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Cameroun

Un «fantôme» nommé Paul Biya

Paul Biya donne rendez-vous à ceux qui le disaient mort «dans une vingtaine d'années». 

		( Photo : AFP )
Paul Biya donne rendez-vous à ceux qui le disaient mort «dans une vingtaine d'années».
( Photo : AFP )
Le président de la République, qui a regagné le Cameroun mercredi, en compagnie de son épouse et des enfants, est venu apporter l’ultime preuve attendue, pour donner sens aux démentis officiels sur les rumeurs faisant état de sa mort depuis de longs jours. Le chef de l’État s’est dit «sensible à l’accueil chaleureux, spontané et massif » que lui ont réservé les populations à Yaoundé, et donné rendez-vous « dans une vingtaine d’années » à ceux « qui s’intéressent à [ses] funérailles ».
De notre correspondant à Yaoundé

Il y a, ce mercredi,  dans les tout premiers propos de  ce président Biya en terre camerounaise, de l’humour, de la raillerie, et de l’ironie. « Vous saluez  un fantôme  », lance-t-il aux corps constitués –le Premier ministre Peter Mafany Musonge en tête– venus l’accueillir au bas de la passerelle du Dja, l’appareil de la Cameroon airlines, qui touche le tarmac de l’aéroport de Yaoundé-Nsimalen à 16 heures locales.

« Vous croyez, vous au fantôme  » ? demande Paul Biya aux journalistes. Et encore :  »J’étais en visite privée en Europe. J’ai appris comme tout le monde que j’étais mort  ». Puis : « Il paraît qu’il y en a qui s’intéressent à mes funérailles. Eh bien, dites-leur que je leur donne rendez-vous dans une vingtaine d’années  ». Enfin, invitant ses compatriotes à réserver un accueil chaleureux aux chefs d’État attendus, en principe ce samedi dans la ville de Kribi, à l’occasion de la deuxième phase des cérémonies d’inauguration du pipeline Tchad/Cameroun : « Je demande aux Camerounais de se mobiliser. Comme cela, les gens verront qu’il n’y a pas que de fantômes au Cameroun  ».

Il y a aussi, chez ce Paul Biya des retours ordinaires –costume bleu-nuit strict, chemise bleu ciel, cravate rouge à rayures, le pas alerte, détendu –une pointe de gravité dans le ton, lorsqu’il aborde de front, les rumeurs répandues de longs jours auparavant, à travers le Cameroun et au-delà, le donnant pour mort alors qu’il se trouvait à Genève en Suisse. «Je crois que c’est une blague. Une mauvaise blague. C’est ridicule. C’est inadmissible  ». Et de poursuivre :  » Nous sommes une démocratie. Nous faisons des efforts pour développer l’économie. Le pays est stable, et nous n’avons pas que des amis. J’invite les Camerounais à redoubler de vigilance pour conserver leur stabilité mentale, leur stabilité politique  », lance Paul Biya , en guise de « premier message  » à ses compatriotes. «Deuxième message  » : « Nous allons inaugurer bientôt le pipeline Tchad/Cameroun. C’est un événement important et symbolique  dans la mesure où c’est un témoignage de la coopération entre deux Etats africains. C’est également un signe que l’Afrique centrale avance.  »  L’inauguration du pipeline, prochain point d’importance de l’agenda présidentiel avait déjà été, la semaine dernière, abordée par la radio télévision d’État comme signes d’un chef d’État en activité, bien avant le démenti officiel de la présidence de la République…

D’où est parti la rumeur ?

Mais quel accueil au final, pour la famille présidentielle ! Des milliers de Yaoundéens se sont massés de l’aéroport au palais présidentiel pour acclamer les Biya : la quasi-totalité de l’équipe gouvernementale, des militants du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC  au pouvoir), un bon carré des dames du Cercle des amis du Cameroun (Cerac, fondée et présidée par Chantal Biya), des curieux et des sceptiques. Une foule hystérique, qui fait dire  aux reporters de la radio télévision d’État que le retour de Paul Biya «rappelle l’entrée de Jésus à Jérusalem le dimanche des rameaux  ». Pas moins ! Une forêt de pancartes en guise  de soutien au président Biya : «Papa j’ai beaucoup pleuré  », indique l’une d’entre elles. « On n’enterre pas un lion vivant  », lit-on sur une autre. « Paul Biya encore pour un septennat  », indique une troisième, reprenant les slogans scandés lors des meetings organisés par des responsables du RDPC dans certaines localités du pays, à la suite du démenti des autorités, bien avant même le retour du chef de l’État.  Alors quel lien entre les rumeurs qui le donnaient pour mort, et l’élection présidentielle prévue pour le mois d’octobre prochain ?  »Je ne sais. Je n’ai pas analysé. Je n’y ai pas réfléchis  », dit-il au journaliste.

Attendu depuis le début de la propagation des rumeurs, le retour au Cameroun du président de la République, s’il constitue le démenti le plus irréfutable à ceux qui, même la veille, hésitaient encore à faire confiance aux déclarations officielles, ne répond pas à de nombreuses questions en suspens : qui a propagé la rumeur, dans quel but ? L’opinion reste partagée, entre ceux qui indexent les «ennemis du régime qui ont voulu l’ébranler  », ceux qui pointent le doigt sur des « successeurs impatients  » de Paul Biya, et ceux qui n’excluent pas «un test de popularité organisé  » pour le président de la République qui, même donné pour candidat à la prochaine élection présidentielle, ne s’est pas encore déclaré officiellement.

Le gouvernement avait déjà pour part, trouvé son coupable, à travers un portait robot de la «source médiatique originelle  » des rumeurs. Très vite, les indices ont convergé vers M. Ndzana Seme, basé aux Etats-Unis, qui n’est pas connu pour être un thuriféraire du régime Biya, éditeur du site internet www.africanindependant.com, qui avait diffusé la «nouvelle  », sans qu’on sache si les rumeurs étaient partis de là.  Dans un entretien au trihebdomadaire Le Messager de ce mercredi, la fautif présumé, semble balayer la thèse gouvernementale.  »s’il faut plutôt parler de l’origine de ce qu’ils appellent ‘rumeur’, la page web de The Africanindependant du 5 juin répond à suffisances à cette question, et aux autres accusations de ‘ délits de presse’. Il me semble que l’information sur la mort de Biya circulait déjà au Cameroun dans l’après-midi du vendredi 4 juin. Ndzana Sezme était-il au Cameroun ce vendredi là pour la faire naître ? Le régime Biya devrait le prouver  ».

On attend les prochains épisodes du feuilleton.



par Valentin  Zinga

Article publié le 10/06/2004 Dernière mise à jour le 10/06/2004 à 10:58 TU

Audio

Jean Vincent Tchinehom

Journaliste camerounais, directeur de la rédaction du journal Le Messager

«Le démenti tardant à venir, on a pu penser qu'il y avait une certaine vérité... Ce qui est certain, c'est que le démenti n'a pas suffi à répondre à quelques questions essentielles.»

[10/06/2004]