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Elargissement de l’Europe: le defi francophone

L’avenir linguistique de l’Europe en question

Tout va se jouer à partir du 1ermai 2004. Tout, c’est-à-dire l’avenir linguistique de l’Europe, entendons d’une Europe qui passe désormais de 15 à 25, pour laquelle les projections, même optimistes, indiquent qu’une rupture du fragile équilibre actuel entre les grandes langues institutionnelles est à craindre

A l’approche de la date fatidique, nombre de voix angoissées se sont faites entendre: l’élargissement annonce-t-il le futur règne de l’anglais dans une Europe qui avait fait de l’équilibre entre toutes ses langues une valeur cardinale? Le risque existe, sans doute. Mais avant toute levée de bouclier, il faut rappeler que la diversité linguistique est formellement garantie par les textes juridiques européens, et que ce principe du moins n’est pas mis en cause: ainsi les séances au Parlement européen continuent à donner lieu à une traduction simultanée dans les langues officielles, tandis que la Commission européenne travaille formellement en trois langues (anglais, allemand, français).

Mais il est exact que la pratique a permis des distorsions plus ou moins importantes, toujours en faveur de l’anglais, et les francophones sont bien obligés de noter que la position du français, hier quasi-dominante, n’a cessé de reculer depuis que l’Europe est passée de 6 pays à 15, avec une accentuation sensible lors du dernier élargissement de 1995. Car la machine européenne est vaste et complexe, avec mille recoins, services et réunions où se multiplient les séances de travail, les correspondances ou les communications exclusivement en anglais, tandis que les documents de travail originels sont de plus en plus rédigés dans cette langue. Sans oublier les outils informatiques et bien sûr l’Internet européen, qui montre une forte propension à galoper en anglais dans les espaces virtuels.

Le français, langue de prestige

Pour la Francophonie, l’enjeu est clair: l’entrée en 2004 de 10 nouveaux membres constitue une menace sans détour, s’agissant de pays où la langue française n’occupe qu’une place marginale. Puisque tout semble indiquer, quels que soient les moyens dégagés, qu’on ne pourra pas davantage travailler dans les 20 (ou 21) langues de l’espace européen qu’on ne l’a fait réellement à 11, la poursuite du glissement progressif vers l’anglais serait inéluctable. Ensuite, si l’on a beau s’enorgueillir de quelques indications «positives» sur la pratique du français chez les nouveaux entrants, l’effet est tout sauf de masse: pour les populations d’Europe centrale et orientale, pressées de tirer les bénéfices d’une économie de marché mondialisée, l’acclimatation de l’anglais est un passage obligé. A côté, le français est une langue de prestige, qu’on savoure comme un signe extérieur d’enrichissement culturel mais pas prioritairement comme passerelle vers l’emploi et la consommation.

Tels sont les faits, qui ne devraient pas pousser au «franco-pessimisme», relève avec un certain agacement Stéphane Lopez, de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie: «Il est exact que l’anglais a une valeur économique et le français une valeur sociale et culturelle. Mais qui va s’en plaindre? Les peuples des PECO (pays d’Europe centrale et orientale) sont comme les autres, ils ne font pas d’anglais par plaisir, mais par nécessité… le goût pour l’anglais se fonde sur la puissance de l’économie américaine et par contrecoup sur sa puissance culturelle. Rien de plus. Les représentations associées à la langue française sont, elles, beaucoup plus solides. Et ceux qui disent que le français s’effondre sont dans la contre-vérité totale. Ce n’est pas au XVIIIesiècle que le nombre de francophones était le plus important, c’est aujourd’hui! Et le français gagne tous les jours de nouveaux locuteurs».

Pour autant, la langue des affaires fait de son côté toujours plus d’émules, y compris au sein des élites. Et pour sortir d’une vision par trop culturaliste du français, celui-ci doit sans doute aussi gagner… des parts de marché au plan économique. Sur ce point, la bataille ne fait que commencer. Pour quelques résultats significatifs dans un pays comme la Roumanie, combien de pays d’Europe restent des terres commercialement mal connues, où l’esprit pionnier semble faire défaut aux Français, peu rassurés par le faible degré de consolidation du cadre réglementaire et, disons-le, par les déficits de l’État de droit.

L’autre champ de manœuvre, à plus court terme celui-là, concerne la défense du français dans les institutions européennes, dont il sera question plus loin. Il semble là que les Français et leurs alliés francophones aient pris la mesure de l’effort à accomplir. Car autant les francophones peuvent se réjouir de constater la présence massive de leur langue dans les pays du Sud, à commencer par l’Afrique, autant la Francophonie officielle tient sans doute avec raison à l’Europe comme à un symbole crucial de la capacité du français à garder son statut de grande langue des relations internationales. Du symbole à la pratique, il faut éviter qu’il y ait dorénavant un fossé en cours… d’élargissement.



par Thierry  Perret

Article publié le 29/04/2004 Dernière mise à jour le 29/04/2004 à 14:32 TU

Cet article a été publié initialement par MFI, l'agence de presse de RFI (plus d'informations)