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Rwanda, 10 ans après

Roméo Dallaire raconte le jour où le génocide commence

De l’attentat contre le président Habyarimana aux premiers massacres, le récit de 24heures de la vie du lieutenant-général canadien Roméo Dallaire, chef des casques bleus au Rwanda. D’après son livre J’ai serré la main du diable. La faillite de l’humanité au Rwanda.

6 avril 1994, au soir. Au QG de la Mission de maintien de la paix des Nations unies au Rwanda (MINUAR), la nouvelle tombe: l’avion du président Habyarimana s’est écrasé à l’aéroport de Kigali. Dallaire envoie une patrouille pour sécuriser la zone. Il informe Jacques-Roger Booh Booh, le représentant spécial de Boutros Boutros-Ghali, secrétaire général de l’Onu, puis reçoit l’appel du Premier ministre du gouvernement intérimaire, Agathe Uwilingiyimana. Elle demande l’aide de la Minuar– estimant être légalement désignée pour la succession.

22 heures. Dallaire est convié à un comité de crise, au QG des FAR, l’armée rwandaise. La ville est plongée dans un silence effrayant. Dans l’enceinte, surveillée par des soldats armés jusqu’aux dents, des troupes s’activent. Dans la salle de conférence, le colonel Théoneste Bagosora, chef de cabinet du ministre de la Défense, entouré d’une douzaine d’officiers, annonce que l’armée doit prendre le contrôle du pays. Dallaire affirme que le Rwanda a encore un gouvernement, mais Bagosora réplique que madame Agathe n’a pas la confiance du peuple. Le Canadien souhaite qu’elle fasse un discours à Radio Rwanda pour appeler la population au calme. La Minuar et la gendarmerie pourraient patrouiller conjointement cette nuit dans Kigali. Il demande aussi à garder le lieu de l’accident pour qu’une véritable enquête ait lieu. Il apprend qu’une section de soldats belges s’en est vue refuser l’accès par la garde présidentielle. Dallaire envoie une escorte belge à la maison du Premier ministre. Pendant ce temps, au camp des FAR, un de ses adjoints organise avec la gendarmerie les patrouilles conjointes mais s’étonne de voir la troupe, équipée de fusils d’assaut RF4 flambant neufs, sortir de l’enceinte dans des blindés.

7 avril, 2 heures 30. Dallaire ramène Bagosora, qu’il avait accompagné chez Booh Booh, chez les FAR. Tout est calme. A 3 heures, de retour à son QG, il rend compte à New York, d’où Iqbal Riza, le n°2 du DOMP (Département des opérations de maintien de la paix de l’Onu), lui répète que la Minuar ne doit pas tirer, sauf légitime défense. Le soleil se lève. Les appels téléphoniques se font pressants. Des appels à l’aide. Il y en aura jusqu’à cent par heure. Les équipes de l’Onu répondent en annonçant l’arrivée des secours... Une promesse que Dallaire sait impossible à honorer. Au petit matin, il prévient madame Agathe que son discours est annulé: la garde présidentielle bloque les portes de la radio nationale. Puis, il apprend que des éléments de la garde présidentielle, de l’armée, de la gendarmerie et de l’Interahamwe vont de maison en maison avec une liste de noms. Des cris et des coups de feu sont entendus.

10 heures. Dallaire se rend au Comité de crise. Près du centre-ville, il croise des miliciens Interahamwe qui montent la garde aux barrages. Passé l’hôtel des Mille Collines, il tombe sur la garde présidentielle qui tient dans sa ligne de mire deux véhicules blindés du bataillon bangladais de la Minuar. Dallaire s’avance à pied. Au barrage, le caporal refuse de le laisser passer. Longeant l’enceinte du ministère de la Défense, un major rwandais lui ordonne de monter à bord de sa voiture. Devant une entrée du camp Kigali, transformé en bunker, Dallaire croit apercevoir des soldats belges allongés par terre. Pendant la réunion, à l’Ecole supérieure militaire, Dallaire ne cesse de s’enquérir du sort de ses hommes. Bagosora lâche enfin: «La RTML a annoncé que les Belges avaient abattu l’avion présidentiel».

Midi. Il s’éclipse et cherche à joindre son QG. Il apprend que la garde présidentielle et les milices ont assassiné les personnalités protégées par la Minuar. Trente-cinq membres de son personnel militaire ont été capturés.

13 heures. Dallaire se rend au PNUD, où madame Agathe s’était réfugiée. Elle et son mari ont été déjà exécutés, mais ses enfants sont à l’abri. Les Rwandais menacés tentent de gagner les locaux de la Minuar, au QG d’Amahoro, au Méridien, à l’hôpital Fayçal, à l’hôtel des Mille Collines, mais une foule d’extrémistes bloque les entrées.

Dallaire reçoit pour la troisième fois un message de Paul Kagame, chef du FPR: si à la tombée de la nuit, Kigali n’est pas sécurisée, ce 7avril, le FPR passera à l’attaque. Deux heures avant le coucher du soleil, il retourne au Comité de crise. Dallaire tape du poing sur la table, excédé. Il finit par apprendre que ses soldats sont à l’hôpital de Kigali. Il parcourt à pied les deux cents mètres qui le séparent du bâtiment d’où sortent cris et gémissements. Partout, du sang. Un officier dit que les corps se trouvent à l’autre bout, devant la morgue. Un sombre sentier, une paillote faiblement éclairée, Dallaire croit voir des sacs de pommes de terre. En fait, des corps emmêlés, vêtus d’uniformes belges, empilés. Il compte onze soldats. En fait, ils sont dix. Pour lui, des héros du Rwanda.



par Antoinette  Delafin

Article publié le 01/04/2004 Dernière mise à jour le 02/04/2004 à 18:01 TU

Roméo Dallaire. J’ai serré la main du diable. La faillite de l’humanité au Rwanda. Canada, Ed. Libre Expression, déc. 2003. 650 pages.

Cet article a été publié initialement par MFI, l'agence de presse de RFI (plus d'informations)

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Général Roméo Dallaire

Ancien commandant des Casques bleus durant le génocide de 1994 au Rwanda

[19/02/2004]