Somalie
Après l'Afghanistan, la Somalie?
Le Pentagone s'intéresse de près à la Somalie, où il soupçonne l'existence de complicités avec Al-Qaida et Ben Laden. Celui-ci pourrait même s'y réfugier, s'il était contraint de quitter l'Afghanistan.
Des «plans ont été dressés», ces dernières semaines, dans le cadre de «différents programmes d'actions» établis, depuis le 11 septembre, par le Pentagone, qui n'exclut pas une éventuelle intervention au sol. Selon différentes sources diplomatiques et militaires, aux Etats-Unis comme dans la Corne de l'Afrique, l'administration américaine est plus que jamais convaincue que la Somalie, en dépit de (ou grâce à ?) l'absence d'un réel Etat unitaire depuis une dizaine d'années, est peu à peu devenue un havre de secours pour Al-Qaida. Ce qui menace tous les voisins, mais d'abord les intérêts américains, notamment dans la péninsule arabique.
Bien entendu, «élaborer des plans ne signifie pas forcément qu'on les mette à exécution» a tenu à préciser un diplomate, mais la cible est déjà clairement identifiée : Al-Ittihah Al-Islamiya, l'Union islamique, un mouvement somalien bien implanté dans toute la partie islamisée de la Corne de l'Afrique et ayant bénéficié de l'appui direct de l'organisation de Oussama Ben Laden. Il a néanmoins été affaibli par deux défaites militaires: face à l'Ethiopie, lorsqu'il a tenté d'établir un Etat islamique dans l'Ogaden, et face aux miliciens autonomistes du Puntland (nord-est somalien).
De plus, Al-Ittihad Al-Islamiya a disposé dans le passé de deux bases: à Las Quray, dans le Somaliland, à une cinquantaine de kilomètres à l'ouest du port Bosaso, et à Ras Kiamboni, au sud de Kisimayo. Selon Washington, l'Union islamique n'est pas un simple mouvement fondamentaliste et terroriste, mais est présent dans l'aide médicale, voire l'entraînement de la police de la nouvelle administration centrale issue des récents accords inter-somaliens. Une administration très réduite et relevant d'un chef d'Etat, Abdulkassim Salat Hassan, qui lui même ne contrôle que partiellement la région de la capitale, Mogadiscio.
Ben Laden bientôt en Somalie?
En réalité, depuis le retrait forcé - et peu glorieux - des forces armées américaines, en 1994, Washington ne cesse de montrer du doigt ce pays abandonné à lui même et à ses «seigneurs de la guerre» depuis la fuite du président-dictateur Syad Barre. Les Etats-Unis n'ont jamais pardonné à ces «warlords» d'avoir humilié l'armée américaine : dix-huit soldats américains ont été tués lors d'une embuscade tendue par des miliciens bénéficiant déjà de l'aide directe d'Al-Qaida. Certains corps de ces GI's avaient alors été traînés dans les rues de la capitale et ces images vite fait le tour du monde, provoquant un énorme choc dans l'opinion publique américaine. Ce qui a précipité la décision de l'administration Clinton de quitter la Somalie.
Ces miliciens répondaient aux ordres de Mohammed Farah Aïdid, l'un des deux «présidents» contrôlant alors Mogadiscio, qui voyait d'un mauvais £il les USA imposer, sous couvert de l'ONU, une paix qui lui aurait ôté tout pouvoir. Deux ans plus tard, Mohammed Aïdid était tué et son clan décidait de le remplacer à la tête de sa milice par son fils Hussein, qui se trouvait alors àaux Etats-Unis. En réalité, Hussein Aïdid, après avoir été formé aux Etats-Unis, en a acquis la nationalité et a même participé au débarquement américain en Somalie, en 1993-94, du côté des GI's, et donc contre son propre père. La Somalie n'est pas à un paradoxe près.
C'est peut-être pour cela que, tout dernièrement, Hussein Aïdid a accusé l'actuel président Salat d'abriter des cellules d'Al-Qaida, sans toutefois en apporter la preuve formelle. Une accusation qui a été aussitôt démentie par Mogadiscio, mais relayée par Washington - et Addis Abeba -, qui semblent la prendre très au sérieux. Le FBI est même convaincu que les attentats anti-américains de Nairobi et de Dar-es-Salam de 1998 (224 morts) ont été préparés en Somalie, avec l'appui du mouvement islamiste Al-Ittihad Al-Islamiya, grâce à la collaboration d'un proche de Oussama Ben Laden, le Jordanien Mohamed Sadeek Odeh. Celui-ci a récemment été condamné à de lourdes peines par un tribunal américain : il aurait servi dµinstructeur pour les membres somaliens d'Al-Ittihad.
Peu après les attentats du 11 septembre, la «piste somalienne» a vite été mise en avant par des milieux proches de la CIA, qui allaient jusqu'à préciser que des lance-grenades et des missiles sol-air avaient été transférés en Somalie, et que Al-Qaida comptait y installer son propre quartier général, en attendant l'éventuelle arrivée d'Oussama Ben Laden lui-même. Une hypothèse qui avait déjà été avancée en 1998, au moment où Ben Laden figurait déjà sur la liste des dix terroristes les plus recherchés par Washington.
En fait, les attentats contre le World Trade Center ont suscité de nombreuses manifestations de joie un peu partout en Somalie, et à Mogadiscio moins qu'ailleurs. A Bosaso, le principal port somalien de la République (auto-proclamée) du Puntland, dans le nord-est, la population est immédiatement descendue dans les rues, arborant des portraits de Ben Laden ; et le président Yussuf a été obligé de publier un communiqué démentant la présence dans le Puntland de cellules islamistes proches d'Al-Qaida.
En réalité, du Soudan au Kenya, en passant par la Somalie et les régions islamisées d'Ethiopie et surtout de l'Erythrée, différentes associations islamiques ont souvent pris en charge des populations délaissées par des administrations centrales défaillantes sinon corrompues. En Somalie, il n'existe pas à proprement parler d'Etat depuis une dizaine d'années. Cela a surtout profité aux différents «seigneurs de la guerre», du moins dans la région allant de Mogadiscio à la frontière avec le Kenya.
Car, ailleurs, une autonomie de fait s'est peu à peu installée, surtout dans les deux régions le plus éloignées de Mogadiscio : le Somaliland (qui a même déclaré son indépendance et bénéficie du soutien du gouvernement éthiopien) et le Puntland (ex-Mijurtine, qui a préféré proclamer une République autonome sans remettre en cause formellement le cadre «national» somalien). Il s'agit de deux républiques à base clanique (respectivement Issak et Darod de Mijurtine), mais qui sont de facto, comme le reste du pays, sous une administration de type traditionnel, donc islamique.
La justice est assurée par des tribunaux islamiques omniprésents (et pratiquant la charia) ; mais si ce pays existe toujours et a malgré tout survécu à de nombreuses guerres, il le doit d'abord à la société civile et surtout aux assemblées claniques traditionnelles (shir) qui ont permis d'aboutir, en avril 2001, à l'élection de Salat. Car, parallèlement elles ont favorisé la diminution progressive du poids militaire des différents «seigneurs de la guerre», aujourd'hui presque réduits à négocier quelques strapontins dans le futur gouvernement, vraisemblablement de type fédéral sinon confédéral.
Les menaces américaines qui pèsent sur la Somalie ont sans doute précipité la «réconciliation nationale» proclamée dimanche dernier à Nairobi. Une éventuelle intervention directe américaine - ou indirecte, via Addis Abeba - alors que nul ne sait où se situent les éventuelles bases militaires d'Al-Ittihad Al-Islamiya ne pourrait que remettre en cause le fragile équilibre d'un pays parmi les plus pauvres de la planète. Mais aussi déclencher une résistance farouche et inattendue, comme en 1994.
Bien entendu, «élaborer des plans ne signifie pas forcément qu'on les mette à exécution» a tenu à préciser un diplomate, mais la cible est déjà clairement identifiée : Al-Ittihah Al-Islamiya, l'Union islamique, un mouvement somalien bien implanté dans toute la partie islamisée de la Corne de l'Afrique et ayant bénéficié de l'appui direct de l'organisation de Oussama Ben Laden. Il a néanmoins été affaibli par deux défaites militaires: face à l'Ethiopie, lorsqu'il a tenté d'établir un Etat islamique dans l'Ogaden, et face aux miliciens autonomistes du Puntland (nord-est somalien).
De plus, Al-Ittihad Al-Islamiya a disposé dans le passé de deux bases: à Las Quray, dans le Somaliland, à une cinquantaine de kilomètres à l'ouest du port Bosaso, et à Ras Kiamboni, au sud de Kisimayo. Selon Washington, l'Union islamique n'est pas un simple mouvement fondamentaliste et terroriste, mais est présent dans l'aide médicale, voire l'entraînement de la police de la nouvelle administration centrale issue des récents accords inter-somaliens. Une administration très réduite et relevant d'un chef d'Etat, Abdulkassim Salat Hassan, qui lui même ne contrôle que partiellement la région de la capitale, Mogadiscio.
Ben Laden bientôt en Somalie?
En réalité, depuis le retrait forcé - et peu glorieux - des forces armées américaines, en 1994, Washington ne cesse de montrer du doigt ce pays abandonné à lui même et à ses «seigneurs de la guerre» depuis la fuite du président-dictateur Syad Barre. Les Etats-Unis n'ont jamais pardonné à ces «warlords» d'avoir humilié l'armée américaine : dix-huit soldats américains ont été tués lors d'une embuscade tendue par des miliciens bénéficiant déjà de l'aide directe d'Al-Qaida. Certains corps de ces GI's avaient alors été traînés dans les rues de la capitale et ces images vite fait le tour du monde, provoquant un énorme choc dans l'opinion publique américaine. Ce qui a précipité la décision de l'administration Clinton de quitter la Somalie.
Ces miliciens répondaient aux ordres de Mohammed Farah Aïdid, l'un des deux «présidents» contrôlant alors Mogadiscio, qui voyait d'un mauvais £il les USA imposer, sous couvert de l'ONU, une paix qui lui aurait ôté tout pouvoir. Deux ans plus tard, Mohammed Aïdid était tué et son clan décidait de le remplacer à la tête de sa milice par son fils Hussein, qui se trouvait alors àaux Etats-Unis. En réalité, Hussein Aïdid, après avoir été formé aux Etats-Unis, en a acquis la nationalité et a même participé au débarquement américain en Somalie, en 1993-94, du côté des GI's, et donc contre son propre père. La Somalie n'est pas à un paradoxe près.
C'est peut-être pour cela que, tout dernièrement, Hussein Aïdid a accusé l'actuel président Salat d'abriter des cellules d'Al-Qaida, sans toutefois en apporter la preuve formelle. Une accusation qui a été aussitôt démentie par Mogadiscio, mais relayée par Washington - et Addis Abeba -, qui semblent la prendre très au sérieux. Le FBI est même convaincu que les attentats anti-américains de Nairobi et de Dar-es-Salam de 1998 (224 morts) ont été préparés en Somalie, avec l'appui du mouvement islamiste Al-Ittihad Al-Islamiya, grâce à la collaboration d'un proche de Oussama Ben Laden, le Jordanien Mohamed Sadeek Odeh. Celui-ci a récemment été condamné à de lourdes peines par un tribunal américain : il aurait servi dµinstructeur pour les membres somaliens d'Al-Ittihad.
Peu après les attentats du 11 septembre, la «piste somalienne» a vite été mise en avant par des milieux proches de la CIA, qui allaient jusqu'à préciser que des lance-grenades et des missiles sol-air avaient été transférés en Somalie, et que Al-Qaida comptait y installer son propre quartier général, en attendant l'éventuelle arrivée d'Oussama Ben Laden lui-même. Une hypothèse qui avait déjà été avancée en 1998, au moment où Ben Laden figurait déjà sur la liste des dix terroristes les plus recherchés par Washington.
En fait, les attentats contre le World Trade Center ont suscité de nombreuses manifestations de joie un peu partout en Somalie, et à Mogadiscio moins qu'ailleurs. A Bosaso, le principal port somalien de la République (auto-proclamée) du Puntland, dans le nord-est, la population est immédiatement descendue dans les rues, arborant des portraits de Ben Laden ; et le président Yussuf a été obligé de publier un communiqué démentant la présence dans le Puntland de cellules islamistes proches d'Al-Qaida.
En réalité, du Soudan au Kenya, en passant par la Somalie et les régions islamisées d'Ethiopie et surtout de l'Erythrée, différentes associations islamiques ont souvent pris en charge des populations délaissées par des administrations centrales défaillantes sinon corrompues. En Somalie, il n'existe pas à proprement parler d'Etat depuis une dizaine d'années. Cela a surtout profité aux différents «seigneurs de la guerre», du moins dans la région allant de Mogadiscio à la frontière avec le Kenya.
Car, ailleurs, une autonomie de fait s'est peu à peu installée, surtout dans les deux régions le plus éloignées de Mogadiscio : le Somaliland (qui a même déclaré son indépendance et bénéficie du soutien du gouvernement éthiopien) et le Puntland (ex-Mijurtine, qui a préféré proclamer une République autonome sans remettre en cause formellement le cadre «national» somalien). Il s'agit de deux républiques à base clanique (respectivement Issak et Darod de Mijurtine), mais qui sont de facto, comme le reste du pays, sous une administration de type traditionnel, donc islamique.
La justice est assurée par des tribunaux islamiques omniprésents (et pratiquant la charia) ; mais si ce pays existe toujours et a malgré tout survécu à de nombreuses guerres, il le doit d'abord à la société civile et surtout aux assemblées claniques traditionnelles (shir) qui ont permis d'aboutir, en avril 2001, à l'élection de Salat. Car, parallèlement elles ont favorisé la diminution progressive du poids militaire des différents «seigneurs de la guerre», aujourd'hui presque réduits à négocier quelques strapontins dans le futur gouvernement, vraisemblablement de type fédéral sinon confédéral.
Les menaces américaines qui pèsent sur la Somalie ont sans doute précipité la «réconciliation nationale» proclamée dimanche dernier à Nairobi. Une éventuelle intervention directe américaine - ou indirecte, via Addis Abeba - alors que nul ne sait où se situent les éventuelles bases militaires d'Al-Ittihad Al-Islamiya ne pourrait que remettre en cause le fragile équilibre d'un pays parmi les plus pauvres de la planète. Mais aussi déclencher une résistance farouche et inattendue, comme en 1994.
par Elio Comarin
Article publié le 08/11/2001