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Namibie

Nujoma confie l’héritage à Pohamba

Hifikepunye Pohamba, dauphin du président Sam Nujoma, a été élu comme candidat pour la présidentielle de novembre. 

		(Photo: AFP)
Hifikepunye Pohamba, dauphin du président Sam Nujoma, a été élu comme candidat pour la présidentielle de novembre.
(Photo: AFP)
Quatorze après son avènement au pouvoir, l'Organisation des peuples du Sud-Ouest africain (Swapo), l’ancien mouvement de libération anti-apartheid, règne toujours sans partage sur le jeu politique namibien. Son chef historique, Sam Nujoma a décidé de ne pas se représenter à l’élection présidentielle des 15 et 16 novembre prochain. Avant de se retirer au terme de son troisième mandat de cinq ans, il a choisi son successeur, le ministre des Terres Hifikepunye Pohamba, éliminant au préalable son principal concurrent au sein de la Swapo.

Sam Nujoma a attendu le 21 avril dernier pour confirmer, dans son discours annuel à la Nation, qu’il ne serait pas candidat à sa succession pour un quatrième mandat. La question se posait en effet, nul n’ayant jamais douté de sa capacité à réformer la Constitution à son goût pour se maintenir à la tête de l’Etat. Mais Sam Nujoma a décidé de passer, sinon la main, du moins le fauteuil présidentiel. Il ne lâchera pas pour autant les rênes de la Swapo qu’il tient depuis près de 45 ans avec un mandat de président qui court normalement jusqu’en 2007. A 75 ans, ce n’est pas non plus à proprement parler un dauphin ou un héritier qu’il vient de se choisir. Pohamba est presque septuagénaire lui-aussi. Sam Nujoma vient en tout cas de prouver que sa détermination de «père de la Nation namibienne» n’est en rien entamée. C’est à sa manière autoritaire de «chef de la guerre de libération» qu’il a déblayé le terrain devant Hifikepunye Pohamba lorsque, sans ménagement aucun, il a limogé le 25 mai (à la veille du scrutin de la Swapo) le ministre des Affaires étrangères Hidipo Hamutenya.

Lui-aussi un vieux routier de la Swapo, où il incarne toutefois une ligne plus ouverte, voire plus moderne, Hidipo Hamutenya a recueilli 167 voix au congrès chargé de désigner son futur candidat unique à la magistrature suprême. Ce résultat insuffisant constitue quand même une contradiction non négligeable au vœu de Sam Nujoma dont le soutien décisif a donné la majorité (341 voix) à Hifikepunye Pohamba. Ce dernier est issu du même cercle des fondateurs de la Swapo dont il est vice-président. Depuis un demi-siècle, c’est donc un très ancien compagnon de route de Nujoma dont il a adopté la barbe et les lunettes. Doté d’une personnalité sans grand relief, il lui ressemble comme un frère, reprenant la même litanie des lendemains qui chantent, faute de changement tangible pour les plus humbles, malgré le temps qui passe. Les anciens-combattants de la liberté président en effet aux destinées de la Namibie depuis son émancipation du joug sud-africain tombé avec l’apartheid, à la fin des années quatre-vingt. La Swapo avait emporté facilement les élections constituantes de novembre 1989.


Hidijo Hamutenya a été évincé par le président Sam Nujoma 

		(Photo: AFP)
Hidijo Hamutenya a été évincé par le président Sam Nujoma
(Photo: AFP)
Sauvegarder les orientations de Nujoma

Aujourd’hui, lorsque le futur président Pohamba promet de «consacrer tout [son] temps à l'amélioration du bien-être de la population et à la préservation de la paix et de la démocratie», ses adversaires, à l’intérieur de la Swapo et dans sa maigre opposition, comprennent qu’il s’agit de sauvegarder la position dominante du parti dirigeant mais aussi les orientations de Nujoma. «Avec Pohamba, la Namibie sera entre de bonnes mains. La stabilité de notre pays sera garantie», renchérit d’ailleurs ce dernier. Il n’a aucun souci à se faire avec Pohamba, à qui il a d’ailleurs confié successivement les portefeuilles éminents de l’Intérieur, puis des Pêches et des Affaires maritimes (crucial après le retour du port de Walvis Bay dans le giron namibien) et enfin, depuis 2001, celui des Terres et du repeuplement. Un bon point pour Pohamba que ce dernier ministère où il est chargé de gérer la réforme agraire au détriment de fermiers blancs, effectivement très bien servis par la colonisation sud-africaine de l’ancienne possession allemande.

Le discours de Nujoma sur la question foncière s’apparente aux diatribes anti-coloniales de Mugabe au Zimbabwe voisin. Il s’est servi de la même rhétorique populiste pour se débarrasser d’Hidipo Hamutenya, pointant, sans plus d’explications, des «agents de l’impérialisme, infiltrés» au sein de la Swapo. Cela n’a pas manqué de jeter le trouble à l’intérieur du parti du gouvernement. Mais il faudra attendre pour en savoir plus, chacun ayant quand même compris que le limogeage, «avec effet immédiat», du ministre des Affaires étrangères visait surtout à exclure de la compétition le candidat qui apparaissait comme le mieux placé pour l’emporter par son ancienneté et sa notoriété. Les critères de jugement de Sam Nujoma sont visiblement différemment fondés.

Hamutenya a rapidement fait savoir qu’il se considérait toujours, non seulement comme partie prenante du bureau politique de la Swapo, mais aussi comme un serviteur dévoué de la cause des quelque deux millions de Namibiens, noirs, blancs ou coloured comme on le dit toujours dans cette ancienne dépendance de l’apartheid où des descendants des premiers colons hollandais et de leurs femmes africaines restent organisés sous l’étiquette de bastards. Diplomate de métier, mais surtout par nature, et plutôt libéral en économie, le ministre des Affaires étrangères déchu n’est sans doute pas assez en pointe sur la question de la redistribution des terres. C’est à dessein que celle-ci avait d’ailleurs été confiée au futur président Pohamba. A la mi-mai, il a d’ailleurs donné le coup d’envoi à un programme d’expropriation foncière cher à Sam Nujoma, donnant quatorze jours à une quinzaine de fermiers commerciaux blancs pour faire «une offre à l'Etat pour la vente de leur propriété».

Un millier environ des cinq mille exploitations appartenant à des fermiers blancs auraient déjà été redistribuées à des Noirs depuis l'indépendance en 1990, sans grande incidence sur la pauvreté qui affecte la majorité des Namibiens. Mais s’il fait polémique côté blanc, le sujet sert de cache-misère côté noir. Il occulte opportunément la faiblesse d’une économie namibienne que ni l’indépendance, ni l’avènement de la Swapo ne sont parvenus à faire décoller. Face à un électorat massivement captif et Hamutenya poussé dans l’oubliette des «tigres de papier», Pohamba n’a plus qu’à se laisser glisser sur les rails qui mènent à la présidentielle de novembre, avec l’argument foncier comme programme électoral.


par Monique  Mas

Article publié le 31/05/2004 Dernière mise à jour le 31/05/2004 à 15:10 TU