Bolivie
La «guerre du gaz» est déclarée
La crise sociale et politique bolivienne qui oppose depuis plusieurs semaines le gouvernement aux planteurs de coca a dégénéré en conflit sanglant au cours de ces derniers jours. Depuis jeudi, on compte au moins 8 morts et des dizaines de blessés par balles, victimes des tentatives de l’armée pour reprendre le contrôle de la situation. En tout, le bilan de ces dernières semaines s’établirait à 20 morts parmi les manifestants. Les protestations contre le président Gonzalo Sanchez de Losada ont notamment pour origine sa gestion des réserves gazières du pays, second producteur du sous-continent après le Venezuela.
«Nous ne pouvons plus parler d’affrontements mais d’un véritable massacre». Dans une lettre adressée au président bolivien, l’Eglise catholique, le Syndicat des travailleurs de la presse et l’assemblée permanente des droits de l’Homme bolivienne dénoncent les très graves événements qui ont eu lieu à El Alto, à une douzaine de kilomètres de la capitale, et auraient provoqué la mort d’une dizaine de personnes depuis jeudi, dont au moins huit ce week-end. D’autres sources évoquent la mort de 20 personnes entre samedi et dimanche. Selon les signataires du document, «divers médias ont confirmé l’utilisation d’armes de gros calibre, dont des mitrailleuses lourdes contre le peuple bolivien». Les radios de La Paz ont relayé les appels aux dons du sang et de médicaments pour secourir les victimes de l’armée, qui se compteraient par dizaines. Les heurts les plus violents se sont produits lorsque les soldats sont intervenus pour dégager les voies d’accès à la capitale bloquées par les manifestants qui tentaient d’imposer son blocus pétrolier et alimentaire.
Les principaux dirigeants syndicaux, représentants des communautés indiennes, déclarent qu’ils ont reçu des menaces de mort, raison pour laquelle ils sont entrés dans la clandestinité. L’aéroport de La Paz (situé précisément à El Alto) a été fermé. Les producteurs de coca ont annoncé leur volonté de couper la principale route traversant le pays d’est en ouest. Les chauffeurs des transports publics menacent de se mettre en grève, ainsi que les boulangers, qui fabriquent le principal aliment des classes populaires. De son côté le gouvernement écarte l’idée de négociations et dénonce une tentative de coup d’Etat. Dans ces conditions, les prochaines heures devraient s’avérer décisives pour la Bolivie.
Peuplée de huit millions d’habitants, la Bolivie est le plus pauvre des pays de la région, avec 60% de la population affectée. Son président s’est engagé dans une politique de libéralisation des marchés qui n’a encore produit aucun effet sur la montée de cette pauvreté. Le plan d’austérité gouvernemental, approuvé par la Fonds monétaire international, avait déjà soulevé une vague de mécontentement en début d’année et les émeutes de février avait fait 32 morts. Mais surtout, parmi les thèmes de mécontentement, figure principalement la gestion des ressources du pays. La Bolivie s’est découvert un eldorado gazier. Elle dispose en effet des plus vastes réserves de gaz naturel d’Amérique du Sud, juste après celles du Venezuela. Mais, ne disposant pas de façade maritime, La Paz souffre d’un grave et coûteux handicap pour exporter sa matière première. Aujourd’hui, le Pérou (au nord-est) et le Chili (au sud-est) se disputent le privilège d’accueillir le port d’embarquement du gaz bolivien à destination des pays consommateurs d’Amérique du nord (Etats-Unis et Mexique).
L’absence de façade maritime
La date de l’exploitation a été fixée à 2006, le coût de l’opération est évalué à 6 milliards de dollars et, en l’état, le miracle gazier ne rapporterait à la Bolivie que 18% du montant de ses exportations. L’opposition et les syndicats disposent donc de sérieux arguments pour contester le projet. Celui-ci permettrait par ailleurs, selon les projets gouvernementaux, de lancer le pays dans un processus d’industrialisation dont l’un des objectifs, selon les «cocaleros», serait d’éliminer la culture traditionnelle de la coca. C’est la raison pour laquelle le syndicat des producteurs, dont l’activité est menacée à terme, a adopté une attitude particulièrement offensive dans cette affaire qui survient dans un contexte international marqué par les tentatives d’éradication des cultures de drogues. Or la Bolivie est l’un des plus gros producteurs de feuilles de coca, matière première de la cocaïne. Actuellement, le régime de prohibition permet de dégager d’énormes dividendes du trafic et rend illusoire le remplacement des plantations par des cultures de substitution. Faute de pouvoir convaincre les paysans, et sous la pression notamment de Washington, les autorités s’engagent dans des politiques autoritaires d’éradication des cultures illégales, menées sur un mode quasi-militaire, et qui approfondissent le fossé entre agriculteurs et dirigeants.
Enfin, la fameuse question de l’absence de fenêtre maritime est un fantôme qui n’en finit pas de hanter les Boliviens depuis la guerre perdue du Pacifique (1879-1883) à l’issue de laquelle La Paz dut céder sa façade océanique au Chili. L’affaire n’est pas classée et elle continue d’empoisonner les relations entre les deux pays et d’alimenter les frustrations et le nationalisme des Boliviens. Pour preuve que cette revendication territoriale demeure une priorité : à la tribune de l’ONU, le 24 septembre, le vice-président bolivien a de nouveau réclamé au Chili la restitution de la fameuse façade maritime perdue au XIXème siècle. Certes le débouché péruvien reste pertinent, mais les spécialistes estiment que l’exportation via le Chili serait plus rationnel et rentable que par le Pérou. Indépendamment de toute considération politique.
La «guerre du gaz» bolivienne est donc une équation à plusieurs entrées, compliquée à démêler et dans laquelle débouchent nombre de paramètres politique et économique, nationaux et internationaux. Les opposants aux projets gouvernementaux dénoncent la main de Washington, du FMI et les effets de la globalisation. Les partisans, eux, parlent d’un «processus séditieux de coup d’Etat» fomenté avec la complicité d’«aide extérieure» (la Libye est citée !). La Bolivie vient de célébrer le 21ème anniversaire de la fin de ses régimes militaires.
A écouter :
Marie-France Chatin-Laroche, journaliste à RFI
Son analyse sur les raisons de cette crise entre le gouvernement et les ouvriers et paysans au micro de Philippe Lecaplain (13/10/2003).
Les principaux dirigeants syndicaux, représentants des communautés indiennes, déclarent qu’ils ont reçu des menaces de mort, raison pour laquelle ils sont entrés dans la clandestinité. L’aéroport de La Paz (situé précisément à El Alto) a été fermé. Les producteurs de coca ont annoncé leur volonté de couper la principale route traversant le pays d’est en ouest. Les chauffeurs des transports publics menacent de se mettre en grève, ainsi que les boulangers, qui fabriquent le principal aliment des classes populaires. De son côté le gouvernement écarte l’idée de négociations et dénonce une tentative de coup d’Etat. Dans ces conditions, les prochaines heures devraient s’avérer décisives pour la Bolivie.
Peuplée de huit millions d’habitants, la Bolivie est le plus pauvre des pays de la région, avec 60% de la population affectée. Son président s’est engagé dans une politique de libéralisation des marchés qui n’a encore produit aucun effet sur la montée de cette pauvreté. Le plan d’austérité gouvernemental, approuvé par la Fonds monétaire international, avait déjà soulevé une vague de mécontentement en début d’année et les émeutes de février avait fait 32 morts. Mais surtout, parmi les thèmes de mécontentement, figure principalement la gestion des ressources du pays. La Bolivie s’est découvert un eldorado gazier. Elle dispose en effet des plus vastes réserves de gaz naturel d’Amérique du Sud, juste après celles du Venezuela. Mais, ne disposant pas de façade maritime, La Paz souffre d’un grave et coûteux handicap pour exporter sa matière première. Aujourd’hui, le Pérou (au nord-est) et le Chili (au sud-est) se disputent le privilège d’accueillir le port d’embarquement du gaz bolivien à destination des pays consommateurs d’Amérique du nord (Etats-Unis et Mexique).
L’absence de façade maritime
La date de l’exploitation a été fixée à 2006, le coût de l’opération est évalué à 6 milliards de dollars et, en l’état, le miracle gazier ne rapporterait à la Bolivie que 18% du montant de ses exportations. L’opposition et les syndicats disposent donc de sérieux arguments pour contester le projet. Celui-ci permettrait par ailleurs, selon les projets gouvernementaux, de lancer le pays dans un processus d’industrialisation dont l’un des objectifs, selon les «cocaleros», serait d’éliminer la culture traditionnelle de la coca. C’est la raison pour laquelle le syndicat des producteurs, dont l’activité est menacée à terme, a adopté une attitude particulièrement offensive dans cette affaire qui survient dans un contexte international marqué par les tentatives d’éradication des cultures de drogues. Or la Bolivie est l’un des plus gros producteurs de feuilles de coca, matière première de la cocaïne. Actuellement, le régime de prohibition permet de dégager d’énormes dividendes du trafic et rend illusoire le remplacement des plantations par des cultures de substitution. Faute de pouvoir convaincre les paysans, et sous la pression notamment de Washington, les autorités s’engagent dans des politiques autoritaires d’éradication des cultures illégales, menées sur un mode quasi-militaire, et qui approfondissent le fossé entre agriculteurs et dirigeants.
Enfin, la fameuse question de l’absence de fenêtre maritime est un fantôme qui n’en finit pas de hanter les Boliviens depuis la guerre perdue du Pacifique (1879-1883) à l’issue de laquelle La Paz dut céder sa façade océanique au Chili. L’affaire n’est pas classée et elle continue d’empoisonner les relations entre les deux pays et d’alimenter les frustrations et le nationalisme des Boliviens. Pour preuve que cette revendication territoriale demeure une priorité : à la tribune de l’ONU, le 24 septembre, le vice-président bolivien a de nouveau réclamé au Chili la restitution de la fameuse façade maritime perdue au XIXème siècle. Certes le débouché péruvien reste pertinent, mais les spécialistes estiment que l’exportation via le Chili serait plus rationnel et rentable que par le Pérou. Indépendamment de toute considération politique.
La «guerre du gaz» bolivienne est donc une équation à plusieurs entrées, compliquée à démêler et dans laquelle débouchent nombre de paramètres politique et économique, nationaux et internationaux. Les opposants aux projets gouvernementaux dénoncent la main de Washington, du FMI et les effets de la globalisation. Les partisans, eux, parlent d’un «processus séditieux de coup d’Etat» fomenté avec la complicité d’«aide extérieure» (la Libye est citée !). La Bolivie vient de célébrer le 21ème anniversaire de la fin de ses régimes militaires.
A écouter :
Marie-France Chatin-Laroche, journaliste à RFI
Son analyse sur les raisons de cette crise entre le gouvernement et les ouvriers et paysans au micro de Philippe Lecaplain (13/10/2003).
par Georges Abou
Article publié le 13/10/2003