elle marque en effet le dixième anniversaire de la proclamation du parlement kurde, élu en mai 1992, en faveur d’un régime fédéral en Irak.

Les 105 députés (51 PDK, 49 UPK, 5 Assyriens) auront pour tâche essentielle de rédiger un projet de constitution fédérale pour la région kurde et l’Irak. Le PDK a déjà publié son projet de constitution, donnant de larges pouvoirs à la région kurde, qui serait dirigée par un président et un premier ministre disposant de pouvoirs très étendus. Ce projet sera certainement modifié par l’UPK, plus favorable à un système parlementaire: «Nous ne voulons pas créer une petite dictature»,nous a déclaré Nour Shirouane, membre du bureau politique de l UPK; «nous ne voulons pas donner tous les pouvoirs au Président de la région; nous voulons un régime parlementaire».

Le projet de Constitution sera soumis… aux Américains

Amendé par les députés siégeant au parlement, ce projet de constitution sera ensuite soumis aux partis de l’opposition... et aux Américains qui, font remarquer les dirigeants kurdes, ne peuvent pas, malgré les objections turques, rejeter un système fédéral plus ou moins comparable a celui en vigueur aux Etats-Unis.

Le deuxième volet de l’accord de Sari Rash porte sur la normalisation des relations entre les deux parties du Kurdistan contrôlées par le PDK et l’UPK, avec en premier lieu le rétablissement de communications normales entre les deux zones, en commençant par les télécommunications. Cet accord prévoit aussi l’ouverture de représentations de ces partis dans les villes qui échappent à leur autorité, pour l’UPK à Erbil et Dohok, pour le PDK à Souleimania. Il prévoit également la libération des derniers détenus politiques, ou considérés comme tels, et surtout le retour de plusieurs dizaines de milliers de personnes déplacées par le conflit entre les deux partis.

La «normalisation» des relations entre les deux partis porte également sur des domaines plus politiques et beaucoup plus sensibles:
- la coopération des services de sécurité des deux partis, mettant fin à une rivalité -ou à une hostilité- exploitées par certaines forces locales (PKK,Islamistes) ou régionales (Turquie, Iran, Irak) qui ont commis ou tente de commettre de graves attentats au Kurdistan.
-l’harmonisation des rapports des deux partis kurdes avec leurs voisins immédiats -la Syrie, l’Iran et surtout la Turquie. «Nous devons discuter avec eux d’une même voix», nous a dit Saadi Pira, porte-parole du bureau politique de l’UPK, «et leur donner de sérieuses garanties, les rassurer, les convaincre que nous ne cherchons pas à créer un petit Etat kurde... Mais en même temps ils doivent accepter que nous partagions le pouvoir à Bagdad, et que les postes de Président de la République irakienne, de Premier ministre ou de ministre de la défense ne soient le monopole de personne».
-Les relations avec l’étranger lointain -les pays arabes, l’Union européenne, les Etats-Unis. Avant de créer une représentation unique dans ces pays, les représentations diplomatiques des deux partis devront harmoniser leurs activités, et coopérer étroitement. Et déjà, les deux partis ont décidé d’envoyer une seule délégation kurde à la conférence de l’opposition irakienne qui doit se réunir en Europe début octobre.

L’accord de Sari Rash comporte-t-il un troisième volet, secret, et particulièrement délicat? Les deux chefs kurdes se sont-ils mis d’accord sur l’attitude a adopter en cas d’opération militaire américaine contre le régime de Saddam Hussein? Quel sera alors le rôle des forces kurdes? Les deux partis mettront-ils en place un commandement unique? Officiellement, il n’en a pas été question: «Quand nous verrons les plans américains, nous déciderons», dit Saadi Pira, «pour l’instant, les Américains ne nous ont pas invités à discuter leurs plans, et nous ne les avons pas invités...»

En voyant dimanche soir (8 septembre) à la télévision kurde Jelal Talabani et Massoud Barzani faire une conférence de presse commune, un négociant de Souleimania affichait sa satisfaction en voyant les deux leaders kurdes parler d une seule voix. Mais il ne pouvait s’empêcher de manifester un certain scepticisme: «Nous avons déjà vu ça... Combien de temps va durer cette lune de miel entre nos deux chefs

Cette fois-ci, cependant, les pressions américaines semblent irrésistibles, et les Kurdes semblent décidés a ne pas laisser passer cette chance historique de renverser le régime de Saddam Hussein.



par Chris  Kutschera

Article publié le 09/09/2002