Bolivie
Un référendum explosif sur le gaz
(Photo : AFP)
Neuf mois séparent l’arrivée au pouvoir du président Carlos Mesa de l’organisation (dimanche 18 juillet) d’un référendum dont l’objectif est de définir la gestion future des hydrocarbures du pays. A peine installé dans ses fonctions de chef d’Etat, le nouveau président bolivien avait en effet établi un « agenda d’octobre » dans lequel il avait fait de cette question la priorité de sa politique. Et pour cause : son prédécesseur, Gonzalo Sanchez de Lozada, venait d’être contraint à la démission à cause d’un projet d’exportation de gaz bolivien via le Chili vers le Mexique et les Etats-Unis. De violentes manifestations avaient alors secoué le pays pendant un mois, coûtant la vie à une centaine de personnes, jusqu’à la démission du président Sanchez de Lozada le 17 octobre 2003, réfugié depuis à Miami.
La mobilisation massive de l’opposition bolivienne s’expliquait par le refus d’une grande partie de la population bolivienne de vendre les richesses naturelles du pays à des entreprises étrangères. Et ce mouvement traduisait d’une manière plus générale un fort mécontentement à l’égard des responsables politiques accusés de négliger les intérêts du peuple. Pays le plus pauvre d’Amérique Latine, la Bolivie connaît une situation économique et sociale très difficile. Les immenses richesses en or et en argent de ce pays, contenues notamment dans la mine de Potosi exploitée depuis plus de 450 ans et désormais épuisée, ont fait la fortune des colons européens au fil des siècles. Et la découverte d’importants gisements d’hydrocarbures au cours des années 90, qui font de la Bolivie le deuxième pays latino-américain en matière de réserves de gaz, a du coup suscité un immense espoir au sein des classes les plus humbles. Car les mouvements syndicaux ou sociaux avaient alors vu dans ces hydrocarbures le moyen de financer enfin le développement du pays.
La réalité a été tout autre, puisque dans le sillage de la législation économique libérale appliquée dans le pays, l’exploitation du gaz a été essentiellement confiée à des entreprises étrangères, notamment le groupe français Total, qui contrôlent environ 90% des concessions gazières. Elles ont réalisé d’importants investissements de prospection au cours des dernières années qui ont permis au pays d’augmenter considérablement ses réserves de gaz et de devenir ainsi un acteur incontournable en matière énergétique sur le continent. Et la Bolivie, dont le principal client est le Brésil, était sur le point de signer de gros contrats avec des sociétés états-uniennes et mexicaines avant que n’éclatent les émeutes de l’année dernière.
Un pays sans port
La colère des manifestants était également provoquée par l’option retenue par le gouvernement bolivien pour l’exportation des précieux hydrocarbures. Privée d’accès à la mer depuis la guerre du Pacifique (1879-1893) au cours de laquelle elle a perdu ses territoires qui bordaient l’Océan Pacifique, la Bolivie entretient depuis des relations diplomatiques très tendues avec son voisin chilien à qui elle réclame la restitution de ses terres. Or, le gouvernement précédent avait choisi de procéder à l’exportation d’une partie de son gaz via un port situé dans le nord du Chili, une possibilité rejetée par nombre de Boliviens qui refusent que le Chili puisse percevoir le moindre dollar sur l’exploitation de cette ressource.
Le président Carlos Mesa se montre du coup extrêmement prudent à l’heure d’évoquer l’éventuelle sortie du gaz bolivien par le Chili. De plus, il sait que le référendum pose une question bien plus épineuse, celle de la nationalisation des ressources naturelles. Car si cette éventualité n’est pas évoquée dans les bulletins de vote, elle est notamment réclamée par les plus importantes organisations syndicales et d’influents mouvements sociaux. Certains de leurs dirigeants ont, du coup, appeler au boycott de ce scrutin car ils estiment que le gouvernement ne va pas assez loin en demandant simplement au peuple s’il souhaite voir augmenter l’imposition des entreprises étrangères ou bien s’il accepte que le gaz soit utilisé comme une « ressource stratégique pour obtenir un accès utile et souverain sur l’Océan pacifique ».
Le président Mesa, qui n’a eu de cesse d’affirmer que l’expropriation des entreprises étrangères n’était absolument pas envisagée, sait que le taux de participation sera décisif pour la suite de son mandat. Car s’il peut déjà se féliciter d’avoir réussi à convoquer ce référendum, le premier du genre en Bolivie, il redoute une forte abstention qui réduirait fortement la légitimité politique de son équipe. Et il a également annoncé que la réponse à la cinquième et dernière question du référendum serait prépondérante, celle qui demande aux électeurs s’ils acceptent que les ressources tirées de l’exportation du gaz, augmentées grâce à une plus forte imposition des entreprises qui l’exploitent, aident au développement économique du pays. Le « oui » à cette question est « essentiel », a ainsi déclaré Carlos Mesa dans une interview publiée mardi par le quotidien bolivien La Razon, en expliquant qu’un refus irait à l’encontre de la « philosophie » de son gouvernement.
par Olivier Bras
Article publié le 18/07/2004 Dernière mise à jour le 18/07/2004 à 12:43 TU