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Cameroun

Le vertige de la rumeur

Paul Biya (photo) en voyage en Europe était donné pour mort par des rumeurs les plus folles. Les autorités camerounaises ont démenti. 

		(Photo : AFP)
Paul Biya (photo) en voyage en Europe était donné pour mort par des rumeurs les plus folles. Les autorités camerounaises ont démenti.
(Photo : AFP)
Le président de la République , qui a quitté le Cameroun, avec sa famille, depuis le 29 mai, pour «un bref séjour privé en Europe», était donné pour malade, voire pour mort, par des rumeurs les plus folles, circulant aussi bien dans le pays qu’à l’extérieur. Les autorités ont mis du temps à organiser un démenti officiel. Et à désigner l’auteur originel de ces «nouvelles».
De notre correspondant à Yaoundé

Le pouvoir tient son coupable. Et c’est un communiqué du ministre de la Communication, rendu public lundi en mi-journée qui vient l’attester. «La source médiatique originelle de la rumeur diffusée a été  clairement identifiée en la personne  d’un aventurier de la communication, d’origine camerounaise, ex employé de banque, subrepticement reconverti au journalisme, puis volontairement émigré aux États-Unis à la fin des années 90. L’intéressé, bien connu des milieux médiatiques camerounais, s’est constamment illustré par des comportements anti-professionnels notoires, qui lui ont valu à plusieurs reprises de se trouver en délicatesse avec la justice camerounaise, pour des délits de presse aussi graves que la diffamation, les fausses nouvelles et leur propagation», a dit Jacques Fame Ndongo, sans aller jusqu’à dévoiler de nom, mais annonçant par la même occasion, que cette rumeur sur la mort du président Biya, a été diffusée sur un site internet ( http://www.africaindependant.com)  dont l’éditeur est le coupable désigné ;  avant d’être repris par un autre site ( www.cameroonlink.com), jugé illicite, parce que se présentant «frauduleusement», selon le communiqué gouvernemental,  comme le portail officiel du Cameroun.

Telle était, lundi, la principale nouvelle autour de cette affaire, en plus de l’annonce par le ministre de la Communication, d’une série de mesures prises par les autorités, qui n’excluent pas  tout aussi bien, le cas échéant, des poursuites judiciaires : mise en demeure faite à l’hébergeur et au fournisseur pour la fermeture du site incriminé, retrait requis de la dénomination de «portail officiel du Cameroun» dont s’est servi le cameroonlink.com.

A vrai dire, l’étape de lundi, dans la riposte du pouvoir à la propagation effrénée, des rumeurs qui ont d’abord fait état de la santé délicate du chef de l’Etat camerounais, avant d’annoncer sa mort, était déjà préfigurée dans le communiqué servant de démenti officiel, rendu public, dimanche en mi-journée, par la présidence de la République, à travers les ondes de la radio d’État, dans le cadre de l’émission Dimanche Midi, un magazine crédité d’un fort taux d’écoute. Le ministre d’État, secrétaire général de la présidence, faisait alors valoir qu’il s’agissait «  des rumeurs les plus fantaisistes et les plus malveillantes », « dénuées de tout fondement, suscitées, alimentées, et colportées par des individus irresponsables, manifestement aveuglés par de sombres desseins et peu soucieux du devenir du Cameroun et de son peuple ». Dans un pays où de telles insinuations ont souvent été synonymes de mise à l’index des « adversaires du régime » et des « ennemis de la République », beaucoup avaient cru comprendre que la sortie des autorités visait les opposants au régime de Paul Biya, recrutés aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur du Cameroun.

Trois jours de flottement

Une chose est sûre : le communiqué du ministre d’État indiquait bien que la stratégie de démenti mise en œuvre par le pouvoir depuis samedi, n’avait encore atteint son plein effet : la radio et la télévision d’État s’étaient alors attelées, sans répondre de manière frontale aux rumeurs –celles faisant de ce que de Genève où il se trouve, le président Biya avait effectué ses exercices physiques, venant éventuellement contrecarrer celles de la maladie ou de la mort du chef de l’Etat camerounais– à présenter le président de la République, comme suivant de très près les grands dossiers du Cameroun, dont notamment, l’envoi sur le terrain, de deux gouvernement, porteurs d’un message de réconfort aux populations de KozaII, petit village du Nord du pays, dans lequel des malfaiteurs avaient fait irruption le 31 mai, tuant 9 habitants, en blessant 7 autres, non sans mettre le feu sur une centaine d’habitations. Ou encore,  les préparatifs de la cérémonie officielle d’inauguration du pipeline Tchad/Cameroun, prévue pour se tenir dans le ville balnéaire de Kribi dans le Sud du pays en présence de nombre de chefs d’État de la sous-région d’Afrique centrale…

Avant cette série de réactions des autorités, le pays avait été envahi par des rumeurs les plus folles, allant dans tous les sens. Trois de jours de panique. Trois jours de flottement. Trois jours d’affolement. Trois jours d’incertitudes.

Dès jeudi dans la soirée, les «nouvelles» circulaient, d’abord dans les milieux dits informés de la capitale, dans les allées du pouvoir, avant de se répandre le lendemain dans la rue : le président Biya, qui avait quitté le Cameroun, avec sa famille, le 29 mai, pour « un bref séjour privé en Europe», était d’abord donné pour malade, puis, pour mort. Avec la développement vertigineux de la téléphonie mobile, - appels et messages écrits-, l’accès à internet, les uns et les autres se passaient la «nouvelle», aussi bien antre les villes du pays, qu’entre le Cameroun et l’extérieur, sur un ton largement dominé par des «certitudes». Rien ne filtrait du régime. Il n’était pas jusqu’aux membres du gouvernement, et autres hautes personnalités, qui , faute d’informations fiables, n’aient pas voulu s’enquérir de la situation à Genève où la famille présidentielle à ses habitudes. A quelques exceptions près. «Comment peut-on imaginer qu’à l’heure où les informations circulent de plus en plus vite et sans entraves, le décès supposé  d’un chef d’État comme celui du Cameroun n’ait pas été annoncée par des médias étrangers ? » s’interrogeait, sceptique, dès le début de «l’affaire», un ministre.

Paniqués, des citoyens ont même dû rapidement prendre d’assaut des compagnies de transports aériens, voulant absolument quitter le pays, au cas où… D’autres encore avaient préféré opérer des retraits en banques par mesure de précaution.

Depuis les réactions des autorités, la rumeur semble relativement retombée. Mais qui peut parier qu’elle a cessé de hanter les esprits, en attendant le retour annoncé du président Biya au pays, «dans les prochains jours», selon le communiqué de la présidence de la République ? Ce qui est sûr, c’est que le feuilleton est loin d’être à son dénouement. D’autant qu’une frange de l’opinion reste sur sa faim, s’agissant de l’identité précise du coupable désigné.



par Valentin  Zinga

Article publié le 08/06/2004 Dernière mise à jour le 08/06/2004 à 11:47 TU