République démocratique du Congo
Uranium à vendre
Carte : GéoAtlas/SB/RFI
D’or ou de diamants, de coltan ou d’uranium, les mines fantômes sont légions en République démocratique du Congo (RDC). Leurs productions apparaissent quelquefois de manière inédite dans les chiffres du commerce extérieur des pays voisins, mais jamais dans les exportations nationales. Pourtant elles font vivre et mourir des dizaines de milliers de «creuseurs», seulement équipés de pelles et pioches, ou de «fourmis», chargées du transport, souvent à dos d’homme. Accidents ou batailles rangées pour le contrôle d’un site révèlent régulièrement l’existence de ces activités qui contribuent à alimenter le marché international des matières premières, mais aussi des trafics en tous genres.
C’est ainsi que la mine de cuivre, de cobalt et d'uranium de Shinkolobwe, au sud-est de la RDC vient de se rappeler aux bons souvenirs nucléaires internationaux. C’est de là que sont sortis les 1 500 tonnes d’uranium qui ont permis aux Américains de fabriquer les bombes atomiques lancées sur Hiroshima et Nagasaki, le 6 août 1945. Aujourd’hui, Shinkolobwe appartient à la Gécamines, fille de l’Union minière du Haut-Katanga. Elle a été fermée au début des années soixante et gardée par l'armée congolaise jusqu'en 1997. Cela n’a jamais empêché l’uranium congolais d’être au cœur d’un trafic peu documenté et de se négocier au «casque» (récipient de plomb et d’acier) rempli de minerai ou de déchets radioactifs.
Voleurs d'uranium
A Shinkolobwe, 15 000 mineurs «informels» au moins - il y en a soixante mille dans la province - travailleraient à l’extraction d’un mélange hétérogène de cuivre et de cobalt, baptisé muchanga qui sort de la mine «désaffectée» par camions de vingt tonnes. Plus discrètement, ils mettent en circulation du minerai d’uranium dont l’exploitation est repartie sur le site, depuis 1997, la fuite des troupes de Mobutu devant Laurent-Désiré Kabila et le début d’une ruée sur ce minerai mythique. Le puits où s’est produit l’éboulement le 8 juillet est situé à une dizaine de kilomètres d’un site «scellé» en 1957 par les autorités coloniales belges.
L’un des rescapés de Shinkolobwe assure que, la veille de l’accident, la mine avait été la cible d’un groupe de voleurs d’uranium conduit par des agents des forces de l’ordre. Il les accuse d’avoir au passage dégradé le dispositif de soutènement, cause de l’effondrement qui aurait officiellement fait une demi-douzaine de morts. D’autres estiment que les hommes en tenue sont pour quelque chose dans la fin de non-recevoir opposée à la Mission des nations unies au Congo (Monuc).
Risque d'irradiation permanent
Selon son porte-parole, Alexandre Essome, «la délégation de la MONUC était allée là-bas pour voir quelle aide nous pouvions apporter sur le plan humanitaire et médical, mais les autorités du district du Haut-Katanga nous ont indiqué que nous n'étions pas autorisés à y accéder parce que nous n'avions pas prévenu à l'avance et que nous n'avions, selon elles, rien à voir dans cette affaire». Selon les experts onusiens, le risque d’irradiation est permanent et considérable sur ce site où les «creuseurs» travaillent torse nu et se font accompagner de leurs familles précairement installées en surface. Depuis l’accident, «la Monuc recommande que cette mine soit sécurisée et remise à une entreprise privée pour une exploitation plus disciplinée, et afin d'éviter le trafic d'uranium». De leur côté, certains observateurs minimisent l’enjeu, estimant que l’uranium extrait de Shinkolobwe dans de telles conditions d’artisanat n’en vaut pas la chandelle. Pourtant, la demande existe bel et bien. Elle concerne aussi les déchets radioactifs enfouis au Congo dans les années soixante soixante-dix.
La RDC est sur la liste des 44 Etats «en possession de matières fissiles» recensés par l'Organisation du traité d'interdiction complète des essais nucléaires (OTICE). Ces matériaux dangereux se trouvent pour l’essentiel «à l'université de Kinshasa qui possède un réacteur de recherche nucléaire». Bruxelles avait en effet équipé sa colonie dans le cadre de sa participation au programme «atomique pour la paix» du président américain Eisenhower et, sous Mobutu, Washington avait doté le Centre de recherches et d'expérimentation nucléaire de Kinshasa (Crenka) de deux réacteurs expérimentaux. La RDC aurait également servi de poubelle à déchets radio actifs. Enfin, selon l’OTICE, «les anciennes mines d'uranium du Katanga posent un problème pour l'environnement». Les casques en circulation aussi.
L'exploitation est interdite mais le trafic continue
En son temps, le maréchal Mobutu avait tenté de monnayer les soucis nucléaires des Etats-Unis en refusant même leurs services gratuits pour démonter les installations congolaises. Selon Global Witness, Mobutu aurait préféré servir Kadhafi en déchets radioactifs. Pour sa part, en 1998, avant de lancer la deuxième guerre du Congo, Laurent-Désiré Kabila aurait offert une concession d’uranium à la Corée du Nord, en échange de coopération militaire. Global Witness signale également qu’entre 1998 et 2002 le site de Shinkolobwe était protégé par les troupes alliées du Zimbabwe. Harare dément mais n’en a pas moins obtenu pignon sur rue dans le secteur minier congolais, en remerciement de son aide militaire. Finalement, contrairement à son père, Joseph Kabila aurait toutefois accepté le principe d'un nettoyage des sites concernés. Il serait en pourparlers avec les Etats-Unis pour l’expertise nécessaire.
En janvier dernier, Kinshasa a interdit l’exploitation artisanale de Shinkolobwe, manifestant ainsi sa connaissance des activités du cru. Le décret de papier est resté lettre morte, des milliers de travailleurs continuant d’approvisionner la filière uranium. En mars, les services de sécurité congolais ont saisi plusieurs caisses pleines de casques d’uranium à Kinshasa. D’autres prises ont été également annoncées ces dernières années en Zambie, en Tanzanie ou en Ouganda. Des casques d’uranium sont régulièrement mis sur le marché dans la région, au Kenya récemment.
Aujourd’hui, le ministère des Mines assure qu’il est en train de remettre sur pied un dispositif de sécurité pour interdire l’accès au site de Shinkolobwe. Un projet de délocalisation de la main d’œuvre minière serait en cours avec l’ouverture de zones d’exploitation artisanale, sur d’autres sites moins irradiants. Mais le tout repose sur l’aide extérieure. En attendant, déchets mal identifiés ou minerai de Shinkolobwe, de qualité ou faiblement chargé, l’uranium congolais poursuit sa route radioactive. Et nul n’a encore ni chiffré ni évalué la quantité et la qualité du matériau qui trouve finalement preneur après un détour par des «opérateurs indiens, pakistanais, chinois et sud-coréens», selon Global Witness.
par Monique Mas
Article publié le 26/07/2004 Dernière mise à jour le 26/07/2004 à 14:57 TU
En savoir plus:
Lire le rapport de Global Witness (format PDF): http://www.globalwitness.org/reports/download.php/00141.pdf