Proche-Orient
Déni de compétence
(Manu Pochez/RFI)
«Nous ne pensons pas qu'il soit approprié d'examiner ce cas dans cette instance», déplore le porte-parole de la Maison Blanche qui renvoie la question du mur à une solution politique «qui est la vision de deux Etats décrite par le président» Bush et gravée dans la «Feuille de route». C’est aussi l’avis du challenger démocrate candidat à l'élection présidentielle américaine, John Kerry, «profondément déçu» par l'avis de la cour internationale. L’arrêté de la CIJ n’est nullement contraignant, mais il sonne quand même comme un coup de semonce aux oreilles d’Israël. L’Etat hébreu compte plus que jamais sur le veto américain au Conseil de sécurité pour empêcher l’adoption d’une résolution onusienne qui fasse écho à la CIJ.
Dès le 10 juillet, le représentant palestinien à l’Onu, Nasser Al-Kidwa se préparait à lancer l’offensive diplomatique. Il s’adressera la semaine prochaine «à l'Assemblée générale de l'Onu, qui a sollicité l'avis consultatif de la CIJ, puis au Conseil de sécurité» pour tenter de transformer cette victoire de principe en condamnation voire en sanctions. «Nous devons examiner la décision de la Cour. Il ne faut pas tirer des conclusions hâtives. Il s'agit d'un avis consultatif qui doit revenir devant l'Assemblée générale» des Nations unies – largement acquise aux Palestiniens –, temporise pour sa part l'émissaire européen au Proche-Orient, Marc Otte, rappelant toutefois la position «constante de l’Union européenne» à cette barrière de béton et de barbelés qui «compromet» la résolution du conflit israélo-palestinien.
«L'administration américaine comprend les raisons pour lesquelles cette barrière a été construite et qu'elle est efficace pour sauver des vies», se félicite déjà le ministre israélien des Affaires étrangères, Sylvan Shalom, confiant dans la détermination américaine à bloquer toute décision préjudiciable à Israël d’un Conseil de sécurité où la France, la Grande-Bretagne et la Russie auraient visiblement préféré éviter, elles-aussi, le recours à la CIJ. Répétant que le mur est «sécuritaire et non pas politique» et qu’il «vise à empêcher des terroristes de commettre des attentats», le président israélien, Moshé Katzav a pour sa part affirmé que la construction «n'est pas une frontière» et que «si les négociations reprennent avec les Palestiniens, il ne sera pas difficile de déplacer la barrière jusqu'à la frontière sur laquelle nous conviendrons». « Nous n'allons pas négocier avec Israël à propos du mur. Israël doit arrêter sa construction, détruire les portions déjà construites et compenser les Palestiniens pour les dommages qu'ils ont subis», réplique déjà le représentant palestinien à l’Onu.
Sans dénier le «droit d'Israël à l'auto défense face aux attaques terroristes», le chef de la diplomatie européenne, Javier Solana note que «le mur n'a pas seulement pour conséquence la confiscation de terres palestiniennes... il pourrait aussi condamner à l'avance de futures négociations». Pour sa part, la France veut se donner le temps de la réflexion et de la concertation avec ses partenaires européens sur «cet avis qui détermine l'état du droit applicable à la situation créée par la construction de ce mur selon le tracé retenu». Le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, voit quant à lui «un message fort» dans l’arrêt de la CIJ, espérant, à l’instar des pays arabo-musulmans et africains, qu’il soit porté au registre de «notre gouvernance internationale», selon les termes du Premier ministre tunisien, qui estime «que des décisions multilatérales de cette nature doivent être respectées et appliquées». «Israël s’est mis hors la loi» internationale, plaident les Palestiniens. Mais la faire appliquer par des sanctions contraignantes imposant le démantèlement du mur paraît tout à fait hypothétique.
«Ils peuvent dire que la terre est plate... cela ne sera pas juste pour autant»
Dans l’immédiat, de concert avec ses amis américains, Bush aussi bien que Kerry, Israël plaide l’incompétence de la CIJ sur la question du mur. En octobre dernier, déjà, Washington avait opposé son veto à un projet de résolution du Conseil de sécurité visant à empêcher l'Etat hébreu de poursuivre la construction du «mur de l’apartheid» dénoncé par les Palestiniens et dont le président chinois de la CIJ a estimé qu’il «ne peut être justifié par des considérations militaires, de sécurité nationale ou d'ordre public». «Ils peuvent dire que la terre est plate. Cela ne sera pas légitime pour autant; cela ne sera pas vrai pour autant, cela ne sera pas juste pour autant», s’irrite Benjamin Netanyahou, le ministre israélien des Finances. En mettant Israël dans l’embarras, le camouflet infligé par l’organe judiciaire des Nations unies pour «la situation illicite découlant de la construction du mur et du régime qui lui est associé» est quand même un sujet de vive satisfaction pour Yasser Arafat.
«C'est une victoire pour le peuple palestinien et pour tous les peuples libres du monde», s’est écrié le chef de l’Autorité palestinienne. Il table sur le service minimum des pressions en coulisse pour agir sur le tracé de la «barrière de sécurité». En effet, même Washington est susceptible d’en exercer, le secrétaire d'Etat américain Colin Powell estimant que si le mur constitue une ligne de sécurité légitime et efficace, son tracé préfigure en revanche un Etat palestinien «de façon non-appropriée, ni juste ni équitable pour les Palestiniens».
par Monique Mas
Article publié le 10/07/2004 Dernière mise à jour le 10/07/2004 à 14:37 TU