Afrique du Sud
Le Karoo - Prince Albert (5e étape)
(Photo: South African Tourism)
Le carnet de route de Vincent Garrigues Prince Albert (Cap occidental), mercredi 21 avril Dans la coulée sèche vers l’océan, Aberdeen est une des plus jolies surprises du désert, une cité fantôme qui lentement revient à la vie. Soleil vertical sur le Karoo, bain de lumière métallique au bout d’une ligne droite de 80 km. Bienvenue dans la «civilisation de l’autruche». Nous avons tous oublié l’importance de la plume dans l’histoire du costume et dans le quotidien des ménagères ! A la fin du 19e siècle, les éleveurs du coin vivaient comme des nababs et ne savaient que faire de leur argent. Certains ont acheté des terres aux quatre coins du pays, d’autres ont investi dans la pierre, se faisant construire des petits palais ouvragés au milieu de nulle part. Rien n’était trop beau pour les barons plumassiers. Les arabesques de l’Art nouveau, dernier chic parisien (Guimard, Horta, Lalique…), ont ainsi fleuri sur les façades du Karoo. Dans le jardin de la vertigineuse église d’Aberdeen, les écoliers en uniforme improvisent une partie de foot. Je tourne dans les rues poussiéreuses à la recherche de la maison de Carlos, le peintre-star des œufs d’autruche. Hier encore à l’abandon, le village semble en pleine renaissance. Vilma, revenue au pays après 20 ans d’exil professionnel en Suisse, m’explique que la région subit les effets positifs de la «homecoming revolution»: des milliers de Sud-Africains blancs, rassurés par la stabilité politique et les succès économiques de leur pays, reviennent d’Australie, d’Europe ou du Canada. Les villas rococo de l’âge d’or des plumes sont pour eux ! Un ordinateur branché sur Internet, quelques coups de peinture, un jardin défriché, le soleil toute l’année, le potager rempli de légumes bio, cool. Carlos ouvre sa porte, sourire, bras en croix. Par ici, on se salue au corps à corps, façon collé-serré, surprenant pour une société si prude. Mais les Afrikaners ne pratiquent-ils pas le baiser sur la bouche, entre membres d’une même famille ? Sous la véranda multicolore de l’artiste mozambicain (et un peu capverdien), je découvre les dernières créations: un œuf Klimt, un Mucha, un Kama-Sutra, un George Bush père habillé en nuisette à fleurs. Ces fantaisies vernissées se vendent à bon prix dans le monde entier; Carlos est riche, un peu farfelu et très heureux de donner du travail à une dizaine de jeunes métis. «Jamais je ne partirai d’ici. Je veux vivre dans ce pays où l’histoire est en train de se faire...» |
Le Karoo: une terre cuite comme la croûte du pain
Voulez-vous cueillir quelques tiges au parfum de miel et d’oseille? Savez-vous préparer la peau de porc-épic à la sauce aigre-douce et distinguer l’herbage d’un mouton à son goût ?
Le Karoo est un monde traversé de chemins ivres qui semblent aller nulle part ; on vient s’y perdre sous un soleil acide, d’éolienne en éolienne, de village en village, pour retrouver avec la nuit la chaleur des “dorpshuisies”, ces belles maisons au sol de fumier et de noyaux de pêche. Bien sûr, le Karoo se mérite. Il faut parcourir parfois plusieurs centaines de kilomètres pour trouver une ferme ou un hôtel, de l’autre côté de l’horizon. Les touristes ne se bousculent pas dans cette région isolée, apparemment vide. Un désert poussiéreux et venté, où des dizaines de milliers de moutons broutent l’herbe rase, quel intérêt ? Sous son aspect rude, le Karoo cache des trésors d’hospitalité et de simplicité, des fermiers au grand cœur et de nombreuses auberges de charme. Ici le vide est habité de nombreux esprits.
Sur la route du Cap au Caire, entre les vignes riantes du Boland et les maïs de l’Orange, voilà une région unique, comme un secret de voyageur ou de poète. Il y a deux cents millions d’années, c’était un lac, un grand lac bordé de cicas. Aujourd’hui, c’est un plateau nu qui possède la plus grande variété de plantes grasses du monde, une terre cuite comme la croûte du pain, un trop-plein de clarté qui brûle les yeux et ride la peau des hommes, une plaine d’herbe rouge (rooigras) ponctuée de koppies ; non pas un désert, plutôt un “ jardin extraordinaire ” où l’on serait plus près de la vérité.
Les monstres du KarooIl y a 260 millions d’années, la région était occupée par de grandes aires marécageuses entourées de montagnes érodées. Un terrain de jeu idéal pour les grands reptiles, avec dans le rôle de l’ancêtre, le Mesosaurus tenuidens (270 Ma), dont l’existence attestée parallèlement au Brésil témoigne d’une séparation tardive des continents. Sur une échelle de temps de 50 millions d’années couvrant principalement le Permien, mais aussi le Trias et le début du Jurassique (240 – 190 Ma), les couches sédimentaires livrent au gré des recherches des Pareiasauridés, des Thérapsides, des Dicynodontes, des Gorgonopsiens et des Thérocéphales. Paisibles herbivores ou féroces croqueurs, ces animaux ont disparu lors d’une extinction massive qui emporta les neuf dixièmes des espèces végétales et animales de la planète. Seuls survivront les Thérocéphales, ancêtres des Cynodontes du Trias inférieur (220 Ma), eux-mêmes arrière grands-pères des dinosaures. "Quelque chose" s’est produit il y a 225 millions d’années ! Quel phénomène cataclysmique a bien pu stopper la quasi totalité de la vie sur Terre ? En l’espace de 100000 ans, les mers se sont vidées, les arbres et les animaux sont morts. Les paléobiologistes et les paléontologues, comme Roger Smith du Muséum d’Afrique du Sud, explorent sans relâche les strates fossilifères du Karoo, à la recherche d’une explication. Plusieurs hypothèses entrent en concurrence : explosion volcanique, astéroïde ou pollution gazeuse.
(Photo: South African Tourism)
Gamkaskloof, la “vallée de l’enfer”
On les a pris pour des sauvages ou pour des fous, on les disait agressifs et illettrés, les gens de la vallée oubliée. Heureusement, des études sont venues prouver le contraire (Die Hel, par Johan Vorster, University of Cape Town 1992). Cette vallée longue d’une vingtaine de kilomètres et large de six cents mètres, en plein cœur du massif du Swartberg, a été d’abord occupée par les Bochimans. En 1830, Petrus Swanepoel s’y installe avec sa famille, bientôt rejoint par les Cordier (descendants de l’Orléanais Louis Cordier), Mostert, Marais (descendants du Francilien Charles Marais) et Joubert (descendants du Provençal Pierre Joubert). Ainsi, une petite communauté de 120 personnes a vécu ici pendant plus d’un siècle, comme en dehors du temps. Débarquant par hasard dans la vallée durant la guerre anglo-boer, le général Reitz a ainsi rencontré des hommes et des femmes vêtus de peaux de bêtes. Il n’y avait aucune piste, aucune route de communication avec le monde extérieur ; l’eau coulait entre les rochers, les animaux fournissaient la viande et le lait, les abeilles produisaient du miel et du tabac avait été planté. Rien à voir avec l’enfer. L’expression “Die Hel” avait été lâchée par un inspecteur vétérinaire qui en avait assez de faire le chemin à pied. En 1962, un fonctionnaire bien intentionné fit construire une piste d’accès pour les voitures, et la vallée se vida petit à petit de ses occupants. L’école a fermé en 1981 et le dernier résident a vendu sa ferme en 1991. La vallée est désormais protégée par le comité “Cape Nature Conservation” ; une lente restauration des bâtiments est en cours. Pour les longues soirées sous les étoiles, vous frissonnerez en lisant Le vallon du Diable d’André Brink (Stock).
par Vincent Garrigues
Article publié le 13/04/2004 Dernière mise à jour le 21/04/2004 à 17:00 TU
Cet article a été initialement publié dans le guide le Petit futé: Afrique du Sud
Réalisation multimédia : Thomas Bourdeau