Somalie
Barakaat «financier de la terreur» ?
Le pays le plus délabré du continent africain est au centre d'une violente dispute avec les Etats-Unis, qui accusent le gouvernement de transition de protéger un important groupe financier somalien, Barakaat, soupçonné d'être le financier d'Al Qaïda. Ce que nie le président Abdoulkassim Salat Hassan.
Mogadiscio est sous le choc : la décision de George W. Bush de geler les avoirs du groupe Barakaat aux Etats-Unis a forcé cette compagnie à fermer tous ses bureaux, en Somalie comme ailleurs, mettant sur la paille de très nombreuses familles.
«Quand le président Bush a affirmé que Barakaat faisait partie d'une liste d'organisations liées à Al-Qaïda, tout le peuple somalien a été surpris, comme le gouvernement. Jusqu'à présent, nous n'avons aucun indice en provenance des Américains, nous n'en savons pas plus que les accusations relayées par CNN». Le président Salat Hassan - qui, élu en avril dernier, ne contrôle en réalité que quelques quartiers de la capitale, Mogadiscio - a violemment réagit aux derniers propos des responsables américains concernant les «financiers de la terreur» soupçonnés de blanchir d'importantes sommes au profit de l'organisation de Ben Laden. Le secrétaire d'Etat au Trésor, Paul O'Neill avait affirmé la semaine dernière que Barakaat utilisait les profits tirés des activités de transferts - «des centaines de millions de dollars» - pour financer Al Qaïda et d'être devenu «le chargé d'intendance de la terreur».
Pour le président Salat Hassan il en va tout autrement : «Des milliers de familles somaliennes, en particulier les plus pauvres, ne survivent que grâce aux sommes d'argent expédiées par leurs parents de la diaspora des cinq continents», a-t-il précisé, avant de réclamer les preuves formelles pouvant étayer les accusations américaines : «Vous êtes innocent jusqu'à ce que l'on prouve le contraire, c'est le principe de base de tout Etat de droit».
Des bureaux fermés «définitivement»
Le groupe Barakaat, dont principale l'activité à travers le monde est le transfert de fonds - à 80% à destination de la Somalie, en passant le plus souvent par les pays du Golfe -, avait annoncé peu avant les déclarations de Salat Hassan que ses bureaux sont fermés définitivement, résultat du gel la semaine dernière de ses avoirs aux Etats-Unis et presque partout ailleurs dans le monde. Une décision qui risque d'avoir des conséquences dramatiques pour la Somalie, car, en l'absence de toute structure étatique depuis une dizaine d'années, Barakaat est le principal groupe (privé) qui assure aux Somaliens non seulement des services financiers de base, mais aussi un vrai réseau de télécommunications, voire de distribution de produits alimentaires.
Conscients de ce risque, les Anciens ont tenu conseil dimanche 11 novembre à Mogadiscio, au dernier étage de l'hôtel Globe, toujours privé de murs comme de toit, d'où ils ont pu se rendre compte de l'état de délabrement de la capitale politique du pays à l'issue d'une longue guerre entre clans surarmés. «Nous avons peur que ces accusations nous placent dans la même position que l'Afghanistan, mais nous ne sommes pas des terroristes» a déclaré par la suite Malaq Colow, qui fait partie de cette vingtaine de «sages» qui sont régulièrement consultés par le nouveau pouvoir. Mais si Colow a tenu a rappeler que «l'Amérique n'est pas l'ennemi de la Somalie», un autre leader traditionnel, Hersi Hierra Derwale, a parlé quant à lui de «vengeance américaine», à propos du gel des avoirs de Barakaat. «Des Américains ont été tués en Somalie (durant l'intervention de 1993), c'est pourquoi je pense que M. Bush, qui ne sait rien, ne pense rien, ne dispose pas d'informations claires sur la Somalie, prend tout simplement sa revanche».
Devant les bureaux de la banque, des Somaliens désespérés cités par l'AFP ne cachent plus leur colère. «Je ne sais ce qui est arrivé, se lamente Habiba Mohammed, qui attendait 150 dollars envoyés par sa fille de Wasington, où elle travaille dans un hôtel. C'est ce qu'elle nous envoie tous les mois et qui permet de payer le loyer, la nourriture et nos vêtements, à moi, mon mari et mes quatre enfants».
Pour Washington, Barakaat est la «vitrine officielle » d'un groupe islamiste très proche d'Al Qaïda, Al-Ittihad Al-Islamiya. Celle-ci, dirigée actuellement par l'ancien colonel de l'aviation Hassan Dahir Aweys, a bénéficié dès le début des années 90 du soutien financier saoudien, notamment par le biais de quelques associations caritatives, et serait devenue peu à peu un véritable groupe armé grâce notamment à l'aide de Oussama Ben Laden. Mais, contrairement à ce que laissent entendre de nombreux responsables américains, le groupe Barakaat est un groupe dirigé par des Somaliens politiquement neutres, et qui ont réussi la performance d'être présents dans tout le territoire, y compris dans le Somaliland (nord-ouest) et le Puntland (nord-est) deux régions en sécession.
De plus, Barakaat a pu s'implanter plus à Bosaso (Puntland) qu'à Mogadiscio. Cet important port situé sur le Golfe d'Aden et depuis toujours ouvert sur la péninsule arabique est devenu ces dernières années la véritable capitale économique de la Somalie. Et l'une des clés de voûte du système de transfert de fonds du groupe somalien se trouve à Dubaï, où Barakaat compte plusieurs succursales, qui toutes ont dû arrêter leurs activités. C'est aussi près de Bosaso que le groupe islamiste Al-Ittihad Al-Islamiya a pu établir une de ses bases, à Las Quray, à l'intérieur du Somaliland ex-britannique mais pas loin de la frontière avec le Puntland.
Cette région (appelée Mijurtine avant de devenir la République autonome du Puntland) n'a pratiquement pas connu de guerre civile, jusqu'à ces derniers mois, car elle est dominée par un groupe clanique homogène - les Darod de Mijurtine - et un vieux leader respecté, Abdullah Yussuf. Celui-ci a été le premier à se révolter contre le régime militaire de Syad Barre, au lendemain de la défaite somalienne en Ogaden, en 1979 ; et, après avoir connu la prison plus de dix années durant, il a su établir une sorte de paix armée - mais réelle - avec les voisins du sud, les Habr Guédir qui contrôlent la région d'Obbia, un port de l'Océan Indien, d'où est originaire le principal dirigeant d'Al-Itihad Al-Islamiya, Hassan Dahir Aweys.
«Quand le président Bush a affirmé que Barakaat faisait partie d'une liste d'organisations liées à Al-Qaïda, tout le peuple somalien a été surpris, comme le gouvernement. Jusqu'à présent, nous n'avons aucun indice en provenance des Américains, nous n'en savons pas plus que les accusations relayées par CNN». Le président Salat Hassan - qui, élu en avril dernier, ne contrôle en réalité que quelques quartiers de la capitale, Mogadiscio - a violemment réagit aux derniers propos des responsables américains concernant les «financiers de la terreur» soupçonnés de blanchir d'importantes sommes au profit de l'organisation de Ben Laden. Le secrétaire d'Etat au Trésor, Paul O'Neill avait affirmé la semaine dernière que Barakaat utilisait les profits tirés des activités de transferts - «des centaines de millions de dollars» - pour financer Al Qaïda et d'être devenu «le chargé d'intendance de la terreur».
Pour le président Salat Hassan il en va tout autrement : «Des milliers de familles somaliennes, en particulier les plus pauvres, ne survivent que grâce aux sommes d'argent expédiées par leurs parents de la diaspora des cinq continents», a-t-il précisé, avant de réclamer les preuves formelles pouvant étayer les accusations américaines : «Vous êtes innocent jusqu'à ce que l'on prouve le contraire, c'est le principe de base de tout Etat de droit».
Des bureaux fermés «définitivement»
Le groupe Barakaat, dont principale l'activité à travers le monde est le transfert de fonds - à 80% à destination de la Somalie, en passant le plus souvent par les pays du Golfe -, avait annoncé peu avant les déclarations de Salat Hassan que ses bureaux sont fermés définitivement, résultat du gel la semaine dernière de ses avoirs aux Etats-Unis et presque partout ailleurs dans le monde. Une décision qui risque d'avoir des conséquences dramatiques pour la Somalie, car, en l'absence de toute structure étatique depuis une dizaine d'années, Barakaat est le principal groupe (privé) qui assure aux Somaliens non seulement des services financiers de base, mais aussi un vrai réseau de télécommunications, voire de distribution de produits alimentaires.
Conscients de ce risque, les Anciens ont tenu conseil dimanche 11 novembre à Mogadiscio, au dernier étage de l'hôtel Globe, toujours privé de murs comme de toit, d'où ils ont pu se rendre compte de l'état de délabrement de la capitale politique du pays à l'issue d'une longue guerre entre clans surarmés. «Nous avons peur que ces accusations nous placent dans la même position que l'Afghanistan, mais nous ne sommes pas des terroristes» a déclaré par la suite Malaq Colow, qui fait partie de cette vingtaine de «sages» qui sont régulièrement consultés par le nouveau pouvoir. Mais si Colow a tenu a rappeler que «l'Amérique n'est pas l'ennemi de la Somalie», un autre leader traditionnel, Hersi Hierra Derwale, a parlé quant à lui de «vengeance américaine», à propos du gel des avoirs de Barakaat. «Des Américains ont été tués en Somalie (durant l'intervention de 1993), c'est pourquoi je pense que M. Bush, qui ne sait rien, ne pense rien, ne dispose pas d'informations claires sur la Somalie, prend tout simplement sa revanche».
Devant les bureaux de la banque, des Somaliens désespérés cités par l'AFP ne cachent plus leur colère. «Je ne sais ce qui est arrivé, se lamente Habiba Mohammed, qui attendait 150 dollars envoyés par sa fille de Wasington, où elle travaille dans un hôtel. C'est ce qu'elle nous envoie tous les mois et qui permet de payer le loyer, la nourriture et nos vêtements, à moi, mon mari et mes quatre enfants».
Pour Washington, Barakaat est la «vitrine officielle » d'un groupe islamiste très proche d'Al Qaïda, Al-Ittihad Al-Islamiya. Celle-ci, dirigée actuellement par l'ancien colonel de l'aviation Hassan Dahir Aweys, a bénéficié dès le début des années 90 du soutien financier saoudien, notamment par le biais de quelques associations caritatives, et serait devenue peu à peu un véritable groupe armé grâce notamment à l'aide de Oussama Ben Laden. Mais, contrairement à ce que laissent entendre de nombreux responsables américains, le groupe Barakaat est un groupe dirigé par des Somaliens politiquement neutres, et qui ont réussi la performance d'être présents dans tout le territoire, y compris dans le Somaliland (nord-ouest) et le Puntland (nord-est) deux régions en sécession.
De plus, Barakaat a pu s'implanter plus à Bosaso (Puntland) qu'à Mogadiscio. Cet important port situé sur le Golfe d'Aden et depuis toujours ouvert sur la péninsule arabique est devenu ces dernières années la véritable capitale économique de la Somalie. Et l'une des clés de voûte du système de transfert de fonds du groupe somalien se trouve à Dubaï, où Barakaat compte plusieurs succursales, qui toutes ont dû arrêter leurs activités. C'est aussi près de Bosaso que le groupe islamiste Al-Ittihad Al-Islamiya a pu établir une de ses bases, à Las Quray, à l'intérieur du Somaliland ex-britannique mais pas loin de la frontière avec le Puntland.
Cette région (appelée Mijurtine avant de devenir la République autonome du Puntland) n'a pratiquement pas connu de guerre civile, jusqu'à ces derniers mois, car elle est dominée par un groupe clanique homogène - les Darod de Mijurtine - et un vieux leader respecté, Abdullah Yussuf. Celui-ci a été le premier à se révolter contre le régime militaire de Syad Barre, au lendemain de la défaite somalienne en Ogaden, en 1979 ; et, après avoir connu la prison plus de dix années durant, il a su établir une sorte de paix armée - mais réelle - avec les voisins du sud, les Habr Guédir qui contrôlent la région d'Obbia, un port de l'Océan Indien, d'où est originaire le principal dirigeant d'Al-Itihad Al-Islamiya, Hassan Dahir Aweys.
par Elio Comarin
Article publié le 12/11/2001