Immigration
L’action humanitaire sanctionnée
(Photo: AFP)
Alors qu’ils tentaient de gagner les terres européennes à bord d’un canot de fortune, trente-sept naufragés ont trouvé refuge, le 20 juin dernier, sur le Cap Anamur, un navire affrété par une organisation humanitaire allemande éponyme spécialisée dans l’aide aux réfugiés. A ce jour, il reste difficile de connaître l’exacte nationalité de ces hommes. S’ils affirment être soudanais et justifient leur fuite en Europe par la guerre qui sévit actuellement au Darfour, les autorités italiennes soutiennent que trente d’entre eux sont du Ghana, six du Nigeria et un du Niger.
Après une dizaine de jours en mer, les membres de l’association Cap Anamur ont voulu ramener sur la terre ferme les immigrants afin qu’ils régularisent leur situation. Destination l’Italie pour demander l’autorisation de d’accoster. Mais celle-ci s’est montré intransigeante et a refusé de répondre favorablement à la demande de l’ONG, estimant que selon le droit maritime international, le Cap Anamur aurait dû déposer ces naufragés, recueillis dans le canal de Sicile, à Malte, premier pays où le bateau avait accosté avant de mettre le cap dur la Sicile. L’Italie estimait donc qu’il était du ressort de Malte d’accueillir les réfugiés. Mais les autorités maltaises ont assuré de leur côté que le Cap Anamur ne les avait jamais informées de la présence à bord de trente-sept immigrants. La situation s’avère être complexe. Comme le souligne Rupert Colville, un des portes paroles du Haut commissariat de l’ONU pour les réfugiés, « trois Etats sont impliqués : l’Allemagne, où le bateau est enregistré, Malte et l’Italie. Et qui est responsable ? ce n’est pas clair du tout ». Le débat est donc loin d’être clos et ouvre une véritable polémique internationale.
Les immigrés ont d’abord formulé des demandes d’asile politique à l’Allemagne. Or, « une demande d’asile en Allemagne a pour condition que le territoire allemand ait été atteint », a précisé Rainer Lingenthal, porte-parole au ministère de l’Intérieur à Berlin. L’Allemagne n’est donc pas en mesure de pouvoir traiter le dossier. Ainsi, c’est un véritable bras de fer que se sont livrées Malte et l’Italie pendant une dizaine de jours. Mais pendant ce temps, les passagers errent sur les flots de la Méditerranée sans pouvoir trouver de terre d’accueil. Le traitement de la situation suscite indignation et menaces. Le Vatican qualifie cette situation de « naufrage du sens humanitaire ».
Le droit d’accoster coûte cher
Le 12 juillet, l’Italie décide finalement d’accorder le droit d’accoster au Cap Anamur. Les immigrés africains ont ainsi pu être débarqués sur le sol sicilien de Porto Empedocle. Ils ont ensuite été conduits en centre de rétention d’Agrigente et ont reformulé leur demande d’asile politique, mais cette fois-ci à l’Italie. L’examen de leurs dossiers étaient en cours jusqu’à mercredi. Le gouvernement rendait son verdict hier : les immigrés qualifiés de « clandestins » vont être expulsés. Les demandes d’asile ont en effet étaient jugées «irrecevables» par le ministre de l’Intérieur italien, Giuseppe Pisanu. Cette décision n’a pas manqué de susciter de vives réactions. « Il s’agit d’un acte qui couvre de honte le gouvernement italien, incapable de gérer des drames humanitaires », s’est insurgé Paolo Cento, le député du groupe des Verdi (écologistes).
La condamnation est également lourde pour les membres de l’ONG allemande. Ils ont débarqués leurs réfugiés mais à quel prix ? Le directeur de Cap Anamur, Elias Bierdel, le capitaine du bateau Stephen Schmidt et le premier officier Vladimir Dhchkevitch, ont donc été arrêtés lundi par les autorités italiennes après avoir débarqué les clandestins africains à Porto Empedocle. Ils sont accusés de «soutien à l’immigration clandestine». Depuis une vingtaine d’années, l’organisation humanitaire, largement soutenue en Allemagne si l’on s’en réfère aux nombreux dons qu’elle reçoit, s’attache à recueillir et soigner de nombreux boat people, à bord du Cap Anamur, spécialement affrété pour l’aide aux réfugiés. Le sauvetage en Méditerranée que l’association a mené ce 20 juin dernier représentait ni plus ni moins pour ses membres une action humanitaire. Cependant, les autorités italiennes ont reproché à l'association Cap Anamur d'avoir prétendu recueillir à son bord des Soudanais fuyant la région du Darfour et d’avoir délibérément acheminé ses passagers vers l’Italie alors qu’ils auraient dû débarquer à Malte.
Jeudi matin, les trois hommes comparaîtront devant un juge, chargé de confirmer les chefs d'accusation pesant sur eux. Ils risquent quatre à douze ans de réclusion et 15 000 euros d’amende pour chaque immigré débarqué.
par Clémence Aubert
Article publié le 15/07/2004 Dernière mise à jour le 15/07/2004 à 09:25 TU