Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Culture

Après les impressionnistes, la photographie

Paolo Mussat Sartor, <I>Giuseppe Penone</I> 

		(Photo : cnp-photographie.com)
Paolo Mussat Sartor, Giuseppe Penone
(Photo : cnp-photographie.com)
Rompant avec la tradition d’expositions consacrées à l’art moderne et contemporain de peintures et de sculptures, la Galerie du Jeu de Paume réoriente ses activités en se consacrant désormais à la photographie. Le cap de modernité est assurément maintenu. Deux expositions intronisent la photographie dans son nouvel espace: l’une «Eblouissement», décrypte le rôle de la lumière dans l’histoire de la photo et présente un ensemble d’expériences contraires mais souvent mêlées, l’autre, consacrée à «Guy Bourdin», rend hommage à l’un des plus grands photographes de mode et de publicité de la deuxième moitié du XXe siècle.
Man Ray , <I>Femme,</I> 1931<BR>Solarisation<BR>Bibliothèque nationale de France 

		(Photo : Man Ray Trust / Adagp, Paris, 2004)
Man Ray , Femme, 1931
Solarisation
Bibliothèque nationale de France
(Photo : Man Ray Trust / Adagp, Paris, 2004)

Un choix d’œuvres très variées illustrent aussi bien l’expérience de jouissance que celle de la disparition: c’est l’auréole d’une éclipse, soit un grand trou noir cerclé d’un ruban de lumière (Eclipse du 14 juin 1926), des gerbes de poudres de lumière en plein ciel obscur (14 juillet 2000, Feux d’artifice monumentaux de Bruno Serralongue), la lumière fluide ou un cours d’eau lumineux, des rayographes sépias réalisés par Man Ray dans les années 30, un film fantastique du Canadien Stan Douglas (Le Détroit, 1999-2000). Bref, de Constantin Brancusi, Brassaï, André Kertész, ou Man Ray aux créateurs plus contemporains comme Paul Graham, Jean-Luc Moulène, Xavier Veilhan pour n’en citer que quelques-uns parmi bien d’autres, le visiteur est invité à explorer toutes sortes d’expériences photographiques.

«L’exposition «éblouissement» pose la question centrale de la lumière, matière vive qui fait ou défait la photographie, irradie ou efface, modèle ou détruit», annonce Régis Durand, directeur du nouveau temple national consacré à la photographie. Mais si la lumière est bien un «thème consubstantiel à l’histoire de la photographie», l’expérience de celle-ci est très variée: la lumière renvoie aussi bien à ce qui fascine, séduit, brille, émerveille qu’à ce qui brûle, trompe et aveugle quand l’éclat est trop brutal et insoutenable. Or, que le trouble soit provoqué par quelque cause interne ou externe, il s’accompagne toujours de vertiges, et c’est à cette méditation que nous sommes conviés au-delà de la maîtrise technique.

L’exposition assortie d’un catalogue (édité en partenariat avec la Fondation nationale des arts graphiques et des arts plastiques), pose la question de savoir comment «cette confrontation directe avec la source lumineuse, pour dangereuse qu’elle soit, finira par ouvrir de nouveaux champs de visibilité et d’intelligibilité». L’exposition propose quelques repères «dans un mélange de fascination et d’effroi (…) Eblouissement serait une entrée possible dans cette problématique, une tentative pour observer, avec l’objet photographique pour exemple, comment se font et se défont les rapports du visible au non-visible». La photographie serait en quelque sorte un médium singulier opérant aux confins de l’éblouissement et des ténèbres car la lumière n’est pas que chaude et belle.

«L’œil lui-même, dans lequel l’objet se loge ou se perd»

Si «photo-graphier», c’est écrire avec de la lumière, l’œil est bien l’organe au centre de l’aventure puisque c’est lui qui capture cette lumière. «L’éblouissement est une expérience du regard ou de la conscience» souligne Régis Durand. Toute une salle, qui titre «Yeux, regards, retournements», interpelle le visiteur sur les jeux de regard parce que l’objet regardé n’est pas le seul enjeu mais bien «ce qui advient à l’œil lui-même dans lequel l’objet se loge ou se perd». Une série de clichés posent la problématique.

L’œil miroir de Giuseppe Penone, un portrait qui représente l’artiste doté de lentilles miroir (qui «reflète[nt] ce qui est devant lui» mais qui par là-même l’empêchent , lui, de voir) voisine le regard noir et aveugle de Graham Gussin, doté de lentilles noires opaques. «Une vision scotomisée, irradiée comme dans l’image terrible de Christer Strömholm» est accrochée aux côtés du «regard barré d’un trait de feu» de Jorge Molder, auquel répond de manière plus légère le fond de l’œil rouge de Paul Graham «devenu la surface même du cristallin, miroir où danse la lumière comme une petite flamme». Le corps peut être envahi par la lumière, comme il peut être détruit par elle.

<EM>Calendrier VOGUE<BR></EM>Juillet 1985 

		(Photo :The Guy Bourdin Estate, 2003)
Calendrier VOGUE
Juillet 1985
(Photo :The Guy Bourdin Estate, 2003)

Guy Bourdin, un photographe à l’imagination délirante

En marge de cette exposition «Eblouissement», riche de bien d’autres accrochages (comme encore l’étonnant Numenous de Guillaume Paris -un dôme en polyester stratifié avec ampoules, boîtier et programmateur électronique), le Jeu de Paume propose, à la suite du Victoria et du musée Albert de Londres, une rétrospective de Guy Bourdin, un photographe de mode à l’imagination délirante.

 Avec toute l’ambiguïté que ce véhicule le mot, l’exposition de Guy Bourdin constitue à elle seule l’illustration de ce que peut être un «éblouissement». Cet étonnant metteur en scène trouble le visiteur, et brouille les cartes. Ses représentations de la femme irradient les publicités des magazines Vogue et Marie-Claire dans les années 70. Ce sont presque toujours des poses sensuelles de sorte de poupées Barbie, impudiques et lascives, des corps de mannequins en extase ou figés dans l’effroi, de femmes fatales, fardées, et souvent malmenées. Chaque photo constitue à elle seule un étrange petit récit: le photographe campe ses sujets dans des atmosphères la plupart du temps intrigantes et inquiétantes, voire morbides. A titre d’exemple, le corps absent est dessiné à la craie sur le bitume (comme le fait la police criminelle lors de la reconstitution des faits) avec pour seule trace-mémoire de la victime, une paire de chaussures compensées roses qui jonchent le sol.

Bourdin, maître de la photographie en couleur vive, franche, violente, explore la perversité humaine. Il joue avec les miroirs pour mettre en abyme les fantasmes au-delà des apparences, et il choisit des thèmes récurrents pour écrire ses scenarii: des jambes nues, des sanitaires, des lits défaits, le pavé de la chaussée, la nuit, les voitures. Il dénonce l’univers clinquant de la mode d’une manière sulfureuse et dérangeante. Man Ray fut son mentor, Alfred Hitchcock l’a incontestablement marqué. Grâce à Charles Jourdan qui lui laissa carte blanche, il sut, avec excellence, exalter une certaine féminité fétichiste des chaussures. Séduction, destruction, éclat, délitement, lumière, obscurité: toute la richesse de l’expérience photographique est investie, de manière «éblouissante».

par Dominique  Raizon

Article publié le 24/06/2004 Dernière mise à jour le 24/06/2004 à 16:29 TU

Pour en savoir plus : www.cnp-photographie.com