Constitution européenne
Le rappel à l’ordre de Chirac
Le président français Jacques Chirac (G) accompagné de ses homologues espagnol Rodriguez Zapatero (C) et allemand Gerhard Schröder (G) lors d'une conférence de presse à l’occasion du sommet tripartite à Madrid. Le président Chirac a affirmé qu’il veillerait , en France, au bon déroulement de la campagne référendaire sur la constitution européenne.
(Photo : AFP)
Le président de la République vient de manifester sa vigilance sur les dossiers institutionnels européens à l’occasion du sommet tripartite de lundi, à Madrid. Le chef de l’Etat a tenté de rendre toute sa solennité au débat en cours sur la ratification de la constitution européenne en affirmant qu’il veillerait à ce que la campagne référendaire ne soit pas « détournée à des fins partisanes » en France. Cette préoccupation exprimée par Jacques Chirac intervient au lendemain de l’annonce de l’ancien Premier ministre socialiste Laurent Fabius qu’il voterait « non » lors de la consultation, en 2005. « Je ne trouve pas dans ce traité ce qui permettrait de changer de politique en matière d’emploi et de lutter contre les délocalisations et, à partir du moment où je ne trouve pas cela dans le traité en l’état, je peux pas approuver ce traité et ma pente naturelle (…) est donc de voter contre », a déclaré M. Fabius dimanche.
« Cette question est capitale pour notre avenir et je ne veux pas que cette question soit dévoyée », a insisté le président français, soutenu par ses homologues espagnol et allemand. En dépit des tergiversations qui agitent le parti frère français, le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero a déclaré qu’il ne changerait pas d’avis sur le sujet et qu’il était « très favorable » à ce « projet d’unité européenne (qui) est sans le moindre doute le succès historique le plus important de ce dernier siècle ». De son côté, le chancelier allemand n’envisage pas l’échec. « Je ne pense même pas à un plan B, ni C, ni D », a indiqué Gerhard Schröder.
Prise de conscience tardive
Replacée dans le contexte français, la déclaration de Jacques Chirac sonne comme une mise au point visant à rappeler la classe politique hexagonale à ses responsabilités internationales et communautaires, tout en incarnant lui-même l’indispensable hauteur de vue qui convient dans la prise des décisions qui engagent la nation sur le très long terme. La déclaration s’adressait donc vraisemblablement en particulier à l'ancien Premier ministre socialiste dont la prise de position embarrasse ses amis, menace la poursuite de la construction communautaire et trahit une stratégie de distinction personnelle. Laurent Fabius, naguère présenté comme le dauphin de François Mitterrand, subit actuellement une très forte concurrence de la part des autres « éléphants » du PS (François Hollande, Dominique Strauss-Kahn, Martine Aubry, Jack Lang, etc.) pour accéder au titre de candidat du parti lors de l’élection présidentielle de 2007.
Outre le fait qu’il fait preuve d’indiscipline en proclamant son opposition, alors que le débat n’est même pas tranché puisqu’il n’est pas encore ouvert au sein du parti, Laurent Fabius, soutenu par ses partisans, renforce l’impression que le PS est une formation qui se réduit à une pépinière d’ambitions personnelles inassouvies, où les enchères vont bon train, et dont les membres pourraient bien prendre le risque de ruiner l’effort collectif au profit de la réalisation de leur carrière. Car Laurent Fabius, bien qu’adhérent d’un parti aux racines ouvrières, ne parvient pas à se défaire d'une image de « libéral ». Aussi sa critique tardive du déficit de préoccupation sociale dans la construction européenne sonne faux. Pour lui qui a été au centre des grandes décisions prises dans la construction communautaire lors de ces dernières années, elle est suspecte d'opportunisme.
Cette singularité française n’amuse personne
On en rirait presque si l’affaire ne dépassait pas largement le strict cadre de la politique française. Car les remous parisiens inquiètent Strasbourg, où « les eurodéputés socialistes rasent les murs », selon l’enquête publiée par Libération, mardi. Sur les 31 députés socialistes français qui siègent au parlement européen, 10 sont « contre » le projet de constitution européenne, alors que leurs camarades eurodéputés socialistes sont « pour ». Cette singularité française n’amuse personne là-bas. Les partisans français du « oui » sont paniqués, et les autres socialistes, espagnols et britanniques notamment, sont abasourdis de voir leur allié menacer la cohésion si difficilement acquise et discréditer le projet commun en rejoignant les conservateurs, sur ce point en tout cas.
Il s’agit là d’un dossier qui mérite une hauteur de vue qui dépasse les enjeux nationaux et les ambitions personnelles. Etre « pour » ou « contre » la ratification d’un texte fondamental pour l’Union européenne, c’est s’inscrire dans un débat d’idées ; pas dans une campagne électorale. En effet, les conséquences du « oui » ou du « non » ne sont pas indifférentes car elles pèseront sur l’avenir des peuples des vingt-cinq pays-membres. Il faut rappeler que la constitution ne s’appliquera que si tous les Etats membres de l’Union, sans exception, la ratifient dans les deux ans suivant la date de signature du traité constitutionnel, le 29 octobre prochain, à Rome.
En France, le président de la République a donc décidé d’en passer par la voie référendaire, plutôt que parlementaire. Cela signifie que ce sont les citoyens qui approuveront ou rejetteront la constitution européenne. Incontestablement, la contribution de Laurent Fabius minimise l’impact d’un « non » sur la construction communautaire, renforce le camp des opposants et radicalise le débat à gauche. A moins qu’après mûre réflexion et ample débat, et après avoir mesuré les gains et les pertes liés à ses engagements, il n’en revienne à d’autres sentiments, moins flamboyants mais plus conformes à l’orthodoxie dont il a toujours été le garant.
par Georges Abou
Article publié le 14/09/2004 Dernière mise à jour le 14/09/2004 à 15:16 TU