Rwanda, 10 ans après
Entre mémoire et pragmatisme
La commémoration du génocide de 1994 au Rwanda, qui a vu le massacre de 800000 à un million de Tutsis et de Hutus modérés, par des extrémistes de l’ethnie majoritaire hutue, a été à la fois préparée activement, et dans une certaine discrétion. Les cérémonies devaient commencer le 7avril 2004, jour anniversaire du début des massacres. L’approche du 7avril a cependant été marquée par la publication, par le journal français Le Monde, d’un rapport mettant directement en cause le président Paul Kagame dans l’attentat du 6avril 1994 contre l’avion de l’ancien président, Juvénal Habyarimana. Cet attentat avait déclenché, dès le lendemain, la vague de tueries contre les Tutsis.
Le rapport résume les données d’une enquête entreprise par le juge anti-terroriste français Jean-Louis Bruguière, à la demande des familles des pilotes français morts dans l’attentat. Le président Kagame, en visite à Bruxelles au moment de ces révélations, a catégoriquement démenti toute implication. De leur côté les Nations unies –dont le secrétaire général actuel, Kofi Annan, était chargé des opérations de maintien de la paix au moment du génocide– ont diligenté une enquête sur une boîte noire, désignée comme celle de l’avion d’Habyarimana, mentionnée par le rapport et détenue depuis cette époque par l’Onu, qui ne l’avait jamais examinée.
Un contexte de méfiance envers la communauté internationale
Cette affaire a relancé la controverse entre le Rwanda et la France, le président Kagame reprochant toujours à Paris ses anciens liens avec le régime de Habyarimana. «Le président Kagame n’admettra jamais une quelconque responsabilité dans cet attentat, comme il n’acceptera pas qu’on ouvre une enquête sur les victimes hutues au Rwanda puis en RDC, entre 1994 et 1996», estime un observateur diplomatique. D’autres commentateurs se montrent toutefois compréhensifs: «A l’époque des tueries, personne n’est intervenu et il y a même eu débat au conseil de sécurité de l’Onu pour savoir s’il fallait parler de génocide –ce qui aurait impliqué l’obligation d’intervenir– ou simplement de massacre», rappelle un responsable humanitaire. Qui estime que les excuses présentées par la suite, que ce soit par l’Onu, l’ancien président américain Bill Clinton, ou la Belgique, ancienne puissance coloniale, n’ont pas réussi à dissiper la colère et l’amertume des dirigeants tutsis rwandais. Ces derniers n’ont guère toléré non plus le fait que les experts de l’Onu les accusent de profiter de la présence de leurs troupes dans l’est de la RDC pour piller les ressources de leur voisin. «D’où leur méfiance à l’égard de la communauté internationale et de l’Onu en général, même s’ils acceptent la nécessité de collaborer avec toutes ces organisations. Ils ne font confiance qu’à eux-mêmes», ajoute-t-on.
Sur le plan intérieur, le gouvernement de Kigali a annoncé la prochaine libération de quelques milliers de prisonniers supplémentaires, sur les 89000 encore détenus selon les chiffres du CICR (Comité international de la Croix rouge). Près de 25000 avaient déjà été relâchés en 2003. Le CICR qui visite les prisons, y compris les lieux de détention militaire, les postes de police et les cachots communaux –les camps ouverts étant réservés à la rééducation– estime qu’il n’y pas de maltraitance, mais surtout des problèmes posés par la surpopulation dans des espaces réduits. Par ailleurs, le système des «gacaca», sortes de tribunaux populaires lancés en juin 2002 pour juger au niveau des cellules -la plus petite entité administrative du pays- les coupables du génocide, n’arrive pas à correctement s’implanter, bien que sa généralisation soit toujours prévue à travers le pays.
Statu quo au plan intérieur, gestes d’ouverture à l’extérieur
De nombreux observateurs se demandent si le processus de justice et de réconciliation mené par Kigali arrivera véritablement à dissiper les vieilles tensions entre Hutus et Tutsis, bien que l’homme de la rue n’aborde pas le sujet et que le régime s’efforce de gommer officiellement les différences. «Les Hutus ne disent pas grand-chose et ne paraissent pas malheureux», estime l’un d’eux, qui reconnaît toutefois que les tensions sont latentes. Ces observateurs admettent que le pays connaît une stabilité remarquable, même si certains n’hésitent pas à parler de dictature militaire, au lendemain de l’élection présidentielle remportée, en août 2003, à plus de 95% par Paul Kagame. La coalition dominée par le FPR a par la suite gagné la majorité absolue aux élections législatives, élections critiquées par l’Union européenne pour des irrégularités sérieuses et des fraudes. «Le problème est de savoir si les dirigeants actuels ont en eux assez de fibre politique pour accepter un jeu politique ouvert, au lieu de mettre en place de facto un système de parti unique totalitaire», affirme un diplomate.
Sur le plan extérieur, en revanche, Paul Kagame a fait des gestes apparents d’apaisementenvers son voisin de la République démocratique du Congo (RDC), d’où il a retiré officiellement ses troupes. Le dernier en date étant la nomination à Kinshasa d’un ambassadeur rwandais, pour la première fois depuis octobre 1996. Mais le régime rwandais sait qu’il ne pourrait pas survivre sans la communauté internationale. Le Rwanda «a besoin d’espace vital, d’où la poussée traditionnelle vers l’est de la RDC. Il est aussi obligé de jouer de la politique continentale au milieu des géants régionaux. C’est pourquoi Kigali veut prendre en main l’organisation de la future conférence internationale sur les Grands Lacs et a tout fait pour accueillir le récent sommet du NEPAD (Partenariat pour le développement économique de l’Afrique)», observe-t-on à Paris.
Le Rwanda a bénéficié de la sympathie et du soutien de l’Afrique du Sud, qui lui a vendu des armes et considère le régime actuel comme un facteur de stabilité dans la région. «Il ne faut pas non plus oublier que les Sud-africains aiment bien avoir des alliés autour des grands marchés qui les intéressent,comme la RDC», est-il souligné. Sur le plan international, le Rwanda a reçu un soutien fort de Washington et de Londres. Mais les choses ont évolué et les appuis sud-africains, américain et britanniques font tous pression aujourd’hui pour que Kigali fasse véritablement la paix avec Kinshasa et se retire complètement de l’est de la RDC.
La France appuie elle aussi ce processus et affirme que son seul problème avec le Rwanda porte sur l’attitude de ce pays envers la République démocratique du Congo. Les relations entre Paris et Kigali restent toutefois ambiguës et le président Kagame n’hésite toujours pas à rappeler que «certains en France ont du sang sur les mains».
par Marie Joannidis
Article publié le 01/04/2004 Dernière mise à jour le 02/04/2004 à 18:01 TU
Cet article a été publié initialement par MFI, l'agence de presse de RFI (plus d'informations)