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Afrique du Sud

Cullinan (2e étape)

La De Beers contrôle un champ diamantifère exceptionnel en Namibie: 60000 km², soit 10% du territoire du pays! 

		(Photo: South African Tourism)
La De Beers contrôle un champ diamantifère exceptionnel en Namibie: 60000 km², soit 10% du territoire du pays!
(Photo: South African Tourism)
Vincent Garrigues nous propose de découvrir la 2e étape de son carnet de route en Afrique du Sud.

Le carnet de route de Vincent Garrigues

Cullinan, dimanche 18 avril 2004:

Le théâtre naturel sud-africain sait multiplier les décors.

J’ai laissé dans le rétroviseur la brousse subtropicale du Mpumalanga et traverse aujourd’hui l’altiplano de Gauteng, ce «highveld» déjà roussi par les rayons acides du soleil hivernal. De chaque côté de l’autoroute toute neuve et ponctuée de péages électroniques, c’est le pays Ndebele. Souvenir d’un voyage il y a quelques années: personne ne pouvait vous dire où se cachait ce peuple de femmes peintres. Un jeu de pistes, une journée à arpenter la plaine aride pour enfin dénicher un village. Aujourd’hui, les artistes Ndebele sont des stars; celle-ci expose à New-York; celle-là crée des berlines collector pour un constructeur bavarois. Pour les rendez-vous, il faut passer par leurs agents commerciaux! Ndebele, le vrai chic ethnique. Sur l’échelle du développement séparé, avant hier, on trouvait devant eux les petits blancs avec leur mine de pirate et les tâches brunes héritées d’un grand-père aux mœurs ancillaires.

Stop à la station de Machadodorp pour remplir le réservoir. Le patron est en short, tout ébouriffé, avec un tee-shirt aussi gras qu’un chiffon de vidange. Il roule les «r» comme la Garonne. Derrière la friteuse antédiluvienne, j’aperçois deux enfants, deux fillettes, une noire et une blanche. Elles jouent à la poupée, elles sont pieds nus dans la sciure caramel. Le tout sent la misère, inspire le respect. Le poète Van Wyk Louw se serait-il trompé en annonçant des jours mauvais, après les enchantements de la «réconciliation»? Sûrement. Le garagiste cradingue sert désormais du sans-plomb aux Ndebele qui se la jouent en BMW. Sa fille-la-blonde désosse une Barbie avec la petite de la caissière.

Tiens, voilà Cullinan, là où la reine d’Angleterre se fournit en diamants…

Vincent Garrigues

Les diamants sont éternels

L’Afrique du Sud, 5e producteur mondial, détiendrait dans son sous-sol 24% des réserves non exploitées. La production annuelle s’élève, bon an, mal an, à environ 9 millions de carats. Ce secteur (1% du PIB) est dominé par la gigantesque société De Beers, numéro 1 mondial.

Jackpot pour Thomas Cullinan. En 1905, il découvrit ici un Youkounkoun à faire tomber Louis de Funès en syncope : une pierre de 3 106 carats, le plus gros diamant de l’histoire. Dans ce brut, on tailla 9 pièces, dont le “Great Star of Africa” de 530 carats, taillé en poire et monté sur le sceptre impérial de la reine d’Angleterre. En 1986, découverte du “Centenary”, 599 carats brut, 273 taillé en poire et écusson. Plus récemment, l’actrice française Sophie Marceau a été la marraine du petit dernier : dans les mains de la “gemme’s Bond Girl”, “The Hearth of Eternit ” faisait ses 26,64 carats d’un bleu intense. La mine est toujours en activité.

Le commerce du diamant traîne depuis une dizaine d’années une sale réputation. Avant d’atteindre la place Vendôme, certaines pierres passent entre les mains d’intermédiaires peu vertueux opérant dans les zones des pires guerres d’Afrique. On a donc parlé de «diamants de la guerre». De Beers, le groupe Sud-Africain, s’est senti concerné car ses activités sont mondiales. A l’heure d’ouvrir des boutiques à l’international en partenariat avec le groupe français LVMH, De Beers développe d’importants efforts de marketing pour faire oublier les pierres sanglantes. Ainsi du lancement du label South African Ideal Cut, une forme «d’appelation d’origine contrôlée». Les diamants en question, au cœur embrasé, aux mains propres, aux 58 facettes mathématiquement ajustées pour conduire la lumière du centre vers le haut comme par une cheminée, proviennent tous de la mine Premier de Cullinan près de Pretoria. La taille, est-il encore garanti, est assurée par 120 femmes recrutées et formées tout spécialement dans les milieux désavantagés. Elles travaillent sur place entourées d’ordinateurs, de lasers et de microscopes.

Avant d'atteindre la place Vendôme, certaines pierres passent entre les mains d'intermédiaires peu vertueux opérant dans les zones des pires guerres d'Afrique. 

		(Photo: South African Tourism)
Avant d'atteindre la place Vendôme, certaines pierres passent entre les mains d'intermédiaires peu vertueux opérant dans les zones des pires guerres d'Afrique.
(Photo: South African Tourism)

 

 

 

 

 

 

 

 

L’AngloAmerican, un empire de 423 000 employés

En Afrique du Sud, l’AngloAmerican intervient dans tous les secteurs: l’agriculture, les vins, l’élevage, l’immobilier, les assurances, le tourisme mais surtout la pâte à papier (le plus grand moulin du monde), les explosifs (la première place mondiale), le platine (Anglo Platinum, 2 millions d’onces, l’or (AngloGold) et les diamants via la De Beers pour lesquels on inventa en 1948 le slogan « Un diamant est éternel ». La Central Selling Organisation (CSO), bras commercial de la De Beers créé en 1934 par le génial Ernest Oppenheimer, commercialisait 80 % de la production mondiale de diamants bruts de qualité « gemme » et une part importante des diamants industriels.

Révolution chez le plus puissant, le plus ancien et le dernier vrai cartel de la planète: les dirigeants du premier conglomérat diamantaire, celui qui dominait les approvisionnements, les prix, les flux de vente et les stocks de pierres précieuses depuis plus de 70 ans, ont décidé au tournant du siècle de transformer complètement son mode de fonctionnement, abandonnant le rôle historique «d’acheteur de dernier recours». Jusqu’au 12 juillet de l’an 2000, les relations entre la De Beers et les acheteurs de pierres brutes étaient fondées sur un code d’honneur. Mais les guerres civiles africaines ont marqué les esprits et c’est ainsi que les diamants ont parfois la couleur du sang.

Depuis le fameux 12 juillet, le «Syndicat», ex-CSO devenu Diamond Trade Company exige de voir les comptes des acheteurs à Anvers (sightholders), lesquels sont liés par des contrats d’exclusivité. Aujourd’hui, la De Beers contrôle encore 60% de la commercialisation du diamant brut dans le monde tandis que ses propres mines fournissent environ 50% de la production mondiale. Une position qui constitue un recul par rapport au passé. La belle vieille dame de Kimberley, qui sort de terre chaque année près de 35 millions de carats, soit 7 tonnes de pierres ayant nécessité l’extraction de 70 millions de tonnes de minerais, entend s’adapter à la politique anticartel de l’Union européenne. Et nouveauté… pour le début de ce siècle, elle va ouvrir des boutiques aux quatre coins du monde en partenariat avec le groupe français LVMH.

En Afrique du Sud, elle a déjà lancé le label SA Ideal Cut pour ses pierres taillées à Cullinan. Directement du producteur au consommateur, voilà le nouveau mot d’ordre et une bonne manière d’être sûr que le diamant n’a pas enrichi les «saigneursde guerre» de Sierra Leone ou du Congo-Kinshasa. Demain? Mis à part ses 9 mines en Afrique du Sud, la De Beers contrôle un champ diamantifère exceptionnel en Namibie: 60000 km², soit 10% du territoire du pays! Le tout est surveillé par un service de sécurité redoutable dont les activités parfois aux limites avaient inspiré Ian Fleming pour son James Bond Les diamants sont éternels, le slogan-maison de la De Beers depuis 1949,.éternel comme le souvenir de Harry O’, le plus grand patron du pays, l’architecte du plus grand empire de diamants et d’or au monde, né à Kimberley en 1908 dans une famille juive originaire d’Allemagne, converti au protestantisme en 1939, dirigeant de la De Beers pendant trente ans, mort en août 2000 à Johannesburg. Nicholas « Nicky » Oppenheimer, le fils de Harry, préside désormais le géant. La famille Oppenheimer est la première fortune du pays (227e rang mondial selon Forbes), avec un capital estimé à 13,2 milliards de rands.


par Vincent  Garrigues

Article publié le 13/04/2004 Dernière mise à jour le 20/04/2004 à 09:37 TU


Cet article a été publié initialement dans le guide Le petit futé Afrique du Sud

Réalisation multimédia : Thomas Bourdeau & Claire Wissing

Audio

Cullinan, province de Gauteng

«Les diamants: la sueur et le sang des hommes»

[19/04/2004]