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Cinéma

Blandine au pays des sans-papiers

Le film « La blessure » réalisé par Nicolas Klotz. 

		Photo : Tarantula/Arte
Le film « La blessure » réalisé par Nicolas Klotz.
Photo : Tarantula/Arte
Paria, son avant-dernier long métrage, suivait les déambulations nocturnes d’une poignée de SDF. Dans son nouveau film (La blessure, Quinzaine des réalisateurs, festival de Cannes 2004), le cinéaste français Nicolas Klotz conte le périple d’une jeune Congolaise échouée dans les bureaux de police de Roissy. Humiliations, insultes, mauvais traitements : France, terre d’asile ?

Il y a des vitres, des hygiaphones, des portes blindées, des murs très blancs. Il y a aussi des corps. Debout, en uniforme. Leurs voix portent loin, leurs gestes sont précis. Entre leurs gants blancs patientent des matraques. Dans leur yeux brille la conviction qu’ils sont du bon côté, celui de l’ordre et de la force. De l’autre côté de la force, par terre, allongés ou accroupis, d’autres corps attendent, crient, gémissent, marmonnent d’étranges divagations. C’est dans les bureaux de police de Roissy que Nicolas Klotz a posé le décor de son quatrième long métrage.

 

Dans Paria, l’emploi d’acteurs non-professionnels (mais vrais SDF) électrisait le film : la compacité obtuse, la rudesse de leur gestes, leurs rares paroles, leur sensualité cauchemardesque habitait chacun scène d’une profondeur inédite. La blessure renouvelle ce pari en le transformant : c’est la première chose qui frappe dans le film, cette masse indifférenciée de corps, dominée par l’unique et farouche volonté de ne pas se laisser rembarquer au pays. Tout le reste relève de l’énigme.

 

On se doute que cette volonté de barrer d’emblée la route à tout imaginaire, à toute identification possible relève chez Klotz d’une éthique très précise : celle qui consiste à montrer l’intolérable d’une situation non relativement à des personnages de fiction classiques (un parcours, une personnalité, des motivations). L’intolérable, ici, est absolu : c’est celui d’une matraque qui s’abat sur un crâne, d’une botte qui heurte un ventre anonyme, d’une voix qui hurle des insultes à des corps entassés.


Le film « La blessure » à la Quinzaine des réalisateurs. 

		Photo : Tarantula/Arte
Le film « La blessure » à la Quinzaine des réalisateurs.
Photo : Tarantula/Arte

Chacun dans son univers

C’est de la même éthique que procède la suite du film. Montage fragmentaire, temps spasmodique, espaces confinés et kaléidoscopiques: la pièce où patientent les «détenus», le réduit où ils sont déshabillés, fouillés, interrogés, un dédale de couloirs, les éclats bleutés du tarmac où, la nuit, des corps parfois ligotés sont traînés vers l’avion. Les raisons du sauvetage de Blandine (blessée, soignée, «sauvée» in extremis par un petit fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères) relèvent elles-mêmes d’un arbitraire assez flou: d’un bout à l’autre, La blessure reste un film de pure surface.

Sans compromis ni concession au romanesque, une juxtaposition de longues scènes sans jointure causale où la violence des affrontements laisse soudain la place à d’étranges stases (prostration des prisonniers, mutisme de Blandine une fois parvenue au squat de son mari). Le jeu des acteurs, lui aussi, est stylisé à l’extrême. Ainsi de cette très belle, très longue scèneoù un homme écaille des poissons tandis qu’un autre raconte son périple depuis Kinshasa.

Partager le même grabat, mais rester chacun dans son univers, son fantasme, son histoire: ici aussi, les expériences singulières sont impartageables, la solitude, absolue. Aucun fantasme unificateur, aucune solidarité ne viendra éclairer les ruines des nantis.


par Elisabeth  Lequeret

Article publié le 11/05/2004 Dernière mise à jour le 11/05/2004 à 09:25 TU