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Somalie

Abdullahi Yusuf, du Puntland à Mogadiscio

Le sourire de la victoire pour Abdullahi Yusuf.
Le sourire de la victoire pour Abdullahi Yusuf.

Nommés députés en août dernier, 275 seigneurs de la guerre ou chefs de clan ont élu l’un d’entre eux président de la Somalie par intérim le 10 octobre. Ils ont désigné Abdullahi Yusuf, qui préside déjà l’Etat autonome (mais pas séparatiste) du Puntland. Ancien lieutenant-colonel de l’armée du général-président Siad Barre déchu en 1991, le septuagénaire Yusuf emporte un marathon de deux ans organisé par l' Autorité régionale intergouvernementale de développement , Igad,( Djibouti, Erythrée, Ethiopie, Kenya, Ouganda, Soudan) avec un Forum de partenaires (Grande-Bretagne, Etats-Unis, Norvège, France, Japon et Union européenne). Abdullahi Yusuf va nommer le chef d'un gouvernement fédéral chargé d’organiser des élections d’ici cinq ans. Elu dans la capitale kényane pour des raisons de sécurité, il n’envisage pas de retour à Mogadiscio avant deux mois.


«Abdullahi Yusuf est le vainqueur», au troisième et dernier tour, par 189 voix contre 79 à son ultime adversaire, ex-ministre des Finances et ancien ambassadeur à Washington, Abdullahi Ahmed Adow, a sobrement annoncé le président du parlement de transition. Ce dernier vient lui-même d’être nommé, le 15 septembre dernier, au terme d’âpres tractations entre chefs de factions réunis dans la capitale kényane par les promesses et les pressions régionales et internationales. «La Somalie est un Etat à l'abandon et nous n'avons rien», a observé Abdullahi Yusuf, appelant à l’aide internationale pour «désarmer nos milices». Celles-ci continuent en effet de saigner à blanc les quelque 8,8 millions de Somaliens qui peupleraient encore ces 637 660 kilomètres carrés stratégiquement situés à l’extrémité de la Corne de l’Afrique. La Banque mondiale estime à 110 dollars le revenu annuel per capita des Somaliens ordinaires.

Abdullahi Yusuf devrait prêter serment jeudi et désigner le Premier ministre qui formera à son tour un gouvernement fédéral intérimaire chargé de conduire les Somaliens aux urnes d’ici cinq ans. Ce sera le quatrième cabinet constitué sous la férule de l’Igad depuis la conférence de «réconciliation nationale», réunie à Arta (Djibouti), entre le 2 mai et le 27 août 2000. L’élection comme président d’Abdoulkassim Salat Hassan avait alors été ostensiblement ignorée par les principaux chefs de guerre. Ceux-ci n’avaient pas davantage reconnu l’autorité du Gouvernement national de transition (GNT) installé le 14 octobre suivant et souverain sur une poignée seulement de quartiers de Mogadiscio. En mars 2001, le GNT avait subi la concurrence brutale, soutenue par l’Ethiopie, d’un Conseil somalien de réconciliation et de restauration (CSRR) présidé par Hussein Mohamed Aïdid, le fils du défunt général Mohamed Farah Aïdid, tué en 1996. Le général Aïdid avait lancé la guerre à Mogadiscio en novembre 1991, largement contribué à la défaite américano-onusienne de l’opération Restaure hope en 1992 et au départ des troupes américaines en octobre 1993.

Partage des pouvoirs entre factions

Son processus de reconstruction politique mort-né avec l’initiative du fils Aïdid, l’Igad avait relancé de nouveaux pourparlers inter-somaliens à Nairobi, au Kénya, le 15 octobre 2002. Entre-temps, Washington avait inscrit la Somalie sur la liste noire des bastions du terrorisme, en particulier du réseau Ben Laden. C’est peut-être en partie ce qui a poussé, fin janvier 2004, les principaux chefs de guerre et de mouvements politico-militaires du pays à signer une Charte fédérale. Elle prévoyait notamment la formation du nouveau parlement de transition qui vient de désigner Abdullahi Yusuf comme président par intérim de la Somalie. Ce parlement est censé représenter un plus large spectre de factions que le précédent. Cela n’a pas empêché les chefs de clan de continuer à en découdre, en particulier à Mogadiscio où, entre le 10 et le 30 mai dernier, des combats ont fait une centaine de morts. En outre, le Somaliland (137 600 kilomètres carrés et 3,5 millions d’habitants), qui a fait sécession le 18 mai 1991, a bien évidemment boycotté le conclave.

L'ancien président du GNT, Abdulkassim Salat Hassan, un Hawiye, était l’un des 27 candidats à la magistrature suprême présents au premier tour du scrutin de Nairobi. Il a de lui-même quitté la lice avant le second tour. Un homme de son clan devrait être Premier ministre. Comme «règle du jeu» parlementaire, les factions ont en effet décidé un partage du pouvoir attribuant les fauteuils de président et de Premier ministre à deux des principaux clans rivaux participant à la conférence de Nairobi, les Hawiye et les Darod. De son côté, le président du Parlement est un Digil-Mirifle, les premier et second vice-présidents proviennent de l'Alliance des minorités et des Dir. Abdullahi Yusuf est darod. Il a commandé l’armée de Siad Barre sur le front sud, pendant la guerre de souveraineté territoriale contre l'Ethiopie (1977-78) et avait dû s'exiler au Kenya pendant plusieurs mois après avoir participé à une tentative de coup d'Etat contre le général-président en avril 1978. Aujourd’hui, il aurait le soutien d’Addis Abéba.

Nationaliste, militaire de carrière, formé en Union soviétique et en Italie, le président par intérim se veut désormais le héraut de la lutte anti-terroriste telle que défendue par Washington. Promu lieutenant-colonel en 1962, dans l’armée régulière, il s’est aussi construit comme chef de guerre, dans l’opposition à Siad Barre. La chute de ce dernier en 1991 avait d’ailleurs revigoré son Front démocratique somalien de salut (SSDF) fondé en septembre 1978, après sa disgrâce. Yusuf l’a ensuite utilisé comme tête de pont jusqu'en 1997 avant de co-présider un Conseil de salut national (NSC). Il ambitionnait alors de s’imposer à la tête d’un pouvoir central en Somalie. En vain. Yusuf s’est alors rabattu sur son fief natal du Puntland, au nord-est du pays, où il a été élu haut la main président de l'Etat régional par un Congrès dominé par sa propre faction. Celle-ci avait auparavant proclamé l’autonomie du Puntland – sans faire sécession –, le 24 juillet 1998. Faute de tenir sa promesse d’organiser un scrutin dans les trois ans, Yusuf avait été chassé de son fauteuil en 2002. Il l’a repris de force la même année.

Dès lundi, le coordinateur des actions humanitaires des Nations unies en Somalie a lancé un appel aux donateurs internationaux «pour faire face à la sécheresse dévastatrice qui affecte quelque 700 000 personnes». De son côté, Winston Tubman, le représentant spécial du secrétaire général, Kofi Annan, espère «que le peuple somalien approuvera l'issue du scrutin parce que cela encouragera la communauté internationale à donner aux Somaliens le soutien dont ils ont besoin». Malheureusement, ce sont des armes lourdes qui risquent de manquer le plus à Abdullahi Yusuf pour se faire respecter à Mogadiscio et tenter de s’imposer dans le reste du pays. En tout cas à Nairobi, dans la salle de sports où s’est réuni le parlement somalien pour des raisons de sécurité, seules les urnes étaient effectivement transparentes.



par Monique  Mas

Article publié le 11/10/2004 Dernière mise à jour le 11/10/2004 à 14:48 TU