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Louvre

La Joconde donne des signes de fatigue

Réplique de la Joconde, réalisée en 1600 par un «suiveur» de Léonard de Vinci, peintre de la version originale. C'est l'une des plus anciennes répliques connues du portrait de Mona Lisa. 

		(Photo : AFP)
Réplique de la Joconde, réalisée en 1600 par un «suiveur» de Léonard de Vinci, peintre de la version originale. C'est l'une des plus anciennes répliques connues du portrait de Mona Lisa.
(Photo : AFP)

Vincent Pomarède, conservateur en chef, chargé du département des peintures du Louvre est inquiet: «le mince panneau de peuplier, sur lequel cette image mythique [la Joconde] est peinte, présente une déformation supérieure à celle qui avait été précédemment constatée». Faut-il «faire du préventif, attendre, et voir si le problème est conjoncturel» ou bien au contraire «agir sur la structure en considérant que le problème va s’intensifier»? Une étude menée avec le Centre de recherche et de restauration des musées de France va commencer dans les jours à venir.


La Joconde, chef d’oeuvre du grand maître de la Renaissance, Léonard de Vinci, accuse aujourd’hui une fragilité: peinte entre 1503 et 1506 sur une mince feuille de peuplier, celle-ci donnerait des signes de déformation qu’il ne faut «ni minimiser ni dramatiser» selon Vincent Pomarède car «on sait depuis toujours que c’est une oeuvre extrêmement réactive aux variations d’humidité qui peuvent provoquer des mouvements du panneau (…) or nous avons remarqué ces derniers temps que ce panneau, qui est de forme convexe et qui d’habitude bouge de façon relativement uniforme, bouge plus d’un côté que de l’autre». L’altération du support n’est pas nouvelle: déjà par le passé, l’oeuvre a du subir quelques outrages du temps, car à «l’arrière du panneau, des papillons, c’est-à-dire deux pièces de bois [installées à contre-fil] ont été placées par des ébénistes voici fort longtemps pour résorber une fente».

La technique maîtrisée par l’artiste était celle du «sfumato», utilisant les glacis pour mettre en valeur les effets d’ombre et de lumière. Le motif a été dessiné sur plusieurs couches d’enduit avant que ne soit entrepris le travail à l’huile, additionnée d’essence très diluée. Pour affiner le modelé de ce visage au célébrissime sourire énigmatique, et pour jouer avec les subtils effets de lumière sur le teint diaphane de Mona Lisa (modèle présumé du chef d’œuvre), le peintre a du superposer d’innombrables couches de couleurs transparentes. Les mouvements du panneau, qui altèrent le tableau, vont être soumis à une étude scientifique, «dans le double but de mieux connaître les matériaux constitutifs de l’oeuvre et d’évaluer le niveau actuel de fragilité de ce tableau»(…) «ces études seront conduites avec le souci de présenter le tableau en permanence au public», selon le conservateur en chef du département des peintures du Louvre.

Victime de sa célébrité

Chaque année, ce sont des millions de visiteurs qui viennent lui rendre visite. Aujourd’hui, pour la mettre à l’abri des variations climatiques, des risques de déprédation volontaire et des flashes, la Joconde est protégée par une épaisse glace de verre, et les visiteurs doivent défiler en respectant une file à sens unique. Mais ce ne fut pas toujours le cas, et le tableau a traversé pas moins de cinq siècles en se montrant résistant, entre autres, aux changements de températures, de lumière et d’humidité.

Commencé entre 1503 et 1506 lors du séjour du peintre à Florence, Léonard de Vinci l’emmène avec lui à la cour de François Ier, où il retravaille le portrait. François Ier en fait l’acquisition, et le tableau séjourne dans les collections royales jusqu’à la création du musée central des Arts du Louvre en 1793. Conservé à Versailles sous Louis XIV, et aux Tuileries durant le Premier Empire, il intègre le Louvre sous la Restauration. En 1911, un peintre italien du nom de Vincenzo Peruggia enlève la belle pour qu’elle rejoigne son pays d’origine. Après deux ans d’enquête policière, elle revient en France, elle est exposée en 1963 aux Etats-Unis, et au Japon en 1974. Quelles que soient les précautions prises, l’oeuvre n’a pas impunément traversé les épreuves. Aujourd’hui, le fait est scientifiquement établi, la conservation des oeuvres mérite des soins particuliers, et Vincent Pomarède n’exclut pas qu’«on ne doive l’enlever un jour ou deux de la vue du public (pour) travailler sur le conditionnement futur. Il sera dans une vitrine encore meilleure qu’aujourd’hui mais on voudrait être sûr d’avoir tout prévu».

Mais au fait, qui donc est-elle cette Jocondequi fait tant parler d’elle ? Son identité reste mystérieuse:la Joconde viendrait du nom d’épouse de la jeune Mona Lisa ayant servi de modèle au peintre, épouse d’un gentilhomme florentin, Francesco di Bartolomeo di Zanoli del Giocondo, riche bourgeois ayant exercé des responsabilités politiques dans sa ville. Un autre texte, daté de 1625, fait référence au «portrait en demi-figure d’une certaine Gioconda» qui donnera définitivement son titre français au tableau.

Après tout, qu’importe! «Le bon peintre a essentiellement deux choses à représenter: le personnage et l’état de son esprit, disait Léonard de Vinci. Peindre l’âme plutôt que le physique est en effet la finalité ultime de son oeuvre et le sfumato, éclairage du portrait par le clair-obscur, accentue de fait les mystères d’une oeuvre: plonger les choses dans la lumière, c’est les plonger dans l’infini». Même soumis à une étude clinique, le mystérieux sourire de la Joconde ne sera sans doute pas élucidé, et nous ne saurons pas à qui il appartient, mais souhaitons qu’il continue à ravir des générations d’amoureux de peinture.



par Dominique  Raizon

Article publié le 28/04/2004 Dernière mise à jour le 08/02/2008 à 15:34 TU