Afrique du Sud
Graaff-Reinet (4e étape)
(Photo: South African Tourism)
Le carnet de route de Vincent Garrigues
Graaff-Reinet (Cap oriental), mardi 20 avril: Entre les plaines de l’Etat libre et les cactus du Karoo, il faut passer par le désespoir. Une route plonge vers le sud, au milieu de nulle part, auprès des oubliés du «miracle» sud-africain. Le Cap oriental, miroir brisé des promesses politiques. J’entre dans Jamestown, un «dorp» (hameau) à l’ombre des éléphantesques collines Maluti frontalières du Lesotho. Un «liquor store», un dispensaire, un hôtel hanté, quelques promeneurs sous la pluie fine, des femmes rendues obèses par les années de «mielie pap», la purée de maïs pas cher donc quotidienne. L’endroit me fait penser aux romans de J.M. Coetzee; une dernière escale avant la fin du monde, l’occasion d’une ultime révolte en suivant le poing dressé sur le affiches de l’ANC ou bien l’abattement. Vite, sortir de là. Sur l’horizon, comme des monstres abstraits, les pitons rocheux du Platteland tantôt cubiques, tantôt triangulaires. Jamestown s’enfuit dans le rétroviseur mais c’était sans compter le township sur la butte ventée. Au premier plan, un spectacle très curieux: dans un champ pelé, un urbaniste fou ou bien prévoyant a installé plusieurs centaines de WC mobiles. Pas une maison, pas une âme qui vivote, mais des cabinets chimiques. De quoi donner le vertige au ministre des Eaux et Forêts, en charge de l’équipement sanitaire de 18 millions de personnes, dans 3 millions de foyers, avant 2010. Coupure du dernier Sunday Times: «Dans son village du Cap oriental, la mère du président Mbeki attend toujours son raccordement à l’eau courante». L’orage est brutal, africain en diable, qui lave le décor et fait des piétons des gazelles bondissantes. Une centaine de kilomètres de caillasse rouge et rousse me sépare encore de Graaff-Reinet, la ville qui connu en 1795 un mouvement insurrectionnel directement inspiré de la Révolution française. Impossible d’effacer de ma mémoire ces cabines bleues sans clients, ces toilettes en attente de plus de pauvres. Heureusement, le Peintre suprême nous offre un ciel d’après la pluie plein de violet et d’orangé sur une gaze vaporeuse vieil or. Et Graaff-Reinet produit de la Tequila… Vincent Garrigues |
(Photo: South African Tourism)
La quatrième ville créée dans le pays
C'est une vieille dame en robe blanche qui rêvasse au bord de la rivière Sundays. La ville fut créée par le gouverneur du Cap, Jacob van de Graaff, en 1786. Celui-ci répondait ainsi à la pétition signée par les fermiers du Camdeboo et du Sneeuberg soulignant la nécessité de créer un centre administratif. Graaff-Reinet (la femme du gouverneur s'appelait Reinet !) est donc la quatrième plus ancienne ville sud-africaine, après Le Cap, Stellenbosch et Swellendam.
Un architecte français fut invité à construire un "drostdy", une résidence pour le représentant du gouverneur. Lequel sera victime, en 1795, de la première révolution "populaire" d'Afrique. La nouvelle de la prise de la Bastille était dans tous les esprits ; des esprits fermement décidés à ne pas se laisser diriger par le représentant du très lointain gouverneur du Cap. Un groupe de fermiers fit donc irruption en ville et expulsa le landdrost Maynier et ses employés. On décida collectivement que la nouvelle "Colonie de Graaff-Reinet" serait administrée par un "Volkstem", la "voix du peuple". L'aventure dura un an à peine, jusqu'à ce que les Britanniques prennent le contrôle de la totalité de la province du Cap. Stratégique entre tous, le district de Graaff-Reinet comprenait les territoires entre l'océan Indien et le fleuve Orange, c'est-à-dire les premières marches qui mèneront bientôt à la conquête de l'intérieur. En 1836, Gerrit Maritz et Andries Pretorius entraînèrent dans le Grand Trek les meilleurs fermiers de la ville.
L'actuelle Graaff-Reinet est aujourd'hui le point de rencontre de tous les éleveurs de moutons mérinos et de chèvres angora. La ville est située à 759 mètres d'altitude, à proximité de la colline "Spandau Kop" (nom donné en 1801 par un soldat prussien en souvenir de la forteresse près de Berlin). Graaff-Reinet compte environ deux cents monuments historiques, ce qui est beaucoup plus que les autres villes du pays. Les recherches - et parfois le simple hasard d'une promenade - font apparaître des traces laissées par les animaux préhistoriques. Cette partie du Karoo semble être une mine en la matière, et les scientifiques affluent: sur les territoires de la réserve de Asante Sana, les paléontologues de l'Albany Museum de Grahamstown ont identifié quelque 180 empreintes fossilisées comme étant les traces de six dicynodons qui vivaient au permien (255 millions d'années), la dernière période de l'ère primaire. Le Dictionnaire encyclopédique Quillet nous souffle que ces bestioles de grande taille avaient "une mâchoire armée d'un bec corné analogue à celui d'une tortue et présentaient deux grandes défenses, d'où leur nom". Trente-cinq millions d'années avant l'âge des dinosaures, ces protoreptiles (en particulier l'Aulacephalodon) arpentaient ces plaines à l'époque marécageuses.
par Vincent Garrigues
Article publié le 13/04/2004 Dernière mise à jour le 20/04/2004 à 09:31 TU
Cet article a été initialement publié dans le guide le Petit futé: Afrique du Sud
Réalisation multimédia : Thomas Bourdeau