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Guyane

Le prêtre de Soweto, évêque de Guyane

Emmanuel Lafont, ordonné évêque de Guyane depuis août dernier. 

		(Photo : Jody Amiet)
Emmanuel Lafont, ordonné évêque de Guyane depuis août dernier.
(Photo : Jody Amiet)
A Soweto, où il fut curé pendant 10 ans, aux pires moments de l’apartheid, Emmanuel Lafont a été rebaptisé «le Père La Force» par ses paroissiens. Prêtre jusqu’à cette année à Langeais, près de Tours, son presbytère était ouvert aux SDF et aux sans papiers. Monseigneur Emmanuel Lafont vient d’être ordonné évêque de Guyane.

De notre correspondant à Cayenne

Une barbe poivre et sel, un sourire amène, Emmanuel Lafont dégage une étonnante simplicité. Difficile au premier abord d’imaginer que l’homme maîtrise sept langues (dont le latin, l’hébreu, l’araméen, le grec, le soutou et le zoulou) et qu’il détient les plus hauts diplômes de l’Institut biblique pontifical de Rome. Fils d’un polytechnicien, ingénieur maritime et tertiaire de Saint-François, qui a voué sa vie au partage et à la recherche théologique, Emmanuel Lafont fait partie d’une famille hors normes: il compte un frère prêtre, une sœur bénédictine (au couvent depuis 53 ans) ainsi que 11 neveux et nièces dans les ordres. «La note risque être salée là-haut», s’en est-il amusé dans une cathédrale, à Saint-Sauveur de Cayenne-aux anges, durant son ordination comme évêque, le 29 août dernier, après l’avoir entendu baragouiner en créole, hmong, bushinengué, et portugais, quelques langues du crû.

«Mon frère était un petit garçon turbulent, farceur, ingénieux, il a toujours eu beaucoup d’humour et de profondeur», se souvient Anne-Marie de Romanet, son aînée de 7 ans. A 17 ans, jeune séminariste à Rome, il assiste ébahi aux travaux révolutionnaires du Concile Vatican II. Puis, il rentre « bouleversé » d’un service militaire dans la marine, qui le met face aux «favelas du Brésil, aux bariadas de Santiago et aux bidonvilles de Lima». Autre choc, sa rencontre en 1968, avec la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) en France, et en Italie: «j’ai été confronté à une réalité sociale si différente de la mienn ». Ses bonnes relations avec la JOC le propulsent curé de Soweto (South West Township), fin 1983, en plein apartheid sud-africain : « il était interdit d’y vivre pour un blanc. Au début j’étais placé en zone blanche dans une ferme avec deux prêtres blancs ».

«Un jour ils ont arrêté 800 enfants dans la rue»

Rapidement, il brave la loi sud-africaine «j’ai réussi à obtenir une paroisse et un bureau dans Soweto et je me suis installé dans la sacristie». Il y restera prêtre dix ans. Surnommé: «le Père La Force» par ses fidèles noirs du township, il vit « ce jour inepte, entre mille, où 800 enfants de 8 à 17 ans de Soweto sont arrêtés». Il est plusieurs fois menacé d’expulsion, la dernière en août 89, quelques mois avant la libération de Nelson Mandela. C’est l’ambassadeur de France qui sauve sa tête. L’après-midi du 11 février 1990, il est toujours à Soweto en liesse, au moment de la libération de Mandela au Cap. Professeur deux jours par semaine au séminaire de Pretoria, il sèche les cours le mardi suivant et emmène ses élèves voir Mandela à Johannesburg « dans un stade comble de 120 000 places avec des gens sur les lampadaires». Le vendredi, Winnie Mandela le présente à son mari : «Je me suis retrouvé en face d’un type époustouflant, sorti de prison depuis 6 jours après y avoir passé 27 ans et qui imposait déjà sa stature d’homme d’Etat refusant de remplacer un apartheid par un autre».  Fin 97, de retour dans l’Hexagone, le père Lafont témoignera de son expérience unique en Afrique du Sud auprès d’une commission des évêques de France.

Fraîchement débarqué en Guyane, département qui dispose des lois les plus répressives en matière de lutte contre l’immigration clandestine, Monseigneur Lafont ne désarme pas. Il vient de qualifier d’ « inacceptable(s) » les conditions de vie au centre de rétention de Matoury, à 15 km de Cayenne, où, selon un récent rapport de l’Inspection Générale de l’Administration: «les retenus dorment sur des tablettes en béton sans matelas». Sensible, en général, aux questions d’immigration, il estime qu’« il faut repenser cette loi absurde qui contraint les demandeurs d’asile  à attendre plus d’un an d’être fixés sur leur sort sans être autorisés à travailler». A Cayenne, où les sans abris se multiplient, le manque de solutions offertes l’interpelle: «Le Samu social ne propose rien d’autre que de la nourriture».

La Guyane détient aussi le triste record français de contamination par le sida (entre 1,7 et 2% des femmes enceintes sont séropositives). Face au fléau, Monseigneur Lafont adopte une position à la Desmond Tutu.: «Les gens qui ont une relation sexuelle en dehors du mariage, je ne crois pas qu’ils aient raison, mais il faut qu’ils se protègent». Lui, qui réclame en vain, depuis son arrivée mi-août, qu’on laisse la porte de son évêché, ouverte, même le soir, n’est jamais avare ni de pensées: «La fascination de posséder des biens rétrécit le cœur», dit-il, ni de confidences: «J’ai eu des amis agnostiques. La différence entre les personnes ne se mesure pas au degré de foi, mais à celui d’amour et d’altruisme. D’ailleurs, Saint Augustin disait à propos de l’Eglise: il y a pas mal de brebis qui sont dehors et quelques loups à l’intérieur».



par Frédéric  Farine

Article publié le 19/09/2004 Dernière mise à jour le 19/09/2004 à 08:14 TU