Somalie
A la recherche de l’Etat disparu
Les négociations inter-somaliennes de Nairobi ont débouché ce 29 janvier sur la signature d’un accord prévoyant un partage du pouvoir dans un gouvernement et un parlement intérimaires dotés d’un mandat de cinq ans, le temps de concocter une nouvelle constitution sur le modèle fédéral. Celle-ci serait ensuite soumise à référendum. Relancées par les promesses de cessez-le-feu de 2002, les négociations se soldent par un programme de transition qui diffère très peu du précédent, échu fin 2003. Mais cette fois, l'accord recueille l’adhésion, au moins de façade, des seigneurs de guerre opérant à Mogadiscio ou à Kismayo et du Conseil somalien de réconciliation et de restauration (CSRR) d’Hussein Mohamed Aïdid. Ils viennent en effet de ratifier le protocole de compromis au côté du gouvernement de transition, qu’ils n’ont jamais cessé de contester depuis sa formation, en 2000, lors d’une conférence parrainée par Djibouti.
Jusqu’à présent, le gouvernement national de transition (GNT) contrôle à peine une poignée de quartiers de la capitale, Mogadiscio. Quant au précédent parlement, il était considéré comme une fiction par les seigneurs de guerre. Pourtant, le 27 octobre 2002, à Eldoret, la déclaration de cessez-le-feu de 17 dirigeants de factions rivales avait relancé les espoirs de paix. Les questions de représentativité plus ou moins réglées, restaient pour ce mois de janvier à traiter de la constitution, du désarmement, mais aussi des droits fonciers et de la reconstruction économique, avant de procéder à la formation d'un nouveau gouvernement de transition. Cette fois, à Nairobi, aux côtés du CSRR et du GNT, les chefs de factions sont venus un peu plus nombreux, notamment ceux qui opérent à Mogadiscio (comme Muse Sudi Yalahow ou Usman Hassan Ato) et à Kismayo (la Juba Valley Alliance du colonel Barre Adan Hirale), mais aussi la Rahanweyn Resistance Army de Muhammad Ibrahim Habsade et le Front national somali du colonel Abdirazzaq Isaq Bihi basé à Gedo.
Le compromis du 29 janvier prévoit que les multiples clans et sous-clans seront représentés dans la nouvelle assemblée réduite à 275 membres contre 351 précédemment. Ils pourront coopter respectivement 61 et 31 députés dont 12% de femmes. Ces «intérimaires» seront désignés par les chefs de clans, avec l’approbation des «anciens» et des chefs traditionnels. Ce parlement sera chargé d’élire un président de la République pour succéder à Abdulkassim Salat Hassan. Aucun délai n’a été fixé pour la désignation du futur président qui nommera à son tour un Premier ministre dont le cabinet gouvernera pendant une transition de cinq ans. Les tenants des nouvelles institutions devront préparer un projet de constitution de type fédéral qui sera ensuite soumis à référendum.
Ce programme est le fruit de longues tractations engagées le 22 septembre 1999 à Djibouti sous l’égide du président Omar Guelleh. Les premiers pourparlers s’étaient soldés le 2 mai 2000 par l’ouverture officielle d’une Conférence nationale de paix rassemblant essentiellement des politiciens somaliens, des chefs traditionnels et des intellectuels de la diaspora. Ils avaient discuté des modalités d’une possible conciliation entre clans adverses et désigné 900 délégués chargés de réfléchir aux questions de sécurité et de désarmement, le tout en l’absence des seigneurs de la guerre. Ces derniers ont boycotté l’invitation à la Conférence de paix et ignoré ostensiblement la création (le 13 août 2000) du parlement somalien, le premier depuis la chute du régime Barre en janvier 1991.
Président virtuel d’un Etat sans Etat
Abdulkassim Salat Hassan avait été élu président de Somalie pour quatre ans le 25 août 2000 par la précédente assemblée nationale de transition. Président virtuel d’un Etat sans Etat, il a quand même contribué à attirer à la table des négociations certains chefs de guerre, d’autres se laissant convaincre par le chef de l’Etat ougandais, Yoweri Museveni, qui est aussi le président en exercice de l'Autorité intergouvernementale de développement (Igad qui rassemble depuis 1986 Djibouti, l’Ethiopie, le Kenya, l’Erythrée, le Soudan, l’Ouganda et la Somalie). Outre l’Igad, l'Union africaine (UA) et la Ligue arabe restent penchées au chevet des Somaliens depuis que l’Onu a jeté l’éponge, après le fiasco militaire américano-onusien de 1995. L’objectif affiché est de réduire l’anarchie qui perdure depuis plus d’une décennie et qui a vu la Somalie voler en éclats avec notamment les indépendances autoproclamées du Somaliland et du Puntland, au nord-est. S’ils parviennent à imposer un gouvernement un tant soit peu reconnu et organisé, les nouveaux partenaires de la transition sont bien évidemment mandatés pour tenter de convaincre le Somaliland de rejoindre les négociations qu’il continue de boycotter. Pour sa part, le Puntland est représenté à Nairobi où il s’est déjà vu proposer plusieurs dizaines de sièges au futur parlement.
Jusqu’à présent, aucun résultat significatif n’est sorti de la quinzaine de tentatives de conciliation réitérées pendant cette dernière décennie. Les médiateurs en sont réduits à une politique de très petits pas. Le fédéralisme par exemple a été l’objet de brûlantes polémiques. Il répond en partie aux vœux des deux sécessionnistes et permet d’envisager leur retour dans un ensemble national. Mais le 5 juillet dernier, après trois semaines de négociations intenses, cette perspective avait provoqué l’ire du «président» Abdulkassim Salat Hassan, reniant la signature d’un premier texte par ses propres représentants. Il reprochait à la formule fédérale de placer les autorités du Somaliland sur un pied d’égalité avec le GNT, ouvrant ainsi la perspective d’une reconnaissance du Somaliland et d’une consécration de la partition, selon lui. Plusieurs factions avaient décidé de boycotter le tapis vert avec lui. D’autres sont restées en lice, tentant de s’approprier les chaises vides. Le président de l’Igad, Yoweri Museveni a dû livrer une dure bataille pour ramener tout le monde autour de la table. Pour sa part, il n’hésite pas à dire que «ce qui se passe en Somalie est un lent génocide… où les enfants n’ont pas le droit d’être vaccinés, d’avoir une éducation et de vivre en paix».
Pour redonner corps à une Somalie en paix, il ne suffira pas de faire reconnaître un quelconque gouvernement national aux seigneurs de la guerre et autres chefs de clans ou de factions. Comme le rappelle Amnesty international, la descente aux enfers somaliens a déjà fait plusieurs centaines de milliers de morts et le massacre continue essentiellement parmi les plus vulnérables. Mais surtout, certains Somaliens «ont tiré profit du chaos en s'alliant à des dirigeants de factions avides de s'emparer du pouvoir et d'obtenir des avantages financiers. Certains des dirigeants somaliens présents à la conférence d'Eldoret pourraient être poursuivis pour crimes contre l'humanité ou crimes de guerre». De fait, les chefs de guerre continue d’intimider les représentants de la société civile invités aux négociations. Le moment venu, ils ont toutes les raisons de répugner à désarmer.
Pour leur part, les deux «isolats» nordiques du Puntland et du Somaliland se cherchent querelle. En décembre dernier, le Puntland a dépêché quelques centaines d’hommes en armes dans la localité de Las Anod, pour marquer l’extension de son territoire dans cette région de Sool revendiquée par le Somaliland mais où il prétend avoir agi sur une demande de rattachement émanant de chefs de clans et de guerre locaux. Le Puntland accuse Djibouti d’armer le Somaliland. Djibouti dément et exige le retour au statu quo ante. Ces bruits de bottes supplémentaires inquiètent vivement le secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan, qui redoutait le 20 janvier «l’éclatement d’hostilités alors que le processus de paix en Somalie en est à un moment critique». «Les tensions émergentes entre les deux administrations du Somaliland et du Puntland pourraient dégénérer prochainement en un conflit et pourraient saper la conclusion positive de la réunion consultative inter somalienne en cours», renchérit l’Igad.
Eparpillés sur 640 000 kilomètres carrés étirés le long de 2800 kilomètres de côtes bordant le golfe d'Aden et l'océan Indien, les quelque 6 millions de Somaliens restés au pays vivent en majorité d’un nomadisme pastoral qu’il est traditionnellement difficile d’administrer. La circulation des armes a tout aggravé. Recoller les morceaux de la Somalie, organiser sa constellation de factions autour d’un embryon d’autorité nationale couvé à Mogadiscio, cela pourrait répondre aux soucis de Djibouti, favorable à un Etat somalien unitaire et centralisé. C’est aussi l’avis de la Ligue arabe, des financiers saoudiens du GNT d’Abdulkassim Salat ou de l’Egypte. Celle-ci apprécierait de pouvoir compter à Mogadiscio sur un contre-poids à l’Ethiopie. Cette dernière en revanche a d’autres vues en Somalie. Un Etat somalien fort risquerait par exemple de réclamer sa province de l’Ogaden. En outre, depuis la chute de Mengistu, l’Ethiopie a perdu son ouverture maritime érythréenne. Aujourd’hui, Addis Abéba s’accorde avec le Somaliland qui lui prête son port de Berbera. Elle regarde le Puntland d’un œil intéressé et n’a jamais négligé un chef de guerre comme Hussein Mohamed Aidid. Reste donc à savoir dans quelles directions se porteront les appétits des frères ennemis de la côte somali.
Le compromis du 29 janvier prévoit que les multiples clans et sous-clans seront représentés dans la nouvelle assemblée réduite à 275 membres contre 351 précédemment. Ils pourront coopter respectivement 61 et 31 députés dont 12% de femmes. Ces «intérimaires» seront désignés par les chefs de clans, avec l’approbation des «anciens» et des chefs traditionnels. Ce parlement sera chargé d’élire un président de la République pour succéder à Abdulkassim Salat Hassan. Aucun délai n’a été fixé pour la désignation du futur président qui nommera à son tour un Premier ministre dont le cabinet gouvernera pendant une transition de cinq ans. Les tenants des nouvelles institutions devront préparer un projet de constitution de type fédéral qui sera ensuite soumis à référendum.
Ce programme est le fruit de longues tractations engagées le 22 septembre 1999 à Djibouti sous l’égide du président Omar Guelleh. Les premiers pourparlers s’étaient soldés le 2 mai 2000 par l’ouverture officielle d’une Conférence nationale de paix rassemblant essentiellement des politiciens somaliens, des chefs traditionnels et des intellectuels de la diaspora. Ils avaient discuté des modalités d’une possible conciliation entre clans adverses et désigné 900 délégués chargés de réfléchir aux questions de sécurité et de désarmement, le tout en l’absence des seigneurs de la guerre. Ces derniers ont boycotté l’invitation à la Conférence de paix et ignoré ostensiblement la création (le 13 août 2000) du parlement somalien, le premier depuis la chute du régime Barre en janvier 1991.
Président virtuel d’un Etat sans Etat
Abdulkassim Salat Hassan avait été élu président de Somalie pour quatre ans le 25 août 2000 par la précédente assemblée nationale de transition. Président virtuel d’un Etat sans Etat, il a quand même contribué à attirer à la table des négociations certains chefs de guerre, d’autres se laissant convaincre par le chef de l’Etat ougandais, Yoweri Museveni, qui est aussi le président en exercice de l'Autorité intergouvernementale de développement (Igad qui rassemble depuis 1986 Djibouti, l’Ethiopie, le Kenya, l’Erythrée, le Soudan, l’Ouganda et la Somalie). Outre l’Igad, l'Union africaine (UA) et la Ligue arabe restent penchées au chevet des Somaliens depuis que l’Onu a jeté l’éponge, après le fiasco militaire américano-onusien de 1995. L’objectif affiché est de réduire l’anarchie qui perdure depuis plus d’une décennie et qui a vu la Somalie voler en éclats avec notamment les indépendances autoproclamées du Somaliland et du Puntland, au nord-est. S’ils parviennent à imposer un gouvernement un tant soit peu reconnu et organisé, les nouveaux partenaires de la transition sont bien évidemment mandatés pour tenter de convaincre le Somaliland de rejoindre les négociations qu’il continue de boycotter. Pour sa part, le Puntland est représenté à Nairobi où il s’est déjà vu proposer plusieurs dizaines de sièges au futur parlement.
Jusqu’à présent, aucun résultat significatif n’est sorti de la quinzaine de tentatives de conciliation réitérées pendant cette dernière décennie. Les médiateurs en sont réduits à une politique de très petits pas. Le fédéralisme par exemple a été l’objet de brûlantes polémiques. Il répond en partie aux vœux des deux sécessionnistes et permet d’envisager leur retour dans un ensemble national. Mais le 5 juillet dernier, après trois semaines de négociations intenses, cette perspective avait provoqué l’ire du «président» Abdulkassim Salat Hassan, reniant la signature d’un premier texte par ses propres représentants. Il reprochait à la formule fédérale de placer les autorités du Somaliland sur un pied d’égalité avec le GNT, ouvrant ainsi la perspective d’une reconnaissance du Somaliland et d’une consécration de la partition, selon lui. Plusieurs factions avaient décidé de boycotter le tapis vert avec lui. D’autres sont restées en lice, tentant de s’approprier les chaises vides. Le président de l’Igad, Yoweri Museveni a dû livrer une dure bataille pour ramener tout le monde autour de la table. Pour sa part, il n’hésite pas à dire que «ce qui se passe en Somalie est un lent génocide… où les enfants n’ont pas le droit d’être vaccinés, d’avoir une éducation et de vivre en paix».
Pour redonner corps à une Somalie en paix, il ne suffira pas de faire reconnaître un quelconque gouvernement national aux seigneurs de la guerre et autres chefs de clans ou de factions. Comme le rappelle Amnesty international, la descente aux enfers somaliens a déjà fait plusieurs centaines de milliers de morts et le massacre continue essentiellement parmi les plus vulnérables. Mais surtout, certains Somaliens «ont tiré profit du chaos en s'alliant à des dirigeants de factions avides de s'emparer du pouvoir et d'obtenir des avantages financiers. Certains des dirigeants somaliens présents à la conférence d'Eldoret pourraient être poursuivis pour crimes contre l'humanité ou crimes de guerre». De fait, les chefs de guerre continue d’intimider les représentants de la société civile invités aux négociations. Le moment venu, ils ont toutes les raisons de répugner à désarmer.
Pour leur part, les deux «isolats» nordiques du Puntland et du Somaliland se cherchent querelle. En décembre dernier, le Puntland a dépêché quelques centaines d’hommes en armes dans la localité de Las Anod, pour marquer l’extension de son territoire dans cette région de Sool revendiquée par le Somaliland mais où il prétend avoir agi sur une demande de rattachement émanant de chefs de clans et de guerre locaux. Le Puntland accuse Djibouti d’armer le Somaliland. Djibouti dément et exige le retour au statu quo ante. Ces bruits de bottes supplémentaires inquiètent vivement le secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan, qui redoutait le 20 janvier «l’éclatement d’hostilités alors que le processus de paix en Somalie en est à un moment critique». «Les tensions émergentes entre les deux administrations du Somaliland et du Puntland pourraient dégénérer prochainement en un conflit et pourraient saper la conclusion positive de la réunion consultative inter somalienne en cours», renchérit l’Igad.
Eparpillés sur 640 000 kilomètres carrés étirés le long de 2800 kilomètres de côtes bordant le golfe d'Aden et l'océan Indien, les quelque 6 millions de Somaliens restés au pays vivent en majorité d’un nomadisme pastoral qu’il est traditionnellement difficile d’administrer. La circulation des armes a tout aggravé. Recoller les morceaux de la Somalie, organiser sa constellation de factions autour d’un embryon d’autorité nationale couvé à Mogadiscio, cela pourrait répondre aux soucis de Djibouti, favorable à un Etat somalien unitaire et centralisé. C’est aussi l’avis de la Ligue arabe, des financiers saoudiens du GNT d’Abdulkassim Salat ou de l’Egypte. Celle-ci apprécierait de pouvoir compter à Mogadiscio sur un contre-poids à l’Ethiopie. Cette dernière en revanche a d’autres vues en Somalie. Un Etat somalien fort risquerait par exemple de réclamer sa province de l’Ogaden. En outre, depuis la chute de Mengistu, l’Ethiopie a perdu son ouverture maritime érythréenne. Aujourd’hui, Addis Abéba s’accorde avec le Somaliland qui lui prête son port de Berbera. Elle regarde le Puntland d’un œil intéressé et n’a jamais négligé un chef de guerre comme Hussein Mohamed Aidid. Reste donc à savoir dans quelles directions se porteront les appétits des frères ennemis de la côte somali.
par Monique Mas
Article publié le 28/01/2004