Afrique du Sud
Classe moyenne noire et paupérisation
Pas moins de 22 millions de Sud-Africains vivent avec moins de 1 dollar par jour, dont encore 5 millions habitent dans des bidonvilles. Les syndicats noirs ne sont pas les seuls à tirer, à intervalles réguliers, la sonnette d’alarme. « Si nous ne faisons rien pour empêcher l’inégalité entre les riches et les pauvres de s’aggraver, à long terme, elle deviendra la plus grande menace politique pour notre pays », affirme Frederik van Zyl Slabbert, ancien opposant blanc à l’apartheid, aujourd’hui président de trois grands groupes privés, Caxton (presse), Adcorp (publicité) et Metro Cash’n’ Carry (distribution). Face à la marée montante du chômage, le chef des statistiques officielles, Pali Lehohla, a pris sur lui d’exprimer son « inquiétude » en septembre 2003. Confirmant les chiffres avancés par les syndicats, il a rappelé que le taux officiel de chômage, 31 % de la population active, s’élève en réalité à 42 % si l’on ne considère pas comme de véritables emplois les activités exercées dans le secteur informel… Avec 12 millions de chômeurs sur une population totale de 44 millions de personnes, la criminalité et le sida – les fléaux qui minent l’avenir du pays – sont sans cesse décuplés par la pauvreté.
A elle seule, cette situation empêche les investisseurs d’avoir confiance. L’Afrique du Sud a beau aligner de bons indicateurs, inflation et déficit maîtrisés, l’investissement ne suit pas. Tout espoir n’est pas perdu, dans un pays qui voit coexister des dynamiques parfois contradictoires. Force est de constater, cependant, que l’apparition d’une classe moyenne noire, grâce à la discrimination positive pratiquée depuis 1994 dans la fonction publique, n’a pas suffi à combler les inégalités. Les effectifs noirs représentent plus de 70 % de la fonction publique, contre moins de 50 % en 1994. Une nouvelle génération de jeunes Noirs plus qualifiés que leurs aînés – ceux-ci étaient pénalisés par un système d’éducation discriminé – commence à arriver sur le marché du travail. Ils trouvent plus facilement un premier emploi dans l’administration que dans le privé, où 85 % des postes de cadres supérieurs sont encore occupés par des Blancs.
Faire passer 26 % des industries pétrolières et minières aux mains d’intérêts noirs en dix ans
Selon le bureau d’études FSA-Contact, basé à Johannesburg, la part de l’encadrement noir dans le privé est tout de même passée de 6 % en 1994 à 33 % en 2000 – et ce, sans que des pressions politiques se soient directement exercées. Une loi adoptée en 1998 contraint certes les entreprises de plus de 150 personnes à se fixer des objectifs précis en matière d’affirmative action. Mais elle n’a guère été suivie d’effets, en partie à cause des sanctions limitées prévues contre les récalcitrants. Plus que toute mesure de coercition, c’est le « politiquement correct » en vigueur qui a incité les entreprises à soigner leur image, en nommant des responsables noirs ou en se trouvant des associés dans le black business. C’est un impératif, désormais, pour décrocher des contrats publics. Dans les secteurs les plus réticents au changement, l’énergie, la mine et la banque, des chartes de black economic empowerment ont été négociées depuis 1999.
Toutes comportent des calendriers et des objectifs chiffrés, qui prévoient notamment de faire passer 26 % des industries pétrolières et minières aux mains d’intérêts noirs en dix ans. Dans la banque, où de tels transferts sont impossibles, en raison de l’accès limité des entrepreneurs noirs à des ressources financières, une partie de la « transformation » portera sur la promotion d’effectifs non-blancs. Dans un pays où les 34 sociétés noires cotées à la Bourse de Johannesburg représentent à peine 3 % de la capitalisation totale du marché, ces chartes seront indubitablement suivies d’effets. Pour l’instant, elles ont surtout alimenté la polémique, au sein de la communauté noire elle-même, sur une redistribution des richesses qui ne profite qu’à une élite microscopique proche du pouvoir. « Le black empowerment favorise une culture de l’accaparement chez d’anciens politiciens, et non une classe nouvelle d’entrepreneurs noirs », répète sur tous les tons Moeletsi Mbeki, le propre frère du président. Sampie Terreblanche, un économiste afrikaner, invite pour sa part le pouvoir à sortir au plus vite du « cul-de-sac », en adoptant une politique économique plus interventionniste, sur le modèle « social-démocrate » proposé par l’Europe.
par Sabine Cessou
Article publié le 16/03/2004 Dernière mise à jour le 14/04/2004 à 16:57 TU
Cet article a été publié initialement par MFI, l'agence de presse de RFI (plus dinformations)