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Afrique du Sud

L’hégémonie de l'ANC

Dix ans après le premier scrutin multiracial, les élections générales du 14 avril 2004 sont dénuées de tout suspense. Thabo Mbeki, le président, est assuré de sa réélection, en raison du poids électoral de son parti. Le Congrès national africain (ANC), hégémonique, n’est menacé par aucune formation d’opposition.

En 1999, l’ANC s’attendait à une légère érosion de son score historique de 1994, lors des premières élections multiraciales jamais organisées en Afrique du Sud. A la surprise générale, il avait fait mieux. Nelson Mandela, élu avec 62,4% des voix en 1994, a vu son successeur, Thabo Mbeki, remporter 64,6% des suffrages cinq ans plus tard. Aujourd’hui, à la veille des troisièmes élections générales de la «nouvelle» Afrique du Sud, le chef de l’Etat n’a aucun souci à se faire pour son second mandat. La donne politique, en effet, n’a pas changé.

L’euphorie post-apartheid, certes, a cédé la place à un certain désenchantement. Nelson Mandela promettait des nationalisations, en sortant de prison, en 1990. Quatre ans plus tard, son gouvernement s’est converti sans complexe au libéralisme. Réduction du déficit budgétaire, endettement minimum, maîtrise de l’inflation, tels ont été ses mots d’ordre, malgré les immenses besoins sociaux du pays. Le Programme pour la reconstruction et le développement (RDP) a été abandonné en 1996 pour une politique de rigueur exemplaire, baptisée “Gear” (croissance, emploi et reconstruction). Résultat: l’Afrique du Sud collectionne depuis 2000 les bonnes notes des agences internationales de rating, mais la croissance et l’emploi, eux, n’ont pas été au rendez-vous. Avec 2,5% de croissance annuelle moyenne pendant dix ans, le pays dispute toujours au Brésil son record mondial des inégalités sociales. La stagnation, accompagnée d’une profonde restructuration de l’économie qui s’est ouverte sur le monde extérieur après dix ans de sanctions internationales, a fait doubler le taux de chômage (31% de chômeurs, contre 16% en 1995). Le prix de la libération a été chèrement payé par la majorité noire, qui s’est appauvrie.

La lutte pour le pouvoir se joue désormais au sein du parti devenu, de fait, unique

Quoi qu’il en soit, la menace d’une sanction politique ne provient pas du Parti démocratique (DP), la principale formation d’opposition. Crédité de 9,6% des voix en 1999, ce parti dirigé par un avocat blanc, Tony Leon, surveille étroitement les faits et gestes de l’ANC. Il ne cesse de le critiquer sur trois de ses plus grands échecs: la lutte contre la criminalité, sa gestion du sida et sa position sur le Zimbabwe. S’il agit comme un garde-fou efficace au Parlement, le DP ne mobilise guère dans la communauté noire. «Qu’il le veuille ou non, le DP est toujours perçu comme le porte-voix d’une opinion blanche et métisse, désormais minoritaire», affirme Tom Lodge, politologue. Signe d’une normalisation de la vie politique, l’érosion des extrêmes a par ailleurs vu le Nouveau parti national (NNP, au pouvoir pendant l’apartheid) et les nationalistes zoulous de l’Inkhata perdre beaucoup de terrain. Entre 1994 et 1999, leurs scores ont chuté, passant de 20,4% à 6,9% pour le NNP, et de 10,5% à 8,4% pour l’Inkhata. Dans un paysage politique en lente recomposition, l’ANC est resté seul.

Pas étonnant, dès lors, que la véritable lutte pour le pouvoir se joue désormais en son sein. Des divergences déclarées opposent une aile gauche proche du Congrès des syndicats sud-africains (Cosatu) et du Parti communiste sud-africain (SACP), qui plaide pour un Etat-providence, et une aile droite proche de Thabo Mbeki, le président, qui défend la loi du marché, mais aussi l’absence d’endettement comme le meilleur garant de l’indépendance nationale. L’ANC, en machine politique obsédée par son unité, tente de freiner les velléités de dissidence sur sa gauche en les présentant comme «contre-révolutionnaires». Qualifiée «d’ultra-gauche» par Thabo Mbeki, l’opposition exercée par les syndicats n’a pas osé franchir le cap de la rupture. Willie Madisha, le président du Cosatu, dénonce certes une «clique bruyante et autoritaire à la direction de l’ANC qui empêche tout débat». Mais treize ans après la fin de l’apartheid, la scission ne paraît pas encore légitime. Soudé par sa culture de mouvement de libération nationale, l’ANC continue d’opposer un front uni à ses ennemis extérieurs –même s’ils n’en sont plus vraiment. Ce parti de gouvernement, devenu parti unique de fait, reste aux commandes d’un pays prêt à voter pour lui, comme un seul homme, par loyauté aux années de lutte contre l’apartheid qui ne sont pas si lointaines.



par Sabine  Cessou

Article publié le 16/03/2004 Dernière mise à jour le 14/04/2004 à 12:45 TU

Cet article a été publié initialement par MFI, l'agence de presse de RFI (plus dinformations)