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Chine

Ascension des montagnes célestes

Grand Vase à décor de montagnes
Dynastie des Qing, 
règne Kangxi (1662-1722)
Musée national des Arts asiatiques-Guimet, Paris 

		(Source: Réunion des musées nationaux)
Grand Vase à décor de montagnes Dynastie des Qing, règne Kangxi (1662-1722) Musée national des Arts asiatiques-Guimet, Paris
(Source: Réunion des musées nationaux)

Conçue dans le cadre des années croisées France-Chine,  l’exposition Montagnes célestes, trésor des musées de Chine, permet de découvrir (jusqu’au 28 juin 2004) un thème récurrent dans la peinture chinoise, celui de l’association de shan «montagne» et shui «eau». Les musées de la République de Chine -du Palais impérial de Pékin et de Shangaï-, et le musée Guimet des arts asiatiques à Paris ont prêté pour l’événement 150 oeuvres permettant de retracer l’histoire d’une quête spirituelle qui s’est exprimée depuis la nuit des temps à travers la peinture chinoise.


Shanshui hua, littéralement «la peinture des montagnes et de l’eau», est le genre le plus noble de la peinture classique chinoise, et participe d’une démarche philosophique, car il s’agit, par cet art qui conjugue poésie, calligraphie et dessin, d’atteindre l’Absolu. L’Homme entretient avec la Nature des rapports religieux, et la peinture est en soi une quête spirituelle. Olivier Poivre d’Arvor, directeur de l’Association française d’action artistique, introduit en ces termes l’exposition : «Montagnes refuges, pics d’éternité, processions divines, îles, bouts des mers… Plus qu’à une exposition patrimoniale, c’est à une quête quasi religieuse, (…) une quête du sacré entre le shan et le shui, une méditation sur la condition humaine entre  la nature et le divin, entre le poète et le peintre, entre le Ciel et la Terre».

 

«L’empreinte du coeur, et la résonance du souffle»

 

Ainsi, les poèmes calligraphiés sur le tableau font partie intégrante du tableau, ce ne sont pas des légendes, ce ne sont pas des illustrations non plus, ils répondent au même souffle. Jacques Giès, commissaire de l’exposition, insiste sur le fait qu’il «s’agit au moyen du pinceau et de l’encre, de donner à voir l’empreinte du coeur et la résonance du souffle». Nous touchons là à l’essence même de la culture chinoise : cet art, ancré dans une tradition vieille de plusieurs millénaires, tend vers «l’illumination du voir», dit encore Jacques Giès. Pour résumer, un souffle anime la peinture, l’énergie est au bout du pinceau de celui qui le tient, et la méditation du peintre contribue en quelque sorte à son ascension personnelle des chemins, escarpés et embrumés, de la Connaissance et de la Sagesse, conduisant aux Montagnes célestes.

 

Jean-François Jarrige et Jacques Giès, les deux commissaires de l’exposition proposent à travers la présentation des peintures –sur soie ou sur papier, en immenses rouleaux verticaux ou horizontaux déployés- des paysages de brumes où dominent des palettes en demi-teintes, aux couleurs sourdes. Prestigieuse, soignée, elle met aussi en valeur toutes sortes d’objets qui épousent la forme des montagnes et des nuages, ou qui représentent des animaux fabuleux -par exemple, des dragons, ou bien des oiseaux à tête de renard, ou à tête humaine- susceptibles de peupler ces contrées qui flottent entre ciel et terre. De magnifiques bronzes brûle-parfums, des urnes funéraires, des miroirs, des luminaires en poterie polychrome, des porte-pinceaux sont autant de pièces qui témoignent de cette quête inscrite dans le quotidien.

 

La muséographie est originale : l’espace est structuré par de «grands voiles en inox tissés et tendus entre sol et plafond : les couleurs -ocre, orange, sable- s’inspirent de pigments naturels de la terre des montagnes sacrées; les gris et les bleus s’inspirent des paysages célestes et des reflets des rivières, le tout contribuant à évoquer de manière contemporaine, les symboles de la peinture chinoise».


Yuan Ji (Shitao) (1642-1718)
Auprès de la fenêtre, étudiant 

		(Source: Réunion des musées nationaux)
Yuan Ji (Shitao) (1642-1718) Auprès de la fenêtre, étudiant
(Source: Réunion des musées nationaux)

«Il faut entrer dans un paysage chinois»

C’est un monde merveilleux et magique, habité des âmes volatiles des défunts, mais aussi le monde pur des Origines auquel les Sages ont le privilège d’accéder lorsque «les montagnes et les rivières se rencontrent et fusionnent avec vous par l’esprit». Pour ce faire, il faut savoir être humble, car l’Homme est tout petit face à l’immensité de l’univers, à la beauté et la quiétude des premiers matins du monde. Aussi, dans ces peintures, l’homme est-il toujours représenté, mais tout petit, si petit qu’il faut parfois le chercher longtemps pour le trouver, tapi dans le ventre d’une caverne, sous un arbre, au bord d’une rivière. Jacques Giès explique: «il faut entrer dans un paysage chinois en se plaçant toujours du point de vue de l’homme».

L’artiste doit entrer en lui-même pour re-trouver la résonance de l’harmonie originelle, le Dao, c’est-à-dire «l’harmonie principielle et vitale de la Voie». Cette expérience individuelle des poètes et des peintres, les place par là-même sur la voie du sacré car ils cherchent, par leur art, à atteindre le principe des choses au-delà de leurs contingences perceptibles. Dans Introduction à la peinture de paysage, de Zong Bing (fin IV- début V), il est dit: «Le Saint, portant en lui la Voie, répond aux êtres et aux choses, et le Sage apprécie leurs images, en purifiant son cœur. Quant aux montagnes et aux rivières, ces tangibles, leur charme est spirituel». Les peintres et les poètes, par leur art, rejoignent les «hôtes des brumes».

Les «cinq monts sacrés» -Huashan, Taishan, Songshan, Hengshan, et Hangshan- et les «quatre fleuves» -Huanghe, Yangzijiang, Huai et Ji- sont inscrits dans la génèse de la cosmogonie chinoise, où il est enseigné que l’Empereur Yu le Grand, un empereur mythique, «combla les eaux débordées avec de la terre vivante de façon à former les montagnes éminentes». L’exposition invite le visiteur à cheminer entre «univers magiques et univers idéaux», car il s’agit de pénétrer les profondeurs de la montagne couverte de forêts denses et percer le secret des rochers arides -«matrices des transformations»-, puis se laisser à suivre le flux des rivières ou le voyage des nuages, pour aller au-delà des nuages et des sommets embrumés, là où se trouve l’ermitage de ceux qui ont su trouver la Voie.

La route est longue et escarpée pour accéder aux sommets

«Couple principiel, Montagne et Fleuve occupent une place centrale où sont nouées les légendes fondatrices (…) ces harmonies se firent jour à l’Origine, dans les premiers frémissements au sortir du «chaos primitif», honghuang, et s’y conserveraient comme telles –selon la cosmogonie et les croyances déclinées dans les traditions et entretenues au fil des siècles». Mais autant dire que la route est longue et escarpée pour accéder à l’harmonie absolue: au premier plan sur toutes les toiles, les cailloux et les rochers, le monde minéral; puis l’esprit doit entreprendre l’escalade périlleuse de la montagne, et traverser de frêles petits ponts de bois suspendus au-dessus de gouffres menaçants, hérissés de pics, se frayer un chemin au milieu d’arbres aux troncs torturés par les vents, et escalader au-delà des nuages pour parvenir au sommet des Montagnes célestes.

Toutefois, si le thème de la montagne et de l’eau est immuable dans cette peinture, depuis plusieurs millénaires, la manière de le traiter diverge; il existe en effet deux grands courants de style, selon Jacques Giès, «l’un rendu dans un riche chromatisme, évoque ces gorges ombreuses, parcourues de torrents, au pied de massifs vertigineux, enveloppés d’écharpes de nuages (…) l’autre, plus dépouillé, fondé sur une économie du vide -(équivalence) du silence des hauteurs, et des eaux ouatées de brume- évoque un horizon ouvert, où le regard se perd et peut à loisir recomposer un panorama idéal».

«Je décidai de partir (au Huang Shan) sans imaginer que ma passion de photographier ce qui bouge et ce qui change serait à ce point comblée par un paysage.» 

		(Photo: Marc Riboud)
«Je décidai de partir (au Huang Shan) sans imaginer que ma passion de photographier ce qui bouge et ce qui change serait à ce point comblée par un paysage.»
(Photo: Marc Riboud)

Un univers de pleins et de vides

Parmi les oeuvres-phares, représentatives de cette peinture chinoise, le long rouleau de Zhu Da, «Pins et thuyas au printemps», prêté par le musée de Shangaï, résume à l’instar des photographies de Marc Riboud, un univers de pleins et de vides, celui aussi du Yin et du Yang. Au milieu de ces pièces fort anciennes, les clichés du photographe français constituent comme une passerelle symbolique entre la peinture traditionnelle chinoise, et l’art tout récent de la photographie, comme une passerelle aussi entre «l’empire du trait» et l’Occident.

Superbes, ces photos enrichissent l’exposition en rappelant au visiteur le paysage d’origine dans lequel s’enracine la tradition, car même si le Huang Shan, situé dans la province de l’Anhui, au sud-ouest de Shangaï, ne compte pas parmi les cinq montagnes sacrées de Chine, sa physionomie s’y apparente, et les écharpes de brume jouent là aussi avec les crêtes des montagnes. Lorsque, jouant de la lumière et de subtiles contrastes, le photographe saisit «la neige (qui) fouette la pic du Portail», il semble habité d’une même inspiration que celle décrite dans le Wenxin diao-long, un ouvrage littéraire, où il est mentionné : «lorsque la pensée créatrice se transporte, dix mille chemins ensemble s’ouvrent à elle. Elle trace et règle ce dont la place est vide, entaille et cisèle ce qui n’a pas de forme. Elle gravit la montagne, et le sentiment se comble des monts, elle contemple la mer, et l’idée est inondée par les flots. A la mesure du talent de chacun dépend de savoir chevaucher avec le vent et les nuages».


par Dominique  Raizon

Article publié le 18/04/2004 Dernière mise à jour le 19/04/2004 à 08:25 TU

Montagnes célestes. Trésors des musées de Chine,

Jusqu’au 28 juin 2004, Grand Palais à Paris

 

Pour en savoir plus:

www.rmn.fr