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Mexique

Rapport accablant pour la justice mexicaine

Une manifestation des proches des victimes réclamant que la justice soit faite, à Ciudad Juarez en fevrier 2004. 

		(Photo: AFP)
Une manifestation des proches des victimes réclamant que la justice soit faite, à Ciudad Juarez en fevrier 2004.
(Photo: AFP)
A Ciudad Juarez, ville-jumelle de l’américaine El Paso, au nord du Mexique à la frontière entre les deux pays, la justice mexicaine tente de comprendre pour quelles raisons il n’y a eu qu’une dizaine de personnes arrêtées pour les meurtres de 300 à 400 jeunes femmes. Le rapport de Maria Lopez Urbina apporte un premier éclairage.

De notre correspondant au Mexique.

Maria Lopez Urbina la juge d’instruction spécialement nommée pour élucider les meurtres de 375 femmes assassinées à Ciudad Juarez, vient de remettre un rapport accablant pour la justice de l’Etat du Chihuahua. Après 4 mois d’études minutieuses sur les 50 premiers dossiers, ce magistrat a demandé au Procureur Général de la République, Rafael Macedo de la Concha, de mettre en examen 81 serviteurs publics dont un avocat général, des commissaires, procureurs, substituts et juges d’instruction. C’est toute la magistrature de Ciudad Juarez qui est impliquée.

Ces fonctionnaires sont accusés de graves déficiences dans la constitution et le suivi des dossiers de ces 375 femmes assassinées en dix ans. Maria Lopez Urbina a pu dresser une liste des omissions et des négligences des serviteurs publics. Elle a révélé qu’aucune recherche n’avait été correctement menée, qu’il n’y a pas eu de suivi des dossiers, que la police judiciaire n’a jamais recherché qui que ce soit, que les témoins n’ont pas été interrogés, que les indices ont été effacés ; en un mot qu’aucune mesure n’a jamais été prise pour mener une véritable enquête judiciaire, ce qui a permis aux auteurs de ces assassinats de ne jamais être importunés.

 La gâchette facile

Ces fonctionnaires risquent des peines de 1 à 8 ans de prison pour négligences et abus d’autorité. Cette demande de mise en examen répond aux réclamations des familles qui n’ont jamais pu faire valoir leurs droits et n’ont jamais été sérieusement entendues par les autorités. Maria Lopez Urbina a largement ouvert son bureau afin de recueillir leurs déclarations et a créé une banque d’ADN pour déterminer plus sûrement l’identité des corps retrouvés par la police ces 10 dernières années. Malgré la violence très grande qui règne dans cette région, où l’on a la gâchette facile, Maria Lopez Urbina a annoncé qu’elle présenterait tous les 4 mois un point de l’état de ses recherches. S’il est vraisemblable qu’elle ne puisse retrouver les coupables de ces meurtres, sa main de fer est un avertissement que l’administration de la justice se fera dorénavant conformément à la loi.

Néanmoins, des familles, des ONG et même la Commission nationale des droits de l’Homme, estiment que ce n’est pas suffisant et que «ce rapport n’est qu’un catalogue de bonnes intentions». En effet, le rapport de Maria Lopez Urbina penche pour une troublante explication de ces assassinats. Elle estime qu’il n’y a pas lieu de parler d’assassinats en série, ni de mettre en relation ces meurtres avec le trafic de drogue et qu’il s’agit simplement de violences intra-familiales ou de délits commis par des personnes n’ayant pas toutes leurs  facultés mentales. Pour certains, c’est la démonstration que ce juge d’instruction spécial ne veut pas ouvrir le trop délicat dossier narco-politico-policier en cette période électorale.

Travailleuses jetables, comme les produits qu’elles fabriquent

Elle ne remet pas non plus en cause le modèle économique que représente la maquiladora (usine de montage) qui emploie principalement des jeunes femmes de 16 à 25 ans, considérées «jetables» lorsqu’elles sont moins rentables, comme les produits qu’elles fabriquent. En revanche, Guadalupe Morfín, la coordinatrice des Actions sociales et politiques pour arrêter la violence contre les femmes de Ciudad Juárez, estime que «les crimes ont plusieurs origines: le vol de voitures, le piratage, le trafic de drogue, le crime organisé, la prostitution et la présence incontrôlée d’innombrables bordels».

Le président Vicente Fox qui a reçu avec satisfaction le premier rapport de Maria Lopez Urbina a annoncé une rallonge de 1 million de dollars à la commission chargée d’éclaircir ces meurtres, démontrant ainsi l’intérêt de son gouvernement à rétablir l’état de droit à Ciudad Juarez.



par Patrice  Gouy

Article publié le 13/06/2004 Dernière mise à jour le 13/06/2004 à 09:40 TU